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« Réparations : la dette coloniale », le cri d’une Afrique saignée à blanc

La justice historique a longtemps été différée, au grand dam d’une Afrique dont la voix est étouffée par ses anciens maîtres, ceux-là mêmes qui lui ont imposé le joug colonial. Mais bien avant la colonisation, l’Afrique a été meurtrie par la traite négrière et l’esclavage, une abomination qui constituait la pierre angulaire du commerce triangulaire de triste mémoire, à l’origine de l’essor de l’Europe. Actuellement, tous ces maux se sont transformés en une néo colonisation qu’incarnent les multinationales occidentales qui continuent  »de sucer » le continent noir sans vergogne. Toute cette réalité, Ibrahima Saw a savamment su le transcrire dans un chef-d’œuvre cinématographique intitulé « Réparations : la dette coloniale », qui vient d’être projeté dans une salle de Kiriri Garden Hôtel.

« Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme », disait Alain Foka, le célèbre journaliste d’origine camerounaise. Non seulement les peuples d’Afrique n’ont pas le droit d’oublier les périodes sombres de leur histoire, mais c’est un devoir de documenter ces pans de l’histoire qui ont forgé le destin fangeux dans lequel l’Afrique patauge depuis des lustres. L’Afrique n’a rien demandé. L’Afrique a même essayé de résister pour ne pas sombrer, à l’aune de la voracité du Vieux Continent. Mais elle a courbé l’échine sous la pression des puissances qui l’ont asservie. Comment solder les comptes ? L’œuvre de d’Ibrahima Saw fait le tour de la question.

Flash-back dans un terrible enfer colonial

Pendant quatre siècles, des villages côtiers de pays comme le Ghana (l’ancien Gold Coast), le Libéria, la Côte d’Ivoire, la Guinée, etc., ont été vidés de leurs habitants. Plus de 18 millions d’Africains ont été transportés dans les cales de bateaux vers les Amériques, où ils étaient vendus pour travailler dans les plantations de canne à sucre, de coton, de café, etc. Tout cela était ensuite transporté en Europe. Les nègres qui ne travaillaient pas assez, au goût des maîtres, ou qui essayaient de s’échapper, étaient ni plus ni moins amputés de leurs membres ou simplement lynchés. À ce sujet, rappelons-nous de cette célèbre tirade de l’œuvre de Voltaire Candide. Il s’agit d’un couple qui rencontre un homme noir amputé. Quand ils veulent savoir l’origine de son infirmité, il leur jette à la figure : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Non contents d’avoir saigné le continent noir avec la traite négrière, les Européens ont dépecé l’Afrique en 1884 à Berlin, se la sont partagée et se sont employés à exploiter ses richesses sans état d’âme. Un des cas les plus terribles évoqués dans le documentaire d’Ibrahima Saw est le Congo belge. L’exploitation du caoutchouc, qui s’est faite au détriment du peuple congolais, était tout simplement inhumaine. On fusillait ceux qui ne suivaient pas le plan. La cruauté allait jusqu’à amputer d’une main ou d’une jambe l’indigène qui ne respectait pas les consignes, pour économiser les balles. Pour ne pas réduire la productivité des travailleurs masculins, les bourreaux se sont mis à amputer leurs enfants ou leurs femmes.

Les colonisateurs ont réussi leur pari monstrueux car, entre 1891 et 1901, la production de caoutchouc est passée de 80 tonnes à 6 000 tonnes, avec des bénéfices de 700 %. Mais à quel prix ? Le film de Saw nous apprend que la natalité s’est effondrée à tel point que la population a diminué de moitié.

La prédation des multinationales, la nouvelle face du néocolonialisme

L’Afrique a arraché son indépendance, mais a payé un lourd tribut. Ses valeureux fils et filles, qui ont revendiqué l’autodétermination de leurs pays, ont été assassinés : Ruben Um Nyobé, Patrice Lumumba, Prince Louis Rwagasore, Barthélémy Boganda, Félix Moumié…, la liste n’est pas exhaustive. Les tentatives de rébellion ont été durement réprimées. Deux millions d’Africains qui ont participé à la lutte pour l’indépendance sont morts, indique le documentaire.

Acculés par des peuples qui n’en pouvaient plus de leurs exactions, les colonisateurs sont partis… pour en fait rester. En réalité, ils sont revenus par la petite porte, sous la casquette des multinationales qui collent au continent africain comme des sangsues. Le documentaire donne quelques exemples. L’exemple typique est le Sénégal, dont l’environnement a été détruite par la société Eramet qui exploite le Zircon. Sa filiale a gagné plus 1 106 milliards de FCFA en 10 ans, mais n’a versé à l’Etat que 5 % de redevances.

