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[ Débat sur le tambour burundais]: « Comment une femme ose défendre un décret sexiste? »

Après un billet de la blogueuse Naomi Irakoze où cette dernière exprimait son approbation pour le décret interdisant aux femmes de jouer au tambour, l’activiste-féministe Judicaëlle Irakoze, révoltée, a voulu réagir dans une missive profonde et très détaillée.

*les réactions de nos lecteurs n’engagent pas Yaga

Chère Naomi,

Comment allez-vous? J’espère que cet article vous trouvera bien, car je veux que vous le lisiez.

J’ai lu votre billet sur « Yaga Burundi » et j’ai été en désaccord avec chaque mot que vous avez écrit. J’ai décidé d’écrire comme « Umurundikazi » (une Burundaise) qui croît que ses droits ont été violés d’une manière ou d’une autre. Ceux qui me suivent sur les médias sociaux savent certainement que je suis passionnée par l’autonomisation des femmes. Je dirige une entreprise dont le personnel est majoritairement composé de jeunes femmes adultes. Notre relation fraternelle a façonné, changé et continue de me transformer en cette femme qui s’exprime passionnément à propos de sa féminité. En fait, les femmes s’y identifient les unes aux autres de toutes manières.

Naomi, le titre de votre article disait: «Je suis pour l’égalité des genres, mais les femmes ne devraient pas jouer à l’Ingoma.» Quelle déclaration déroutante! Comment pouvez-vous croire en l’égalité des deux genres, et en même temps être d’accord avec un décret permettant à un genre d’accéder à quelque chose tout en interdisant à l’autre d’oser même s’en approcher? Qu’est-ce que l’égalité des genres pour vous? Peut-être que nous le comprenons de différentes manières, mais pour autant que je sache, « l’égalité des genres » annule tout récit commençant par « parce que je suis une femme, ou parce que je suis un homme, je ne devrais pas faire « . L’égalité des genres nous permet de nous estimer sans considérer ce qui est masculin ou féminin. Comme nous le savons, ce sont des stéréotypes qui essayent de nous imposer ce à quoi chaque genre devrait ressembler ou être. L’égalité des genres met les deux sexes sur la même échelle, reconnaissant que personne n’est au-dessus de l’autre, mais se complètent de façon harmonieuse.

Même si j’étais confuse par le titre, j’ai avancé et lu tout l’article. Malheureusement, vous m’avez laissée de plus en plus confuse. Vous avez écrit « 500 000 BIF, c’est beaucoup, mais le décret est une nécessité, si l’on considère comment Ingoma est dévalorisé ». Peut-être que j’ai grandi dans le mauvais côté du Burundi, mais pendant les dix-huit années que j’ai passées au Burundi, je n’ai jamais vu une chose dont les « Barundi » sont aussi fiers que l’ »Ingoma ». Encore une fois, peut-être que nous comprenons différemment le sens de la valeur. Ce qui m’amène à cette question: comment en arrivez-vous à la conclusion que quelque chose qui fait partie de l’histoire et de la culture d’une nation est dévalorisée? Comment les citoyens ou les résidents d’une nation prouvent-ils qu’ils valorisent un héritage de leurs ancêtres? Est-ce par le montant d’argent qu’ils paient pour y accéder? Ou est-ce la place que le patrimoine détient dans la communauté?

Naomi, nous devons nous convenir que « Ingoma » est un héritage que tout « murundi » adore. Ni l’argent ni le décret n’étaient nécessaires pour signifier sa valeur. Les tambours remplissent de vie nos événements. Vous ne pouvez pas comprendre à quel point je suis excitée, en regardant les visages des étrangers au spectacle du tambour burundais. Cela renforce un sentiment de fierté de ce que nous avons hérité de nos ancêtres.

