A Gatumba, la rentrée scolaire s’est faite timidement. Parents et élèves se disent découragés et traumatisés par les récurrentes inondations. Cependant, certaines écoles sont résilientes. Elles construisent des passerelles et engagent des psychologues pour protéger et assurer la prise en charge des enfants souffrant de traumatismes.
Lundi 10h, la rentrée scolaire siffle la fin des vacances à Gatumba. A l’école fondamentale Mushasha I et Mushasha II, deux des établissements durement touchés par les récentes inondations du mois d’avril, la rentrée scolaire bat son plein. Même si l’Etat a ordonné aux habitants de cette zone d’aller s’installer ailleurs.
Des écoliers jouent dans la cour, tandis que d’autres sont déjà en classe. Les traces des inondations sont encore visibles sur les murs des locaux. Malgré une saison sèche qui a duré plus de trois mois, une partie de la cour de l’école est encore boueuse.
Les parents résignés
Certains parents ont fait le choix courageux d’accompagner leurs enfants, malgré le désarroi qui persiste dans leurs yeux. Ils sont conscients des défis qui les attendent et redoutent le pire. Charles*, un père de huit enfants, est profondément angoissé. « L’Etat nous a dit qu’il faut aller s’installer ailleurs.» Pourtant, explique ce père de famille, je n’ai pas d’argent pour aller dans un lieu non inondable.
Pour lui, cette rentrée scolaire est un véritable cauchemar. « J’ai dépensé plus de 100 milles BIF pour acheter des cahiers, mais cela reste insuffisant. Je crains que cet investissement ne soit réduit à néant, comme l’année dernière. Quatre de mes huit enfants ont échoué à cause des inondations.»
Charles poursuit en expliquant que le mois d’avril est synonyme d’inondations à Gatumba, et que la communauté se retrouve alors déplacée vers le site de Sobel. Pour ce cinquantenaire, la situation est encore plus préoccupante, car cette catastrophe a véritablement ruiné sa famille. « Les inondations ont détruit mon business, ma seule source de revenus. En avril, j’ai perdu 40 poules, 30 canards et 8 chèvres. », déplore-t-il.
Certains élèves s’inquiètent
Sa fille, Chanella, se dit inquiète et découragée : « J’ai échoué la 5ème année à cause des inondations. Nous avons été déplacés à plusieurs reprises et j’étais traumatisée. Nous dormions dans des tentes et je ne mangeais qu’une fois par jour à peine.» Dans de telles conditions, précise-t-elle, il lui était impossible de se concentrer.
Cette adolescente de 15 ans redoute à nouveau l’échec. « Rien n’a changé. Notre école est toujours située dans une zone sujette aux inondations. La construction d’une digue qui pourrait nous protéger, n’a toujours pas été réalisée. » Malheureusement, conclut-elle, « il ne fait aucun doute que nous devrons bientôt fuir vers le site de Sobel pour échapper aux inondations. »
Du côté des enseignants et des directeurs de cet établissement, c’est le silence radio. « Nous ne pouvons pas nous exprimer sans l’aval de nos supérieurs hiérarchiques », disent-ils.
Ecofo caritas construit une passerelle
À côté de l’Ecofo Mushasha I et II, se trouve une autre école privée, l’Ecofo Caritas Global School. Cette école se prépare activement à faire face aux éventuelles inondations. Un pont d’environ 100 mètres relie la RN4 à cet établissement scolaire. Des élèves curieux de l’école fondamentale Mushasha I et II sont venus admirer cette nouvelle infrastructure. Teddy*, l’un d’entre eux, est émerveillé par cette passerelle. Il s’agenouille sur le pont pour observer attentivement sa construction.
Selon Teddy, ce pont porte une signification profonde. « Cette école aime les enfants et les protège. Ceux qui étudient ici se sentent en sécurité. Même en cas d’inondations, ils peuvent sortir, car les eaux ne peuvent pas dépasser ce pont solide.»
Avec un sourire aux lèvres, Niella Irakoze, une élève de sixième année de l’école fondamentale, confie que ce pont la rassure : « Depuis l’année dernière, je ne me suis jamais sentie en sécurité lorsque j’étais en classe. J’attendais que les eaux de la rivière Rusizi nous engloutissent et que nous mourions tous. »
Maintenant, ajoute-t-elle, je suis sereine. Je peux suivre tranquillement les cours, car je suis sûre que même si les eaux montent, nous pourrons facilement accéder à la RN4 grâce à ce pont. De plus, en cas de prise en otage par les eaux, ils pourront se réfugier dans les étages des bâtiments en attendant les secouristes.
Cependant, ce qui reste effrayant pour elle, c’est la nuit. À la maison, elle dort dans une maison en brique adobe. Les eaux pourraient les engloutir à tout moment, ce qui suscite une certaine appréhension.