Parfois, ces multinationales ne se contentent pas de brader les richesses des pays africains à vil prix, elles les exploitent de manière irresponsable, à tel enseigne que l’environnement en pâtit, au détriment d’une population autochtone impuissante.

Un préjudice patent

« Tout le capital nécessaire pour la révolution industrielle de l’Europe, elle l’a accumulé à travers le commerce triangulaire. On peut dire que la source et l’origine même de la richesse actuelle, contemporaine, de leurs peuples vient de cette exploitation pluriséculaire de la traite négrière et de la colonisation. (…) Pour ce pillage, on a besoin de réparations », indique dans le documentaire Diawdine Amadou Bakhaw Diaw, historien. Un chiffre interpelle dans le documentaire : « Pendant trois siècles, la France a eu le contrôle de 35 % de l’Afrique. » Celui qui dirait donc que la France a bâti sa prospérité sur le dos des Africains ne se tromperait pas.

Selon Fidèle Gouandjika, ministre centrafricain chargé des Relations avec les organisations nationales, si l’on fait le calcul de l’argent que la France a amassé de ses colonies telles que le Tchad, le Congo, le Gabon, le Sénégal, le Burkina Faso, etc., on arrive à la faramineuse somme de 500 milliards de dollars. Pour toutes ces raisons, et d’autres évoquées plus haut, la revendication envers les anciennes puissances coloniales ne doit plus être d’ordre moral seulement.

Le carillon de la justice a-t-il sonné ?

Si l’Allemagne a versé des réparations aux Juifs pour l’Holocauste, pourquoi les Africains n’exigeraient-ils pas de réparations pour les exactions qu’ils ont subies pendant des siècles ? D’ailleurs, ce même pays a reconnu sa responsabilité dans les atrocités commises contre les Namas et les Héréros en Namibie. Mais l’Allemagne ne va pas jusqu’à parler de réparations et préfère le terme compensations. Elle n’est pas la seule, car les Pays-Bas ont aussi reconnu les crimes qu’ils ont commis au Suriname, a rappelé l’ambassadeur Pierre Claver Ndayicariye, président de la CVR, après la projection du film documentaire.

Même la France, qui est très réticente sur ces questions, a fait un pas en reconnaissant son rôle dans l’assassinat de Ruben Um Nyobè, l’indépendantiste camerounais. L’heure est venue de dénoncer cette injustice séculaire. « En février dernier lors du 38ème sommet des chef d’Etats et de gouvernements à Addis Abeba, l’Union Africaine (UA) a adopté une résolution traitant de la question de la réparation des crimes de la colonisation sur les Africains, mais aussi sur les Afro descendants », a indiqué Junior Wafo d’Afrique Média qui accompagne cette initiative panafricaine en diffusant le film documentaire d’Ibrahima Saw. L’UA s’est aussi jointe aux pays des Caraïbes pour réclamer conjointement le droit à la réparation.

Le représentant de l’UA au Burundi, qui assistait également à la projection, a rappelé qu’il n’est pas question de laisser passer cette colonisation immorale et injuste, et qu’il faut adopter une posture pour que justice soit rendue à notre continent. « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde », a-t-il rappelé en citant Aimé Césaire, pour insister sur l’urgence pour l’Afrique de réclamer cette justice historique longtemps différée.

Pour rappel, Mwezi Gisabo, un roi du Burundi, a payé une amende de 424 vaches et fait d’autres concessions en 1903, pour avoir résisté à l’invasion des Allemands, c’était lors du traité de Kiganda. Et le Burundi est bien engagé dans le processus de réparation du préjudice colonial.

Les propos du maître des cérémonies pendant la projection nous semblent assez précis pour résumer la pertinence de l’œuvre d’Ibrahima Saw : « C’est une interpellation profonde aux consciences africaines et mondiales, sur une question à la fois juridique, économique, politique et éthique : la réparation des crimes historiques liés à la colonisation et leurs conséquences persistantes dans les structures actuelles de nos sociétés et de nos économies. »

Vous saurez que le film documentaire de 30 minutes d’Ibrahima Saw a déjà été projeté dans d’autres pays comme au Mali, au Burikina Faso, au Niger et il sera projeté très prochainement au Cameroun, au Gabon, en Guinée Equatoriale et dans d’autres pays et sa version en Anglais est déjà disponible. « Il pourrait également être traduite en langues locales, en fonction des moyens, pour une large diffusion, l’essentiel étant que la quasi-totalité du continent africain sache ce qui a été fait et ce qui est en train d’être fait », a fait savoir Junior Wafo d’Afrique Média.

 

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Les commentaires récents (1)

  1. « Au temps des génies au pouvoir, autant de gens en misère. Répercussions des tribulations métropolitaines sur le Burundi en période coloniale » (Source : Adebooks, Chasse aux livres, Amazon.com,…).