Donc, ce nouveau décret va simplement nous éloigner de notre culture. Ce n’est pas lui qui va faire que « Abarundi » valorisent « Ingoma ». Ils le font déjà. Mais tout comme à l’époque de la monarchie pour certains clans, « Ingoma » devient un luxe. Le patrimoine qui était accessible et abordable pour tout « Murundi » est maintenant pour les riches. L’héritage que les parents burundais poussaient facilement leurs enfants à apprécier n’est désormais pas si facile d’accès. Permettez-moi aussi de vous rappeler que le temps et les générations changent. De la même manière, notre culture évolue. A un moment donné, nous atteindrons ce point de dévalorisation dont vous avez parlé, comme la nouvelle génération n’aurait pas été enseignée comment « Ingoma » est un héritage si puissant, accessible à tout « Murundi ». Ce n’est que le début de la fin.

Chère Naomi, retournons au décret interdisant aux femmes de jouer « Ingoma ». Vous avez écrit: « … L’autre point qui fâche est l’interdiction catégorique aux femmes/filles de jouer.  » Ingoma « . Chères sœurs, permettez-moi de vous choquer, je suis d’accord avec ça …  »

Eh bien, je n’ai pas été seulement choquée, mais ébahie. J’ai entendu le pire témoignage de la part des femmes défendant notre système patriarcal. Mais le fait que vous connaissiez que votre déclaration allait choquer des femmes, cela montre en quelque sorte que vous saviez que quelque chose ne collait pas. Vous vous reposez sur la culture dans vos arguments. Mais la culture est une question très complexe, surtout quand on la rend immuable ou intouchable. Au fait, avant d’aller plus loin, j’aime notre culture en général. Je pense que c’est une belle culture pleine de traditions étonnantes, mais aussi faite de rituels et de traditions très toxiques, misogynes. Notre culture a évolué à travers les âges. Plus les femmes sont éduquées et habilitées, plus les rituels imposant le viol, l’abus, les mariages forcés et arrangés sont annulés et ne deviennent qu’une partie de notre histoire.

Donc, quand je lis de vous : « c’est ce que dit la culture », je me demande si vous comprenez vraiment le concept de culture. Oublions même la nôtre qui est tellement patriarcale et centrée sur les hommes. Mettons l’accent sur le fait que la culture en général intègre des croyances et des styles de vie qui séparent un groupe de personnes d’un autre. Alors, voulez-vous que « Abarundi » soient connus pour une culture qui opprime les femmes ? Notre culture telle qu’elle est aujourd’hui s’est débarrassée de nombreuses traditions et en a embrassé de nouvelles en tant que nation en développement. Nous n’avons plus: Gutera intobo, Gukazanura, Gukanda, Gucura, Gushinga icumu et j’en passe. Par conséquent, ne mélangez pas les traditions avec la culture. Elle évolue et s’améliore.

Nous savons aussi que les règles culturelles sont faites par des gens (ou des hommes, comme on nous l’a fait comprendre). Alors imaginez en 2017, les hommes au pouvoir se réveillent et décident de ce que les cinq millions de burundaises ne sont pas supposées faire d’un héritage intergénérationnel. L’unique justification : « la culture ». Une culture qui avait autrefois pour habitude de lapider les femmes enceintes avant le mariage, une culture qui permettait autrefois à un homme de coucher avec sa belle-fille, une culture qui a autrefois fait l’éloge du viol caché dans de nombreuses traditions.

Comprenez-moi bien, je n’attaque pas ma culture. Je signale d’où nous sommes venus en tant que nation : passer d’une culture qui avait autrefois des traditions très abusives contre les femmes à celle qui tente actuellement d’autonomiser les femmes quoiqu’elle a du mal à se défaire de ses anciennes et mauvaises manières d’exister.

