A quelque chose malheur est bon. Si la grande majorité des Burundais regrettent la pénurie de carburant en cours dans le pays, surtout dans les zones urbaines, cette blogueuse n’hésite pas à prendre le contre-pied de ses concitoyens pour oser penser différemment. Elle laisse libre cours à son imagination. Elle voit dans la crise actuelle l’opportunité de réorienter l’économie du pays vers un modèle écologiquement durable, un back to the roots pour transformer l’obstacle en opportunité et sortir gagnant de cette mauvaise passe. Il fallait y penser…
La pénurie de carburant au Burundi aurait pu être une chance… Tu ne me crois pas ? Je m’explique. Soyons honnêtes. Vu la direction que prend le monde aujourd’hui, entre guerres et catastrophes écologiques, d’autres pays pourraient connaître ce genre de situation dans l’avenir. Soyons honnêtes une fois de plus. Le carburant est à la fois notre meilleur ami et notre pire ennemi quand on sait la pollution qu’il engendre. En déployant une vision ambitieuse, le Burundi aurait pu écrire l’histoire inspirante d’un pays qui parvient à vivre et fonctionner avec un minimum de carburant disponible.
Quand le covid est arrivé, panique exige, les gens étaient prêts à se battre pour du papier toilette dans les rayons des supermarchés en Europe ou aux États-Unis. Ce jour-là, j’ai su que si une pénurie ou un événement tragique venait à obliger un jour les occidentaux à perdre ne serait-ce qu’un tout petit peu de leur confort, la situation tournerait très vite à la catastrophe, voire à la guerre civile. Je ne connais pas un pays où des pénuries de carburant comme on en connaît aujourd’hui au Burundi n’auraient pas provoqué des scènes de panique massives et une violence incontrôlable. Mais pas ici. Les Burundais ont encore une fois mérité leur titre de champion du monde de la résilience. Bien sûr, ce calme apparent, cette capacité à s’adapter à toutes les situations, cache trop souvent une peur profonde, des traumatismes encore vivaces, de la lassitude ou du désespoir… Toujours est-il que, même si la colère gronde, elle n’explose pas.
Penser aux générations futures
Pourtant je persiste et signe, cette pénurie de carburant qui dure et s’installe de plus en plus gravement au fil des années, la terrible crise économique et l’inflation qui étrangle les foyers… auraient pu être une chance. Une chance de tout changer. L’occasion de devenir enfin une nation avant-gardiste à tous points de vue. L’occasion de s’extraire des logiques de croissance et de développement capitalistes pour inventer autre chose : un exemple pour tous sur le plan écologique, une nation où l’Homme et la nature passeraient avant tout le reste.
Rappelons-nous qu’il y a moins de cent cinquante ans, le Burundi était une civilisation du végétal qui ne produisait absolument aucun déchet, aucune pollution. Une civilisation dont les croyances imposaient le respect du vivant, qu’il s’agisse des femmes et des enfants, des arbres, des animaux ou des plantes. Aujourd’hui, les éléphants, les lions, les gorilles ont tous disparu jusqu’au dernier dans l’indifférence générale. L’architecture traditionnelle est délaissée au profit des tôles et des ameublements venus d’ailleurs. La forêt de la Kibira, poumon et château d’eau du pays, a déjà perdu plus de la moitié de sa superficie. Les batwa, nos ancêtres à tous, ont été chassés de leurs milieux naturels et errent sans terre, déconsidérés par une population qui semble espérer leur disparition définitive.
Aujourd’hui, on fait la promotion des pesticides et engrais chimiques qui vont détruire la terre sur plusieurs générations auprès de paysans sans aucune formation pour une utilisation respectueuse de l’environnement. Ces produits occidentaux ne provoquent que cancer pour ceux qui les emploient et bientôt l’infertilité pour les sols. La pharmacopée traditionnelle est délaissée alors qu’elle permettrait de soigner efficacement plusieurs maladies. Les croyances qui nous relient à nos ancêtres et à notre environnement ont été pratiquement et complètement abandonnées au profit d’églises venues d’Europe ou des États-Unis. Autrefois, il y avait des solutions naturelles et écologiques pour tout, et l’on s’accommodait de vivre sans babioles en plastique ni meubles Kitchs importés de Dubaï. Ce « développement » vendu par les colons et les libéraux de tout poil est mortifère et causera bientôt de gigantesques tragédies. Le réchauffement climatique est en marche pour nous le prouver. Que laisserons-nous aux générations futures ? Le lac Tanganyika nous rappelle aujourd’hui que face à la nature, l’Homme n’est rien et qu’il serait bon de retrouver un peu d’humilité. Bien sûr, le Burundi ne redeviendra plus tel qu’il a été…
Le pays le plus écologique du monde
C’est impossible et ce n’est pas ce dont je rêve. Ce dont je rêve, c’est d’un pays qui allierait savoir-faire traditionnel et innovations éthiques disponibles pour devenir « le pays le plus écologique du monde ». Imposer uniquement l’usage de bouteilles en verre en relançant la production locale et enfin bannir ces boissons remplies de sucre et de colorants qui détruisent les dents et la santé des enfants, produire plus d’emballages en papier et en carton, mais aussi en feuilles de bananiers. Recycler tout ce qui peut l’être… Bien sûr, les grandes usines de recyclage et transformation du plastique coûtent chers, mais des Burundais aujourd’hui transforment déjà à petite échelle le plastique usagé en pavés pour fabriquer des routes, des jouets pour enfants, des statues colorées ou de petits objets de décoration. Le tout avec si peu de soutien.
