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Du fond de la prison de Gitega, Émilienne attend l’heure de la justice

Vous souvenez-vous de cette secrétaire qui a accusé, devant le ministre de l’Education, le directeur du Lycée Christ-Roi de Mushasha d’abuser sexuellement ses élèves ? Contre toute attente, C’est elle qui s’est retrouvée écrouée parce qu’elle aurait calomnié l’Abbé directeur. Nous sommes allés lui rendre visite et nous avons mené une petite enquête. 

Au milieu de la journée, bravant le vent glacial, je pénètre dans les enceintes de la prison centrale de Gitega. Je parle à mon collègue pour casser l’ambiance morose qui règne dans ce lieu. « Chut ! Ici, il y a des oreilles partout », m’interrompt mon collègue à cause de la sensibilité de l’affaire qui nous amène ici. Je viens chercher des réponses sur cette affaire qui m’étonne. Comment se fait-il que celle qui a dénoncé les abus d’un éducateur se retrouve derrière les barreaux ? Le 27 Janvier 2023, le ministre de l’Education se rendait à Gitega pour s’enquérir des doléances de la population et des intervenants de ce secteur. C’est dans ce cadre que la secrétaire du lycée technique Christ Roi de Mushasha, Émilienne Sibomana, a jeté le pavé dans la marre. Elle ne s’est pas contentée d’accuser le directeur, moine de son état, d’abuser sexuellement des jeunes élèves dont il a la charge. Elle a même précisé qu’il y avait dans son bureau un matelas pour accomplir ces actes odieux.

Émilienne ne désarme pas 

D’un pas serein, nous voyons la détenue qui longe le couloir et semble nous reconnaître. Une perruque de cheveux défrisés pour un visage rond. Elle a un teint foncée. De son regard perçant, elle nous toise du regard. Les barreaux nous séparent et il y a un monde fou devant la porte grillagée, mais nous trouvons quand même un moyen d’engager la conversation. Dotée d’une vivacité déconcertante, Émilienne Sibomana nous relate ses précédents démêlés avec père Laurent Ntakarutimana, directeur du lycée technique Christ Roi de Mushasha. Difficile d’entendre tous ce qu’elle dit dans cette foule de gens qui s’empressent de discuter avec les leurs.

Elle commence par ce que nous avions déjà entendu ces derniers mois. Avant qu’Émilienne ne prenne la parole en public la date fatidique du 27 janvier, ses collègues et elle avaient écrit une lettre adressée au ministre de l’Education pour dénoncer le directeur mais celle-ci avait été classée sans suite, fait-elle savoir. Furtivement, je jette un regard discret à mon collègue, l’oreille tendue. Je ne sais pas si je dois croire cette mère de famille dont le témoignage est troublant. L’implication d’un prêtre dans une affaire d’abus sexuels me fait toujours froid au dos. Surtout quand je l’entends de vive voix d’une femme incarcérée. Mais la question qui me taraude l’esprit, et qui a valu peut-être la prison à Emilienne est : « Y a-t-il des preuves ? »

« C’est la complexité de cette affaire, il n’y a pas de preuves concrètes et les victimes/témoins ont peur de témoigner après ce qu’ils m’ont fait ! », rétorque-t-elle. Mais elle affirme au détour d’une phrase qu’elle aurait pris en flagrant délit le prêtre.

« Je ne comprends pas pourquoi ils se sont empressés de m’enfermer »

Tandis qu’il pleut des cordes, nous nous écartons de cette quinquagénaire pour essayer de nous abriter mais elle nous fait signe de nous approcher, avide de se décharger. « Je ne comprends pas pourquoi ils se sont empressés de m’enfermer quand je leur ai dévoilé ces abus alors que je parlais au nom du syndicat que je représente, en l’occurrence, le syndicat général du personnel de l’éducation.»

Elle conclut en implorant le président de la République d’éradiquer les abus sexuels au sein des écoles et de réprimer les comportements malsains de certains éducateurs envers leurs élèves. « Nous les syndicalistes, quoi qu’il advienne nous militerons pour sauver le Burundi de demain », lance-t-elle d’une voix très ferme.