Naomi, tu as montré comment «Ingoma» représente le corps d’une femme, ce qui est peut-être vrai, mais tu as aussi montré comment «Ingoma» représentait le royaume du Burundi et n’était joué que pour le roi. Cette tradition a été abolie car « Ingoma » est devenu accessible à tous et est devenu une partie de nos événements. Pourquoi ne pas faire une croix aussi sur cette idéologie du tambour représentant le corps d’une femme? Je trouve même ce récit très insultant. Malheureusement notre société sexiste considère toujours le corps d’une femme comme le royaume d’un homme. Pourquoi ne pas simplement faire de l’ »Ingoma » un héritage que nous apprécions sans aucune restriction, et ignorer le fait qu’une femme qui joue du tambour soit considéré comme de la masturbation ? Avons-nous besoin de toute une signification misogyne derrière tout cela? Que diriez-vous d’en faire un patrimoine très puissant accessible à tout « Murundi » et de faire des chansons louant « Abarundi n’Uburundi » tout en le jouant. Encore une fois, les éléments d’une culture peuvent être ajustés et mis en contexte. Surtout dans les moments délicats comme aujourd’hui où les femmes se lèvent pour leur liberté. Le monde a plus de femmes que d’hommes, pour cette raison, la nation la plus intelligente est celle qui choisit de se ranger du côté des femmes.

Ma chère, permettez-moi de terminer cet article en soulignant que l’égalité des genres annule toute forme de description de ce qui est masculin, ou féminin. De ce fait également, ça sonne si mal quand vous écrivez « Avec Imvyino et danses traditionnelles, nous pouvons exprimer nos talents, l’élégance. Pourquoi jouer Ingoma alors, quand cela affecterait nos traits féminins … » Vous ressemblez à quelqu’un qui peut rire de Serena Williams pour ses traits physiques, que j’aime. Mon conseil simple pour vous en tant que femme, essayez de vivre votre vie en dehors de ce que la société vous a appris sur la masculinité et le féminisme, cela vous aidera à vivre libre et à accepter les gens de toutes les sortes.

Naomi, vous avez terminé votre article en disant: « L’égalité des sexes ne signifie pas que les femmes rivalisent avec les hommes. » Ce qui vous place dans la catégorie des « princesses patriarcales ». Ce sont des femmes qui croient en leur émancipation mais qui sont encore occupées à défendre un système qui les opprime. Au moment où vous devez récupérer votre pouvoir, au temps où une femme peut concurrencer un homme, sachez simplement que vous devez désapprendre le récit narratif d’«être une femme» et embrasser celui d’être une femme qui veut l’accès à tous les privilèges et les opportunités que les hommes obtiennent, non pas parce qu’elle est en compétition, mais simplement parce que son bien-être entier nécessite les mêmes considérations auxquelles les hommes ont droit. Tout comme une oreille et un œil ne rivaliseraient jamais, les femmes et les hommes ne gagneraient rien d’une compétition.

J’espère que « Abarundi » ne permettraient pas à leur culture d’adopter des décrets qui oppriment les femmes. Nous venons de si loin, de traditions très toxiques, pour être retardés par les rituels de notre passé. Les femmes burundaises partout où vous êtes, pouvoir à vous!

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Les commentaires récents (5)

  1. pleaaaaase Judicaëlle !!! Je m’exprimerais bien en français pour faire un petit commentaire et essayer de ne pas m’éloigner de la langue que vous avez si bien employé, Mais… OYA REKA NDABIVUGE MUKIRUNDI !!!! GERAGEZA UTAHURE KANDI UBAZE KUVUZA INGOMA ICO ISIGURA UZOCA UTAHURA GITUMA ABAGORE BADAKWIYE KUZIVUZA.

    Bien à vous,
    Une burundaise aussi burundaise que vous.

  2. Mme Noami :

    1/ INGOMA chez les Barundi est un instrument SACRE qui, étant FEMME, enfante l’UNIVERS des BARUNDI, l’ESPACE des BARUNDI, soit l’ETAT des BARUNDI. INGOMA signifie TAMBOUR et en même temps ROYAUME.

    2/ L’HOMOSEXUALITE est interdite EN AFRIQUE. Dans les 40 commandements de la BIBLE SACRE DES NOIRS , datant de -2.700 avant notre ère (cfr. Texte des pyramides ). Le 27 ème commandement : « Je n’ai pas été dépravé, ni pédéraste ».

    D’où en conclusion, une FEMME qui bat INGOMA (LE TAMBOUR SACRE DES BARUNDI ) commet un acte d’HOMOSEXUALITE.

