Aimé Kwete se prépare depuis près d’un an à épouser sa fiancée. Il estime avoir connu un grand retard, n’étant pas en mesure de financer la dot due à sa belle-famille. Ce Congolais de 37 ans, habitant encore chez ses parents à Kinshasa est plus que déterminé à en finir avec son célibat. Mais la dot pousse beaucoup d’autres jeunes à opter pour le « mariage raccourci ».
Par Alice Bafiala, Kinshasa
« J’espère pouvoir réaliser mon mariage dans les délais que je me fixe », explique Aimé Kwete. « Je pense que c’est réaliste avec ce que je gagne aujourd’hui. Auparavant, j’avais du mal à envisager de réunir les moyens nécessaires « . Le nouvel emploi qu’il exerce depuis quelques mois au sein d’une structure de l’Etat est donc arrivé à point nommé pour Aimé. Avant, il avait été forcé de repousser plusieurs fois sa date de mariage, face aux dépenses réelles qui se présentaient à lui. « Il fallait réunir assez d’argent pour déménager, verser la dot à la belle-famille, organiser toutes les cérémonies de mariage (traditionnel, civil et religieux) et économiser pour m’assurer une vie de famille plus ou moins décente ».
La dot, un gros problème
La tradition en République démocratique du Congo exige que le prétendant verse une dot à la famille de sa future épouse. Mais depuis quelques années, les belles-familles demandent des sommes de plus en plus fortes. Ce qui va à l’encontre des valeurs traditionnelles, selon les observateurs. En principe, la dot représente une somme d’argent en espèces et d’autres biens en nature (vêtements pour les deux parents, vaches, chèvres, boissons, ustensiles de cuisine, couvertures, etc.).
Pour Aimé Kwete, les demandes de sa famille dépassaient la raison. « Le montant de ma dot a été fixée à 1.500 dollars par ma belle-famille, raconte Aimé Kwete, que j’ai finalement pu baisser à 1.000 dollars. Alors qu’avant une somme de 500 à 700 dollars était suffisante. Mais ma belle-famille ne voulait pas moins de 1.000 dollars. Par amour, je vais le faire, mais ça me parait exorbitant par rapport à la réalité », ajoute Aimé Kwete, qui devra en plus dépenser environ 1.500 USD pour les biens en nature.
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Le « mariage raccourci »
Par peur d’attendre indéfiniment de sceller une union et la crainte d’atteindre la ménopause, Dodo Walo, 34 ans, a choisi d’avoir enfants avec son prétendant sans se marier. Cette pratique du « mariage raccourci » consiste à faire un bébé pour obtenir le droit de vivre ensemble en dehors des liens du mariage. « On a décidé d’avoir des enfants parce qu’on s’aime. Mais lui n’a pas assez de moyens financiers pour venir m’honorer », raconte Dodo en souriant.
Dodo et son compagnon sont fiancés depuis cinq ans et ils ont trois enfants. Pour les élever, elle bénéficie de l’aide de sa famille, surtout celle de sa mère chez qui elle continue de vivre. A ce jour, il est impossible aux deux amoureux de vivre ensemble : « Je ne peux pas quitter ma mère pour aller vivre avec lui alors qu’il vit déjà chez un de ses amis. En attendant, j’ai pris la décision de ne plus faire d’autres enfants », raconte Dodo. Le conjoint de Dodo est tout de même présent pour ses enfants et contribue tant soit peu à la ration journalière avec un revenu occasionnel de peintre en bâtiment. Ses visites chez sa belle-famille sont régulières : il vient y manger tous les soirs.[media:image]
La cinquantaine révolue, la mère de Dodo comprend les difficultés du couple. Elle assure qu’avec son modeste salaire de la fonction publique, elle fait de son mieux pour subvenir aux besoins de sa fille et de ses petits-enfants. C’est d’ailleurs elle qui a commencé à payer la scolarité de sa petite-fille ainée, âgée de 4 ans. Malgré ce soutien, Dodo est gênée. Elle parle d’une situation pénible. « Je vis tout cela malgré moi. Mais j’aimerais tant en finir avec cette situation », confie-t-elle.
Un coup à la tradition ?
Le « mariage raccourci », pratique maintenant courante parmi les jeunes de Kinshasa, est mal perçu par ceux qui tiennent aux valeurs de la famille et du mariage en général. C’est le cas d’un couple voisin de Dodo Walo, qui estiment que le manque de moyens ne justifie pas une famille sans union. « C’est le résultat de la débauche, s’écrie Robert Lutonde. Le mariage est sacré. En ce qui concerne la dot, ils n’ont qu’à trouver un compromis, tout le monde ne verse pas la totalité d’un coup, ça peut se faire progressivement, mais au moins ils auront la bénédiction des parents ». « C’est un manque d’organisation, poursuit madame Jeanne. Pour moi, ils peuvent attendre même 40 ans s’ils n’ont pas les moyens de se marier. Qu’ils prennent le temps de s’organiser au lieu de faire des enfants sans avoir les moyens de les prendre en charge. »
Dans une ville où le taux de chômage dépasse les 60%, bien peu d’hommes peuvent s’acquitter de la dot due à la famille de la mariée, selon une étude du ministère des Affaires sociales. Cette enquête menée au début des années 2000 estimait qu’à Kinshasa 40% des couples dans la tranche d’âge 23-35 ans avaient opté pour le « mariage raccourci ». Aujourd’hui, ce phénomène est de plus en plus courant alors qu’il y a une vingtaine d’années, il était rarissime.