Six provinces, cinq organisations distinctes, des descentes journalières sur terrain pouvant frôler les cent kilomètres, Daphrose Niyuhire a vu du pays dans le cadre de son travail. Depuis bientôt 18 ans, cette mère de quatre enfants vivant actuellement à Cankuzo brave monts et vallées à moto, déjouant tous les pronostics qui rendraient ce pari perdu d’avance pour une femme.
Cette désormais grande histoire d’amour commence pourtant par un improbable forcing. Nous sommes en 2004, Daphrose vient de terminer ses études. Comme pour les autres jeunes dans sa situation, elle fait les navettes chez différents employeurs pour essayer de décrocher son premier job.
Son dossier est retenu par une ONG qui la contacte alors pour l’interview. Jusque-là, tout marche bien pour elle. Enfin, c’est ce qu’elle croit. Ce n’est que la veille qu’elle apprend que cette épreuve est couplée à celle de la moto. « Je n’avais jamais conduit une moto », se souvient-elle.
Dans la foulée, elle décide de jouer son va-tout. « Mon interview était programmé à 14 heures. Le même jour de l’épreuve orale, j’ai appris à conduire la moto sur le terrain du petit séminaire Kanyosha. Vous comprenez que je n’avais que quelques rudiments à faire valoir », raconte la quadragénaire.
Du haut de son expérience de deux heures, Daphrose se présente devant les examinateurs. Il faut savoir que c’est l’épreuve de la moto qui donne accès à l’interview. Beaucoup se désistent, incapables de démarrer. Daphrose, elle, parvient à se tirer d’affaire. Elle est retenue et affectée à Kayogoro en province de Makamba.
Maîtriser la moto, le nec plus ultra de son CV
Ses performances lors du test lui valent un passe-droit. Elle obtient une dérogation pour améliorer la conduite de la moto pendant tout un mois. C’est une Daphrose qui n’a pas froid aux yeux qui se présente devant les montagnes de Buragane et ses sentiers accidentés. Et le défi est de taille. Celle qui n’avait jamais touché au guidon doit maintenant parcourir plus de 80 kilomètres par jour juchée sur sa moto.
Depuis, la Yamaha DT fait partie intégrante de sa vie. Une fusion qu’elle assume avec fierté : « Si on me demandait de choisir entre un poste où je reste plantée dans un bureau et celui qui m’offre cette opportunité d’être sur terrain régulièrement, je choisirais évidemment la deuxième option. »
Au terme du contrat avec son premier employeur à Makamba, Daphrose est mère et épouse. Comme elle l’indique, « la moto n’a jamais été un obstacle, même avec la grossesse. » Loin d’être une embûche, c’est grâce aux échos de ses prouesses sur le deux-roues qu’elle décroche directement un autre bail, cette fois-ci à Rutana, précisément en commune Giharo.
Après Makamba et Rutana viendront Kayanza, Kirundo, Ruyigi et Cankuzo. Partout, elle est repérée pour sa capacité à travailler dans le Burundi dit profond grâce à sa maestria sur la moto. Si ce parcours a été jonché par un grave accident qui lui a valu une fracture à l’avant-bras, cette déconvenue est loin de déparer cette relation tout feu tout flamme.