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Réformer ou s’essouffler : le Burundi face aux défis économiques

Le 14 août 2025, lors d’une conférence-débat organisée par le Ministère des Finances et la Banque de la République du Burundi, Leonce Ndikumana, professeur émérite d’économie, enseignant-chercheur à l’Université du Massachusetts (États-Unis) a livré un message clair : l’économie nationale est « à bout de souffle ». Un constat sévère, mais accompagné d’un avertissement porteur d’espoir : le pays peut s’appuyer sur ses atouts pour réussir un tournant décisif, à condition d’engager des réformes profondes.

Dans sa présentation, l’économiste a rappelé que tout n’était pas sombre. La croissance du PIB réel montre des signes d’accélération, le ratio dette publique/PIB s’améliore, et le système bancaire reste globalement solide malgré les crises.

Mais ces bonnes nouvelles sont éclipsées par des déséquilibres persistants : inflation tenace, pressions sur le marché de change, déficit budgétaire élevé, creusement de la balance commerciale et pénuries d’électricité, de carburant ou d’eau. Face à cette réalité, Ndikumana a été catégorique : ces déséquilibres ne disparaîtront pas d’eux-mêmes. Ils appellent une refonte systémique de l’économie, et non des solutions ponctuelles.

L’urgence de stabiliser

Pour le professeur, la priorité absolue est la stabilisation. Stabiliser les prix afin de protéger le pouvoir d’achat. Stabiliser le taux de change pour restaurer la confiance. Stabiliser la dette publique afin d’éviter l’asphyxie budgétaire. Cette stabilité, explique-t-il, n’est pas une option technique mais la base sur laquelle reposent la performance économique et les objectifs sociaux : réduire la pauvreté, créer de l’emploi et améliorer la répartition des revenus.

Il a insisté sur la nécessité d’une meilleure coordination entre la politique monétaire, la politique budgétaire et la politique de change. Tant que ces trois leviers ne fonctionnent pas ensemble, aucune réforme ne pourra produire ses effets.

Le mirage du “free money”

Un des passages marquants de son intervention a été sa mise en garde contre ce qu’il appelle la tentation du free money. Trop souvent, les gouvernements croient pouvoir financer leur déficit par la création monétaire ou par un recours excessif à la dette intérieure. Ce choix facile, prévient Ndikumana, finit toujours par coûter cher : il alimente l’inflation, fragilise le marché financier et prive le secteur privé de l’accès au crédit.

L’exemple de l’Éthiopie, qui avait massivement financé ses investissements publics via la banque centrale et les banques commerciales, illustre le danger. Le pays a connu une croissance rapide, mais au prix d’une inflation galopante, de déficits persistants et d’une monnaie affaiblie. Au Burundi, céder à cette tentation reviendrait à retarder le développement d’un outil essentiel : le marché des obligations et des titres publics, indispensable pour un financement soutenable de l’État.

Le casse-tête du taux de change

Parmi les préoccupations des Burundais, la question du taux de change occupe une place centrale. Ndikumana a souligné que se concentrer uniquement sur son unification était une erreur stratégique. Selon lui, le taux de change n’est pas une variable que l’on manipule directement : c’est le reflet de la santé globale de l’économie.

Son évolution dépend de plusieurs facteurs : la robustesse de la croissance, la confiance dans les actifs financiers du pays, le différentiel des taux d’intérêt et l’écart d’inflation avec l’étranger. Pour être stabilisé durablement, le taux de change exige donc une action coordonnée sur plusieurs fronts : discipline budgétaire, crédibilité monétaire et renforcement de la production nationale.

Une question de système

Au-delà des chiffres, le professeur a insisté sur un point de méthode : ce ne sont pas des politiques isolées qui sauveront l’économie, mais un changement de système. Quand le cadre institutionnel est défaillant, les politiques deviennent inopérantes et finissent par être injustement blâmées. D’où l’importance de réformes structurelles touchant à la gouvernance, à la transparence et à la lutte contre la corruption.

Pour Ndikumana, la résilience ne doit pas être confondue avec la résignation. Réformer demande du courage politique et un effort de pédagogie. Les coûts seront réels à court terme, mais l’inaction coûtera bien plus cher.

Entre science et art du possible

En conclusion, le professeur a voulu rappeler que le Burundi n’est pas condamné. Le pays a des atouts, une volonté politique affichée et des secteurs porteurs comme l’agriculture, les mines et le tourisme. Mais le chemin exige rigueur, constance et une approche systémique.

La politique économique, a-t-il souligné, est à la fois une science et un art. Science, parce qu’elle doit s’appuyer sur des faits et des modèles éprouvés. Art, parce qu’elle exige du tact, du dialogue et un sens du possible.

 

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