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En partance pour Riyad : conversation avec une migrante vers « l’Eldorado »

Cela fait un moment que, chaque fois que je me rends à l’aéroport, une scène familière m’attend : une file de jeunes filles, souvent voilées, toutes habillées de la même manière, presque comme des uniformes d’infirmières. J’ai longtemps eu envie de savoir comment elles vivent cette aventure. Récemment, j’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots avec l’une d’elles. Une rencontre brève, mais marquante.

Il est 15 h, j’ai déjà fait mon check-in, j’attends juste l’embarquement en lisant un bouquin. Un groupe de filles vêtues de t-shirts identiques arrive dans la salle, pas possible de ne pas les remarquer (comme toujours). À côté de moi, vient alors une jeune fille, Amina*. Elle est toute petite, à vue d’œil, je lui donnerais 17 ans. C’est elle qui m’aborde en premier en me demandant : « c’est dans cet avion qu’on part ? » Un peu surprise, je hoche la tête, prête à replonger dans ma lecture. « On prend le même avion ? » Enchaîne-t-elle. Là, je ferme mon livre. La conversation est lancée. Elle semble avoir envie de parler, de se libérer d’un poids. Peut-être même de se convaincre qu’elle n’a pas peur. Je lui demande si c’est son premier vol. Elle répond que oui. « Tu vas où ? » En Arabie Saoudite, répond-elle, un large sourire aux lèvres.

Premier voyage, premier papillon !

Amina est native de Rugombo, une commune de la province Cibitoke. Elle n’a pas poursuivi ses études. Elle sait lire et écrire, juste ce qu’il faut. Toute sa vie, elle n’a jamais imaginé voyager en avion. Certes, elle a déjà rêvé, rêvé d’avoir des terres, une parcelle, un mari, mais jamais d’un voyage en avion.

Je la revois me décrire l’Arabie Saoudite comme un enfant qui découvre quelque chose pour la toute première fois : « Tu sais, là-bas, c’est immense. C’est pour ça qu’ils cherchent beaucoup de travailleurs. Pas que des Burundais, non ! Y en a qui viennent du Bangladesh, d’Éthiopie… Et tu sais quoi ? On peut passer deux jours dans une voiture juste pour passer d’une ville à une autre ! Là-bas, il n’y a pas de pauvres. Tout le monde est riche !»

Elle sourit à pleins dents en me confiant : « Imagine ! Je vais gagner un million cinq cent mille Fbu !» Elle tourne la tête légèrement vers moi pour me lancer : « Combien de jeunes gagnent ça ici au Burundi ?».

La pessimiste en moi, nourrie des pires histoires sur l’Arabie Saoudite, n’ose pas casser sa joie avec des questions du genre : et si on te revend ? Et si tu tombes sur un réseau d’esclavage sexuel ? Je n’ai pas le courage. Alors je murmure un « Comment tu en es arrivée là ? »

Un système plutôt rentable…

« Un ami m’a parlé de ces filles qu’on envoie pour travailler là-bas. Il m’a dit qu’il y a des centres pour recrutement. C’est légal en plus. Il suffit d’un peu de chance. Tu amènes ton passeport, tu t’inscris dans un centre, tu fais une vidéo qu’on envoie en Arabie et tu attends d’être sélectionnée ». Commence-t-elle, avant d’ajouter : « Parfois, pour t’inscrire, tu donnes “un Fanta”. Un million de Fbu. Parfois un million cinq cent mille. Ou même deux millions. Ça dépend. » Je l’écoute, mi-amusée mi-choquée.

Elle continue : « Ensuite, si tu es sélectionnée, ton futur employeur paie pour le visa, le billet d’avion et aussi pour une formation. Moi, j’ai passé trois semaines à Kigobe à l’ambassade (c’est comme ça qu’on appelle cet endroit). On y apprend l’arabe, surtout pour les tâches ménagères ». Je la revois encore me répéter des phrases en arabe, que j’ai évidemment déjà oubliées.

Curieuse, je lui demande ce que gagne le centre dans tout ça ! Elle éclate de rire. « Ah, mais tu vois, le boss paie tout : Formation, hébergement… Parfois les repas, même si souvent, c’est nous qui payons les nôtres. Il envoie une somme avoisinant les 10 millions de Fbu pour tous ces frais. Et après, quand tu as bossé trois mois, il verse 12 millions au centre. »

Douze millions ! Difficile de vérifier. Elle-même semble ne faire que répéter ce qu’on lui a dit. Mais une chose est sûre : ce système est extrêmement rentable pour ceux qui l’organise. Je poursuis mes questions : « Pourquoi un boss paierait autant ? Ils n’ont pas de main-d’œuvre moins chère, là-bas ? » Elle s’assène direct : « Là-bas, personne ne veut faire les petits boulots. Ils sont tous riches ».

Sérieusement, aucune peur ?

Enfin, je décide de poser la question qui me brûle les lèvres depuis le début : « Tu n’as pas peur ? On entend tellement de choses… des rumeurs, des viols, de l’exploitation sexuelle ». Elle laisse échapper un petit rire nerveux. « Honnêtement, j’ai un peu peur. Peur de l’inconnu, peur de ne pas être à la hauteur, je n’ai pas fait d’études. » Puis elle enchaîne, presque pour se rassurer : « Mais maintenant, c’est légal. Même s’il t’arrive un truc, un viol, un meurtre, tu peux aller en justice. Parce que maintenant, le gouvernement sait où je suis. Avant, c’était clandestin. Déjà, là, après trois mois, j’aurai des papiers. Je pourrai me faire soigner. Donc, non, je n’ai pas peur de ça. Les risques, y en ont partout, non ? Même toi au bureau, tu peux être violée et ne rien dire. » Puis elle conclut, d’un ton plus grave : « Moi, j’ai juste peur de survivre. Parce que notre salaire, il est envoyé à nos familles. On ne le touche pas nous-mêmes. »

Je sens beaucoup de doutes derrière ses certitudes. Mais je n’ose pas insister. Pas cette fois. L’appel au boarding interrompt notre échange. Je lui tends la main avec un sourire sincère : « Courage. J’espère que tu vas assurer. Crois en toi. Si ça devient trop dur, n’aies pas honte de rentrer. Rentre. Ou recommence. Mais ne te laisse pas briser ».

Elle sourit, presque timidement en me disant : « A la prochaine…bon, je ne crois pas qu’on se reverra. Mais merci ».

Et moi, dans mon cœur, je sais qu’Amina monte dans cet avion avec ses rêves, ses espoirs, et ses peurs. Je ne sais pas si elle trouvera ce qu’on lui a promis. J’espère que les promesses qu’on lui a faites seront tenues. Qu’elle vivra vraiment ce rêve.

Ce dont je suis sûre, c’est qu’elle embarque pour l’inconnue. Pour le reste, que le ciel veille sur elle !

 

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