Des Burundais veulent redonner aux lacs et forêts leurs espaces et limites d’antan. Des Burundais rêveraient d’avoir les moyens de fabriquer des gourdes réutilisables en bambou ou en calebasses. Des Burundais voudraient que les pailles en plastique soient bannies au profit des pailles végétales traditionnelles. Des Burundais voudraient développer à grande échelle les toilettes sèches, la permaculture, le vermicompostage… Ces personnes existent, ici, et partout ailleurs en Afrique. Au Ghana ou en Ouganda, une production locale de vélo en bambou est lancée ! Pourquoi ne pas investir dans le transfert des technologies ? Pourquoi ne pas importer des ânes d’Afrique de l’Ouest pour transporter les marchandises ? Pourquoi vivre comme s’il était impossible de trouver des solutions durables ?
Appuyer cette jeunesse innovante
Si le pays souhaitait développer une vision concrète, appuyer cette jeunesse innovante, mettre toutes ses forces dans la recherche de solutions… Oui, je l’affirme, la pénurie de carburant pourrait être une chance. Qui a besoin d’essence ? Les transports publics qui déplacent les travailleurs et les étudiants, les camions qui transportent les marchandises…ou les énormes 4×4 transportant deux ou trois personnes se croyant plus importantes que les autres citoyens ? Pourquoi les routes ne sont-elles pas aménagées pour la circulation des motos et des vélos, et les citoyens encouragés à utiliser ces moyens de transports au lieu de les bannir du centre-ville ? Pourquoi est-ce que ce ne sont pas les gros véhicules polluants qui sont exclus de certains quartiers ou sanctionnés pour favoriser les moyens de transports les moins gourmands en carburant ? Quand est-ce que le bien-être du peuple passera-t-il avant celui de la bourgeoisie ?
Booster le tourisme, oui. Mais comment ?
On nous fait croire que les hôtels cinq étoiles ramèneront des touristes, alors qu’il y a des coupures intempestives d’eau et d’électricité, qu’il n’y a pas de carburant pour faire tourner les groupes électrogènes ou déplacer les visiteurs, et une connexion internet minable. A l’aéroport, on ne vous laisse plus entrer avec un appareil photo sans devoir aller faire une déclaration officielle, et l’usage de drones est devenu presque impossible.
Quel touriste s’embarrasserait de toutes ces restrictions et complications pour se rendre dans un hôtel qui existe à l’identique dans tous les autres pays du monde ? Ce que les touristes veulent, c’est découvrir quelque chose de différent : une oasis de nature et de paix, un authentique pays africain. Les touristes veulent rencontrer les populations locales, comprendre comment elles vivent, découvrir l’intérieur du pays qui regorgent de merveilles, dormir dans des cabanes en bambou aux toits de chaume (il suffit de voir le succès de Sunstone et Bluebay), voir des animaux dans leur milieu naturel et pas enfermés dans de minuscules cages dans un « Musée Vivant » qui n’a rien de vivant, visiter de beaux et fiers musées retraçant l’Histoire du pays, plutôt qu’un petit bâtiment décrépi, mal aménagé et bien trop peu documenté sur de nombreux aspects.
Une crise, c’est une opportunité
Qui croit et rêve à ce développement que l’on nous vend en prétendant que dans vingt, trente ou quarante ans, Bujumbura, notre belle capitale ressemblera à New-York avec de hautes tours qui gâchent le paysages, des hôtels de luxe et des infrastructure créant une pollution destructrice pour les humains et l’environnement ? Pourquoi ne pas avoir une vision de développement unique, originale et se donner les moyens pour l’atteindre ? Le bien-être physique et psychologique de la population et la protection de la nature comme seules priorités. Pourquoi ne pas s’inspirer des pays qui font des efforts pour avancer dans cette direction et qui trouvent des solutions en Afrique ou en Amérique Latine ? Avec une telle vision, dans vingt, trente ou quarante ans, quand les autres pays du monde connaîtront des crises et pénuries à répétition, ils seront plein d’admiration pour ce petit pays que l’on disait le plus pauvre du monde et qui a pourtant réussi à se tailler une place au soleil, ce pays qui a été un laboratoire d’innovations écologiques et d’adaptations. Une crise, c’est une chance, une opportunité. Une occasion de faire des rêves tout neufs, des rêves différents, des rêves éthiques, intelligents et conscients pour atteindre enfin le changement véritable.
Très bonnes idées dans cet article. Il faudrait répéter régulièrement sa publication pour qu’il touche plus de monde.