Il y a des textes qui se puisent à l’encre de la douleur. Il y a des histoires qui nous arrachent les tripes pour nous les jeter à la figure. Il y a des moments où on hait d’être humain. Voici l’histoire de la fin tragique d’Abdoul, déchiqueté par des charognards, dépecé comme un animal et supplicié à l’aune de l’obscurantisme le plus abject. Sa seule faute: être né avec peu de mélanine. Abdoul est parti. Comment pourrons-nous nous regarder dans le miroir avec cette cruauté dont un enfant de moins 5 ans a été victime ?
Il s’appelait Abdoul Igiraneza. Il a vécu. Il était né le 13 novembre 2017. Marie Godeberthe Kwizera, sa maman, ne vivait plus avec Aboubakr Hakizimana, son père, depuis qu’Abdoul avait un an. ‘‘Abdoul yakundwa na bose’’ (Abdoul était aimé de tous), glisse la maman d’une voie pleine d’une tristesse infinie.
Le pauvre gosse avait passé toute la journée à l’église qui se trouve près de la maison. Avec toute cette innocence des enfants qu’on connaît, aucune prémonition n’aurais laissé penser que ‘’Muzungu’’, comme l’appelait affectueusement les proches, vivait sa dernière journée.
Quand il est sorti de l’église avec une bande d’autres enfants (il était près de 19h), ils ont demandé à un motard qui était garé tout près de leur offrir un tour à moto. Le motard leur a expliqué que comme ils étaient nombreux, c’était impossible de les faire monter tous sur la moto, qu’il fallait attendre une voiture qui allait venir tantôt.
Et effectivement, une voiture est venue et les gosses sont montés pour faire un tour, avec eux Abdoul alias Muzungu. C’était son dernier voyage, hélas !
Pour un beignet, Abdoul est tombé
La voiture a démarré. Quand ils sont arrivés à Carama (à l’endroit appelé Torobeka), tous les enfants sont descendus, sauf Abdoul. Au moment de descendre, un charognard a offert ‘’Igitumbura’’ (un beignet) à Abdoul pour qu’il reste dans la voiture. Mieux, il lui a offert tout un sachet plein de beignets pour qu’il reste dans la voiture. Pour les enfants des quartiers pauvres, un beignet est un met auquel on ne résiste pas. Devant cet appât, Abdoul est tombé dans le panneau. Les bêtes l’ont amené vers son destin tragique.
Cette terrible histoire, c’est la maman d’Abdoul qui nous la raconte elle-même. Nous sommes allés la voir à Kinama, au quartier Muramvya, au fin fond de la 6ème avenue. C’est le plus difficile des entretiens que j’ai eu à faire de tous mes 15 ans de carrière de journaleux. On est jeudi, 03 février 2022. Godeberthe vient de rentrer de l’enterrement de son bébé qui a eu lieu à Cankuzo.
« Nti tukiri abantu turi inyamaswa »
J’ai peur de la regarder dans les yeux. Un morceau célèbre du (très) regretté Niyomwungere me revient en mémoire, « Twarahemukiye ba sokuru ». Presque indécent de venir importuner une maman affligée par la douleur de la mort atroce de son enfant. Mais dès que je l’ai contactée au téléphone, face à mes hésitations, c’est elle qui a presque insisté pour qu’on fasse cette interview le plus rapidement possible. Il faut que le monde sache ce qui s’est passé. Une autre raison, que j’ai découverte pendant l’entretien : il y aurait un homme prospère impliqué dans cette histoire glauque qui tirerait les ficelles pour étouffer l’affaire. C’est donc important pour elle que les médias en parle et que les gens ‘’d’en haut’’ sachent. C’est à peine si elle parvient à maîtriser sa rage. Elle parle à haute voix.
« Abdoul namubuze bamujanye »
Comment a-t-elle appris la mauvaise nouvelle ? Elle était partie à Carama pour une séance d’intercession parce que depuis quelques jours elle avait des problèmes de santé. Son dos lui faisait mal. Elle y a passée toute la journée. Quand elle est rentrée le soir, elle est allée directement au lit. Aux alentours de 20h quand le frère d’Abdoul est rentré, il a dit à sa maman : « Abdoul namubuze bamujanye » (Je ne parviens pas à trouver Abdoul. On l’a emmené).
Elle a directement eu un mauvais pressentiment. Elle a sauté du lit pour aller parler au pasteur de l’église où Abdoul avait l’habitude de passer ses journées. « Il était l’enfant de l’église », susurre la maman, triste. C’est à ce moment-là (aux alentours de 22h) que l’alerte a été lancée dans les groupes WhatsApp. Le lendemain, quelqu’un de Cankuzo a envoyé les images du petit Abdoul mutilé.
C’est important de noter que les chrétiens voisins ont demandé à Godeberthe de ne pas regarder les images. Tellement elles étaient choquantes. La suite, on la connaît. Abdoul s’en est allé. Que son âme innocente repose en paix !
Des questions, rien que des questions
Après la terrible nouvelle, il a fallu monter à Cankuzo, et ce n’était pas une sinécure. Mme Godeberthe a fait le commerce des légumes au centre ville. Mais depuis les jets de grenades qui ont eu lieu au centre-ville, elle a eu peur pour sa vie. Elle se débrouille comme elle peut au quartier. « J’étais sans le sou quand ce malheur m’est tombé dessus. Le père de mon enfant n’a rien foutu. Au lieu de compatir avec moi, il m’a d’abord accusé d’avoir vendu mon enfant ».
Comment va-t-elle organiser le levée de deuil ? Avec toutes ces dépenses imprévues son capital, de 100 mille FBu, a fondu comme la neige au soleil. « Comment vais-je survivre à tout ça ? Et le procès ? ». Elle se demande comment elle va suivre le procès des meurtriers de son enfant qui se déroule à Cankuzo. Encore qu’elle a des doutes par rapport à la conduite du procès des meurtriers de son enfant. Et pour preuve, parmi ceux qui avaient été arrêtés, certains auraient été déjà relâchés
Quel horreur ! C’est triste que Dieu le tout puissant accueille cet ange dans son royaume. A la maman, tout être humain épris de la bonne foi qu’il lui viennent en aide. Aux auteurs du crime, que toutes les mesures soient prises pour décourager cet esprit obscur.
Dieu vengera le petit Abdul. Sans doute que l’Eternel a déjà reçu son humble âme auprès de lui.
C’est vraiment dommage !! Twigaye tumaramare
Speechless
Aout ou fevrier?