Maintenir l’éducation coûte que coûte
D’après Bora Mbarira, directrice de l’Ecofo Caritas Global School, l’école a choisi cet emplacement, car les locaux situés dans le village de Kinyanya I sont inondés. « Nous avons décidé de louer ces nouveaux locaux afin de permettre aux 350 élèves de continuer leur formation, même si ce déménagement a engendré des dépenses importantes. »
L’école a dû payer le loyer, investir dans la construction de ce pont et acheter de nouveaux matériels didactiques pour remplacer ceux endommagés par les eaux. Selon la directrice, l’école prévoit de renforcer ce pont avec des matériaux durables dans un avenir proche.
Cette institutrice évoque les conséquences des inondations sur le programme : « Suite aux inondations, nous subissons trois conséquences. » Tout d’abord, il y a eu un nombre important d’abandons scolaires, car certains élèves ont dû déménager ailleurs. Revenir à l’école était pratiquement impossible pour eux. Même parmi ceux qui sont restés à Gatumba, ils n’ont pas atteint le niveau requis par cette école.
Par exemple, dans la classe de 9e, lors du test national, tous les élèves ont réussi, mais aucun d’entre eux n’a obtenu la note de 58 % exigée pour accéder au régime d’internat de l’école. Au cours des trois dernières années, cinq élèves ont réussi avec une note leur permettant d’accéder aux écoles à régime d’internat. Enfin, les inondations affectent la santé mentale des élèves et le moral des enseignants.
Les conséquences des inondations sur les enseignants
Du côté des enseignants, cette rentrée est particulièrement difficile. Les séquelles des récentes inondations sont toujours. « Les inondations sont arrivées sans prévenir, engloutissant notre école. Les eaux tumultueuses ont tout emporté sur leur passage, y compris notre routine scolaire bien établie. J’ai été confronté à un défi majeur : comment continuer à enseigner malgré ces circonstances désastreuses ? », confie Nestor Nshimirimana.
Selon lui, c’est dans ces moments de crise que l’essence de leur métier est mise à l’épreuve. Mais, avoue-t-il, il a également vu leur détermination à ne pas laisser les inondations détruire leurs rêves d’apprentissage. « Les inondations ont interrompu les cours pendant plusieurs semaines. Chaque jour passé loin de l’école signifiait un temps de révision perdu. Les inondations peuvent avoir retardé notre chemin, mais elles n’ont pas réussi à nous arrêter.», martèle Nestor Nshimrimana.
Pour Eric Bimenyimana, enseignant dans la classe de 4e, la rentrée scolaire est un véritable tourment : « Nos élèves ont tout perdu : leurs maisons, leurs biens, leurs champs, leur stabilité.». Il se dit anxieux par des conditions déplorables dans lesquelles ils vivent, avec pour seul abri des tentes fragiles et la faim qui les tenaille.
Même en classe, ces pensées les hantent, les empêchant de se concentrer : « Ça me fait mal d’assister impuissamment à la détérioration du niveau scolaire de mes élèves. Les conséquences du changement climatique se manifestent cruellement dans la fatigue et la somnolence en classe, dans leurs notes qui ne reflètent plus notre potentiel.»
A la rescousse des élèves traumatisés
Suite aux inondations, l’école fait face à un nouveau problème. La santé mentale des élèves : « Face au constat que de nombreux enfants sont traumatisés et ont du mal à suivre en classe, nous avons pris la décision d’engager un psychologue à temps partiel pour les accompagner », témoigne la directrice de l’école Caritas, Bora.
Ce professionnel de la santé mentale écoute les enfants et leur apporte une aide précieuse, en particulier à ceux qui présentent des signes de traumatisme. Grâce à ce service, nos élèves disposent désormais d’un espace sécurisé où ils peuvent exprimer leurs émotions et recevoir un soutien adapté à leurs besoins.
Mais notre école ne s’arrête pas là, souligne Bora. « Nous avons également prévu de former une quinzaine d’enseignants aux bases de la prise en charge psychologique. » Cela leur permettra, dit-elle, d’apporter un soutien quotidien aux élèves, en reconnaissant et répondant à leurs besoins émotionnels. L’objectif est de renforcer les compétences des enseignants et de favoriser ainsi un environnement d’apprentissage plus favorable. « Payer un psychologue est une charge supplémentaire. Néanmoins, nous sommes fiers de pouvoir offrir ce soutien à nos élèves et de contribuer à leur épanouissement personnel », conclut Bora, directrice de l’école Caritas.
Pour rappel, c’est en 2016 que les inondations se sont amplifiées dans la zone de Gatumba. Depuis lors, les inondations sont récurrentes. Dès lundi 3 avril, et pour la 3ème fois en 4 ans, de nouvelles crues ont submergé les localités de Mushasha et Kinyinya de la zone Gatumba, commune Mutimbuzi, en province de Bujumbura.
Des initiatives ont été annoncées notamment la construction des digues de protection tout autour de la rivière Rusizi, 2 km de chaque côté avec une hauteur de 2 m et une largeur de 6 m et la délocalisation des habitants de cette région. Toutefois, rien n’a été fait jusqu’à présent.