Pour connaître le fin mot de cette histoire, je contacte un éducateur (qui a requis l’anonymat) du lycée Christ Roi qui me partage son avis : « Nous n’avons jamais reçu ni de plaintes des élèves accusant le directeur ni de preuves, c’est pourquoi nous ne pouvons pas confirmer les accusations d’Émilienne. Dans les organes de concertation de l’établissement, nous n’avons jamais traité un cas pareil ». 

Pourtant, les accusations d’Emilienne pourraient être fondées, d’après les propos d’un membre d’un autre syndicat des enseignants (il a lui aussi requis l’anonymat) travaillant à Bugendana avec qui nous avons discuté. Il a même ajouté que le prêtre accusé aurait des antécédents dans une autre école qu’il a dirigée. 

« Les enfants sont pointés du doigt par d’autres gamins »

De plus en plus confuse, je parviens à joindre le mari de la concernée, David Niyungeko, clame lui aussi justice pour sa femme. Il est en voyage mais il me répond au téléphone. David me brosse le portrait de sa femme : « Émilienne est une femme réservée mais qui ne ferme pas les yeux face à l’injustice ». Indigné, le mari avoue que certaines personnes lui ont demandé de chercher des papiers qui attestent que sa femme souffre d’un trouble mental pour qu’elle soit la libérée. Ce qu’il a refusé catégoriquement. « Ma femme n’est pas folle ! ». Tu sais, me souffle-t-il à l’autre bout du fil, tout ça c’est parce qu’elle a refusé certaines propositions politiques. 

Il ajoute que depuis il subit certaines menaces et ses proches lui conseillent de quitter le pays. Le plus dure, conclut-il, ce sont les enfants. Ils sont pointés du doigt par d’autres gamins. « Ils font profil bas mais je sais que cette situation les touche profondément. »

Plus tard  nous parvenons à avoir les contacts du principal concerné, le directeur du Lycée technique Christ-Roi, père Laurent Ntakarutimana. Sur son mur whatsapp une inscription : L’anima mia magnifica il Signore (mon âme exalte le Seigneur). Après des messages de courtoisie, je lui indique que j’aimerais discuter avec lui sur ce dont l’ancienne secrétaire de Christ-Roi l’accuse. Pour toute réponse, il m’envoie en parler avec ses supérieurs. Fin de la discussion.

A  la fin de la rédaction de cet article, il m’est impossible de me faire une idée fixe sur cette affaire. Comme toutes les autres affaires liées au VBGs, tout est compliqué, et les preuves sont difficiles à réunir. Toutefois, il serait incroyable d’imaginer que cette dame Emilienne a inventé toute cette histoire. Pour rappel, conformément à l’article 579 du code pénal de 2017 toujours en vigueur : « Le viol est puni de 15 à 25 ans de servitude pénale et d’une amende de 50000 à 200000 francs burundais lorsqu’il est commis par un éducateur ». L’affaire est toujours pendante devant la Cour d’appel de Gitega. Nous ne pouvons espérer qu’une chose : que la justice fasse son travail et que le coupable soit puni. 

 

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Les commentaires récents (4)

  1. Bravo pour cette investigation très sensible et réalisée avec tact. Espérons que votre article concernant cette affaire d’un Prêtre impliqué dans un présumé crime sexuel , sera la lumière qui éclaire les consciences. La Justice doit libérer immédiatement Émilienne Sibomana et organiser une confrontation contradictoire entre elle et le Prêtre Directeur de l’École qu’elle accuse. Le viol de mineurs, par un adulte qui aurait en plus de l’autorité sur eux, constituerait une crime d’une particulière gravité. L’impunité en la matière constituerait un encouragement donné à tous les prédateurs sexuels perpétrant leurs crimes abominables dans les établissements scolaires du Burundi. L’État a le devoir absolu de protéger les mineurs contre les dépravés sexuels !

  2. L’affaire pourra être etouffée par les juges mais le temps est le meilleur juge. Ces filles abusées, une fois adultes ou n’etant plus à cette école parleront un jour. Émilienne ou l’abbé directeur, si vos consciences sont tranquilles, courage!