Depuis le 3 février un communiqué de l’administratrice de Bweru, en province Ruyigi, interdisant, entre autres mesures, aux femmes non accompagnées de leurs maris, de circuler au-delà de 19h, a fait couler beaucoup d’encre et de salives. Deux bloggeurs se sont rendus sur place pour savoir ce qu’en pense la population du coin.
Bweru est un petit coin de paradis, situé à une trentaine de kilomètres de la commune Ruyigi. La route qui mène vers cette commune en quittant le chef-lieu de la province est un des plus agréables à prendre. Soyeuse, la route n’offre quasiment pas d’obstacle aux véhicules. Mais, ce qui frappe encore plus, c’est le relief qui l’entoure. De la verdure à perte de vue : entre les énormes eucalyptus qui trônent majestueusement le long de cette route et les vallées qui se font discrètes, le spectacle est à couper le souffle.
Se rendre à Bweru, c’est être frappé par un autre point : les femmes et surtout les enfants sont plus nombreux que les hommes. C’est, du moins, ce qu’on a remarqué en se rendant au chef-lieu de la commune.
Mais si nous sommes là, ce n’est pas pour faire une enquête démographique. Loin de là ! Ce qui nous amène, c’est cette histoire d’interdiction de sortie après 19h pour les femmes non chaperonnées. Nous faisons d’ailleurs exprès d’arriver pratiquement à l’heure du couvre-feu.
Sur le bord de la route, Jeanine, 28 ans, et sa voisine Bibi, 74 ans prennent l’air, sans leur maris et elles ne semblent, pour le moins du monde, s’inquiéter de l’heure fatidique qui approche. Nous leur faisons la remarque : « Bibi, mbe mwabonye isaha aho zigeze ?! Barabafata kazi kanyu ! » (Bibi, avez-vous vu l’heure qu’il est ?! À vos risquez et périls, si on vous embarque ! Ndlr) – « Huuum, cette histoire ne tient pas debout ! », se marre la Bibi. « Et pour preuve, lance Jeanine, allez voir kw’iligala, des femmes non accompagnées, il y en a plein ».
Kw’iligala, le lieu de toutes les perditions
« Cet endroit, Kw’iligala, c’est un lieu de débauche ! Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’il y ait un scandale. », nous explique Emmanuel, la quarantaine. Ce dernier nous sert de guide pour notre expédition. Et c’est sans langue de bois qu’il nous raconte la vie tumultueuse de kw’iligala. « Tenez, il n’y a pas très longtemps, il y a eu une histoire de meurtre d’une prostituée…Benoît a même failli tuer sa femme en la frappant avec un gourdin sur la tête…deux gros coups elle a reçu sur sa tête. N’eût été ses enfants qui ont alerté les voisins, Viviane serait morte… »
Est-ce pour cela qu’il y eu ce communiqué ? Emmanuel est persuadé que ce sont les femmes de Kw’iligala qui en sont la cause. Et il approuve cette décision. « Nta mugore na kare, wo kugenda ijoro ! » (Et d’ailleurs les femmes ne doivent pas trainer le soir ! Ndlr »
Nous arrivons Kw’iligala, 10 min avant 19h. Il est vrai que le petit centre est animé, par rapport au reste de Bweru. Plusieurs échoppes alignées le long de la route en terre vendent des boissons et proposent même de la nourriture. En face des boutiques, des femmes vendent de la farine, quelques étales de ndagalas, avocats et autres.
Dans l’une des boutiques qui sert également de bar « Chez Jérôme », les discussions, autour de la Primus, vont bon train. Nous nous joignons à eux, et lançons la discussion avec le tenancier du bar.« Est-il vrai que ce lieu cause des problèmes dans la localité ? ». Jérôme est un jeune homme de 28 ans. Cela fait 8 ans qu’il a son bar. Il jure par tous les dieux que ce qui est dit sur Kw’iligala est faux : « Et qu’on arrête d’accuser les femmes à tort. Les gens viennent juste étancher leur soif et ils rentrent tranquillement chez eux. »
Une mesure incomprise…
Cette mesure regarde-t-elle toutes les femmes ? Comment sera-t-elle mise en application ? Pourquoi uniquement les femmes et les enfants ?…Telles sont les questions qui revenaient souvent dans les discussions. « Pour les femmes célibataires comme moi, qui ne se sont jamais mariées, sommes-nous contraintes de ne plus être dehors, au-delà de 19 heures parce qu’on n’a pas de maris ? », s’inquiètera une femme, avouant que ce sera difficile pour elle de respecter ladite décision. Et d’ajouter avant de disparaître aussi vite qu’elle était apparue : « Je ne vais pas me tuer à travailler dans mes champs et lorsque j’aurais envie d’une petite bière le soir, me cloîtrer chez moi, soi-disant qu’il est interdit de circuler au-delà de 19 heures ».
Mama Muco, vendeuse de farine, explique quant à elle que depuis ce communiqué, elle est obligée de rentrer à 19h. Or, dit-elle, c’est à cette heure-là que les clients débarquent. « L’autonomisation de la femme qu’on nous chante dans les radios, elle viendra d’où, si nous sommes obligées de rentrer à 19h ? »
À toutes ces inquiétudes, Diane Niyibitanga, administratrice de la commune Bweru, tranquillise : « Ce communiqué n’a pas pour but de discriminer les femmes. Nous voulons aussi leur développement et c’est pour cela que, moyennant un motif valable, on laissera les femmes circuler au-delà de 19h. Tout ce que nous voulons, c’est la protection des femmes et des enfants, et ramener l’éducation burundaise au goût du jour ! »