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Gratuité des soins : le revers de la médaille

Lors d’un congrès parlementaire, certains élus ont tiré la sonnette d’alarme : les hôpitaux publics traversent une crise financière aiguë. En cause, selon eux, les retards prolongés de paiement des services couverts par la gratuité des soins, notamment ceux destinés aux enfants de moins de cinq ans, aux femmes enceintes et aux accouchements. Derrière cette gratuité, se cache un système complexe de financement et de remboursement. Une source introduite en milieu hospitalier nous en explique où se situe le nœud du problème. 

Le 7 octobre 2025, députés et sénateurs étaient réunis en congrès lorsque le Premier ministre, Nestor Ntahontuye, a présenté le rapport semestriel d’exécution du Plan de Travail et Budget Annuel (PTBA) 2024-2025. Les élus ont signalé que les hôpitaux publics font face à d’importantes difficultés financières ces derniers temps. Ils attribuent ces tensions aux retards de paiement du gouvernement pour les services financés par les programmes de gratuité des soins. Ils ont également évoqué les retards de remboursement liés à la Carte d’Assurance Maladie (CAM), qui aggravent encore la situation financière des établissements hospitaliers.

Selon une source bien informée ayant requis l’anonymat, le mécanisme de financement et de paiement des programmes de gratuité est particulièrement complexe. Cette lourdeur administrative serait l’une des principales causes des retards observés dans le remboursement des hôpitaux.

Une gratuité qui coûte cher

Derrière la « gratuité », se cache en réalité un système financé à plusieurs niveaux. D’une part, le gouvernement burundais consacre une ligne budgétaire spécifique à ces soins subventionnés. D’autre part, plusieurs partenaires au développement, notamment Enabel et Cordaid, soutiennent le programme à travers le Financement Basé sur la Performance (FBP). Ce mécanisme prévoit des grilles tarifaires précises. Par exemple, dans les hôpitaux publics des districts de l’intérieur du pays, une consultation curative d’un enfant de moins de cinq ans est facturée 6 100 BIF à l’Etat. Pour une femme enceinte venue en consultation médicale, l’État rembourse 14 500 BIF à l’hôpital. En cas d’intervention chirurgicale, les montants varient selon la nature de l’acte : 8 000 BIF pour une chirurgie mineure et 44 000 BIF pour une chirurgie majeure.

Concernant les accouchements, la prise en charge diffère également : 26 000 BIF pour un accouchement par voie basse et 374 000 BIF pour une césarienne.

Lorsqu’une hospitalisation s’impose, la journée est facturée 7 000 BIF pour une femme (visites médicales, soins infirmiers et actes cliniques inclus). Pour les enfants de moins de cinq ans, la journée d’hospitalisation est légèrement plus élevée, car fixée à 8 500 BIF.

Cependant, la couverture ne s’applique qu’à certaines pathologies : infections, complications liées à la grossesse, diabète gestationnel, fausses couches ou menaces d’accouchement prématuré, entre autres. Les soins non directement liés à la maternité ou à la petite enfance, comme un accident, ne sont pas pris en charge.

Un système de remboursement à bout de souffle

Chaque hôpital ou centre de santé intégré au système de gratuité soumet mensuellement ses factures à la Cellule Technique Nationale du Financement Basé sur la Performance (CTN-FBP), qui contrôle la quantité et la qualité des actes réalisés avant de valider les paiements.

Mais en réalité, les dernières factures payées datent de janvier 2025. « Le dernier paiement reçu par les hôpitaux remonte en janvier 2025 », confie sous anonymat un cadre du secteur de la santé.

Depuis plus de huit mois, bientôt neuf, les établissements attendent toujours le remboursement de leurs prestations. Conséquence : les hôpitaux publics, dont la majorité des patients relèvent des programmes de gratuité, se retrouvent sans liquidités pour acheter des médicaments, des réactifs de laboratoire ou du matériel médical. Les employés contractuels, déjà précaires, subissent les retards de salaire et la surcharge de travail, car l’État n’engage plus fréquemment de personnels sous statut. Les hôpitaux doivent donc puiser dans leurs maigres ressources pour assurer leurs rémunérations.

Les causes du blocage de l’engrenage

Les retards de paiement trouvent leur origine dans plusieurs facteurs, selon notre source. Premièrement, la réduction du soutien des partenaires internationaux, qui a accru la pression sur le budget national. Deuxièmement, une planification budgétaire déconnectée des réalités démographiques : la natalité, en hausse constante, augmente mécaniquement le nombre d’enfants de moins de cinq ans, tous bénéficiaires de la gratuité des soins.

Il faut aussi souligner que le nouveau découpage administratif du pays a désorganisé les équipes chargées d’évaluer les hôpitaux. Celles-ci géraient auparavant les districts liés aux anciennes provinces, mais se trouvent désormais déboussolées. Enfin, la lourdeur bureaucratique entre les ministères concernés ralentit encore davantage le processus de paiement.

Des conséquences directes sur les patients

Ces retards ont des effets concrets et préoccupants, selon les responsables d’hôpitaux : ruptures de stocks de médicaments et de matériel médical, difficultés d’approvisionnement, et pression sur les équipes médicales. De nombreux patients se voient contraints d’acheter leurs médicaments dans des pharmacies privées, faute de stocks suffisants dans les hôpitaux. L’inflation aggrave encore la situation : une consultation pédiatrique remboursée à 6 100 BIF coûte en réalité plus de 25 000 BIF, un écart qui creuse le déficit des établissements. Dans plusieurs services, les médicaments de spécialité ne sont plus prescrits qu’aux patients payant en espèces ou bénéficiant d’une mutuelle. Les bénéficiaires de la gratuité, eux, reçoivent le plus souvent des génériques de base. La qualité des soins s’en ressent : les examens nécessaires pour établir un diagnostic précis deviennent difficiles à réaliser. Certains médecins parlent désormais de « guérison probabiliste », faute d’analyses complètes.

À ces difficultés s’ajoute un autre problème structurel : certaines structures déclareraient des actes fictifs, gonflant artificiellement leurs factures pour compenser les retards. La CTN-FBP est souvent contrainte de mener des enquêtes de vérification, ce qui ralentit encore davantage le processus de paiement.

Un modèle en péril

Au-delà des chiffres, c’est tout le modèle de la gratuité des soins de santé qui semble vaciller. Conçu pour protéger les populations les plus vulnérables, il repose sur un équilibre financier fragile. Sans une révision en profondeur du mécanisme de financement, une meilleure coordination institutionnelle et une planification budgétaire fondée sur des données fiables, les hôpitaux publics risquent une véritable asphyxie. En définitive, ce sont les femmes, les enfants et les familles les plus modestes qui paient le prix fort de ces retards.

 

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