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Droit successoral : un pas en avant, deux pas en arrière ?

La Cour suprême vient d’interdire aux magistrats, surtout ceux relevant de la Cour d’appel de Ngozi, de se référer à la jurisprudence contenue dans  le Tome 5 de la revue de jurisprudence de cette cour  pour trancher des différends relatifs au partage de la  succession portant sur les propriétés foncières reçues en héritage en milieu rural. Elle conseille plutôt de se référer au droit coutumier. Un rétropédalage par rapport à l’égalité homme-femme en droit, pensent les premières concernées.  

La Cour suprême vient de jeter un pavé dans la mare. Suite à l’absence d’une loi qui régit la succession, certains juges se réfèrent à une  jurisprudence de cette cour pour  trancher les litiges fonciers opposant frères et sœurs.  De cette jurisprudence, il ressort que la solution est le partage équitable des biens.  L’essence de cette solution trouve son origine dans un des principes du droit qui prévoit que : “Les descendants d’un  même père ont les mêmes droits sur le patrimoine familial”. 

A titre d’exemple, une des références de cette jurisprudence est l’arrêt RCC 30217 rendu par la chambre de cassation de la Cour suprême le 29 juillet 2021. La question qui lui avait été posée était de savoir si tous les enfants avaient les mêmes droits sur les biens laissés par leur père. Elle a répondu par l’affirmative, et les biens du de cujus ont été partagés équitablement. 

Des imperfections à élaguer 

Après peu de trois ans d’usage de cette jurisprudence, voilà que le 16 août 2024, la Cour suprême a produit une note bannissant la référence à cette source du droit. La cour conseille plutôt au magistrat de recourir à la coutume. Cette dernière prévoit que lors du partage de la propriété foncière, la fille reçoit une toute petite portion de l’itongo ou“ igiseke” et seulement en usufruit, c’est à dire qu’elle ne peut vendre sa part ou la donner en cadeau à quelqu’un d’autre.  La raison avancée dans cette note est  que cette revue de la jurisprudence de la Cour suprême contient des imperfections qui doivent être corrigées avant  d’être publiées et vulgarisées. La note continue d’expliquer qu’il y a des arrêts qui vont à l’encontre de la coutume burundaise en matière successorale. La même note souligne aussi que la revue de la jurisprudence sera prête à être utilisée uniquement lorsqu’elle sera publiée dans le bulletin officiel du Burundi.

Les femmes, ces dindons de la farce

Que disent les premières concernées de ce rétropédalage de la Cour suprême ? Maître Michella  Niyonizigiye avocate de l’Ordre des avocats près de la cour d’appel de Gitega se dit surprise par cette décision puisqu’elle consacre la discrimination de la fille/femme burundaise. Elle s’indigne  du fait que les efforts pour combler les inégalités entre les hommes et les femmes soient réduits à néant. Au lieu d’avancer, « Dusubiye inyuma nk’ibirenge » (c’est un retour en arrière), s’indigne l’avocate. 

Elle conclut en regrettant le fait que cette décision va alimenter la méfiance entre frères et sœurs. Pourtant, la constitution du Burundi en vigueur, dans son article 22 dispose que                                                                                   «Tous les citoyens sont égaux devant la loi, qui leur assure une protection égale. Nul ne peut être l’objet de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son ethnie, de son sexe, de sa couleur, de sa langue, de sa situation sociale, de ses convictions religieuses ,philosophiques ou politiques, du fait d’un handicap physique ou mental, du fait d’être porteur du VIH/SIDA ou toute autre maladie incurable », rappelle Me Michella. 

Bien plus, l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente déclaration  et une provocation à une telle discrimination ». 

Me Michella demande au président de la Cour suprême de corriger les lacunes trouvées dans cette jurisprudence plutôt que de prolonger la référence à une coutume qui discrimine. Elle en appelle aussi à l’Assemblée nationale de voter en faveur d’une loi de succession équitable entre les filles et les garçons pour une justice pour tous.

Quant à Inès Kidasharira, activiste engagée qui milite pour les droits des femmes, elle trouve que l’inégalité entre les hommes et les femmes en droit est anticonstitutionnelle. Elle rappelle que ce sont les femmes qui exploitent les terres en milieu rural. Non seulement, elles sont privées du droit d’accès à la propriété foncière, mais aussi, quand il s’agit de profiter des fruits de l’exploitation agricole, elles sont écartées de la gestion des récoltes. Ce rétropédalage de la Cour vient donc amplifier cette inégalité de fait dont sont victimes les femmes/filles.  Pour elle, le droit coutumier constitue un prétexte pour perpétuer les violences économiques dont les femmes ont toujours été victimes.

 

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