    Toutefois, Mme Noami, si vos mœurs sont occidentales, le SACRE DES BARUNDI ou DES AFRICAINS ne vous regarde pas. Vous êtes libre de faire ce qui vous enchante… L’HOMOSEXUALITE est devenu courant en OCCIDENT.

    Diallo Abou Moussa
    Burundi-agnews.org

  3. Bonsoir…
    Non ! Le décret portant interdiction aux femmes de battre le tambour n’est pas inspiré du sexisme. De par la définition, le sexisme est une attitude de discrimination basée sur le sexe ou une idéologie se fondant sur l’adhésion à des croyances discriminatoires basées sur le critère du sexe.
    Pour ce décret vraisemblablement polémique, ce n’est pas le cas Madame Irakoze. Il ne s’agit pas de la discrimination. Mais plutôt de la réhabilitation de la culture. Chaque peuple a sa culture et il est normal que les autorités, et surtout le chef de l’Etat, interviennent pour empêcher la dépravation des mœurs. Ce concept de « sexisme » apparu dans les années 1960 avec l’essor du féminisme. Je personnellement, je trouve qu’il ne doit pas guider le raisonnement des Burundais.
    Vous écrivez ceci : « ne mélangez pas les traditions avec la culture. » Je trouve incongru cette phrase. Vous séparez la tradition de la culture ? Pourtant, l’un implique l’autre Madame ! Qu’est-ce que vous comprenez par tradition et par culture ?
    Permettez-moi s’il vous plaît d’éclairer en peu vos lanternes. La tradition est l’ensemble de légendes, de faits, de doctrines, d’opinions, de coutumes, d’usages, etc., transmis oralement sur un long espace de temps. La tradition est la manière d’agir ou de penser transmise depuis des générations à l’intérieur d’un groupe.
    Quant à la culture, c’est est l’ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, des coutumes, propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération et non par l’héritage génétique, et conditionne en grande partie les comportements individuels.
    Madame Judicaëlle Irakoze, votre texte est attaquable sur plusieurs points. Soit vous vous êtes exprimé sur un sujet que vous ne maîtrisez pas. Soit vous défendez « follement » le féminisme. Mais, vous ne devriez garder la phrase suivante en tête : « Une jeunesse qui ignore sa culture et une jeunesse sans avenir. »
    Que vous m’entendiez bien ! Je ne suis pas contre l’occidentalisation de notre société mais il faut éviter l’extravagance….
    Au cas où vous voudriez bien comprendre le sujet, je vous recommande la lecture de ce texte publié par Yaga en kirundi : https://www.yaga-burundi.com/2016/09/28/kuki-kizira-ko-umwigeme-avuza-ingoma/
    En définitive, je me permets de vous informer si vous ne le savez pas que la culture est, en plus de la croissance économique, la protection de l’environnement, le bien-être (aspect social), l’un des quatre piliers du développement durable.
    Cordialement,
    Egide Nikiza

    1. Je te remercie David,ton intervention est tout afin consciente.Oui,il y a des point où on pourrait dire que les femmes et les hommes doivent montrer leur compétence dans l’équité.Mais moi,ce que je veux dire nous sommes Burundais et nous devons garder cette identité car un peuple sans culture est comme un peuple sans histoire et un peuple sans histoire est un peuple mort.Mes chères soeurs,la culture burundaise n’est pas construite de la même façon que la culture francaise.Mes soeurs,la destruction de la structure du Burundi par le colonisateur a été le point de départ des différents problèmes jusqu’aujord’hui.Une des causes des difficultés qui emboîtent le Burundi est la réaction sans une étude approfondie sur tel ou tel autre sujet.Comme les autres l’ont dit,le tambour burundais est le symbole de la loyauté et j’arrive loin en disant que c’est le signe du fondement de la famille et enfin du royaume du Burundi.En conclusion,sache le bien que le tambour n’est pas un objet comme la guitare ou d’autres instruments musicaux mais un signe du pouvoir de la nation.Je vous remercie!

      1. Nous devrions défendre notre société en favorisant le droit de chacun que ça soit un homme ou une femme de se sentir à l’aise de battre le Tambour