Bonjour, Messieurs les Candidats. Moi, je ne suis pas trop à plaindre. Depuis quelques jours, je traîne mon corps dans les couloirs d’un hôpital. Ce n’est pas moi le patient. Heureusement. Avec force gestes et précision chirurgicaux, patiemment, d’honnêtes gens en blouse blanche m’apprennent à « guérir parfois, soulager souvent, soigner toujours » . Et vous ?
C’est aujourd’hui le D-day pour vous à ce qu’il paraît. D comme destin, D comme démonstration de force, D comme… démagogie. Pendant trois semaines, vous partez à la rencontre du peuple. Vos sympathisants vont peupler nos rues et nos collines, slogans, ballons de baudruche et étendards bien en vue sur les camions, les T-shirts et même les fesses. Qu’ils sont jeunes les pieds de ceux qui annoncent le nouvel ordre national !
Profitez-en pour voir du pays. Ses habitants comme les traces des pieds de ses exilés, ses enfants comme les crânes excavés de leurs grands-parents, les courbes de niveau sur ses montagnes comme les rides sur le front de ses paysans, ses rues comme leurs nids de poule. Mais ne vous y attardez pas, tournez le regard aussitôt. Aussitôt la belle photo prise, aussitôt les belles formules prononcées. Parce que là n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est l’événement, et l’événement c’est vous.
Séduction tous azimuts
Ne lésinez donc pas sur les moyens pour séduire. Embellissez le décor et son envers, brandissez des médailles à votre effigie et cachez leurs revers. Le peuple veut voir du beau celui-ci fut-il artificieux, il s’inspire du puissant, celui-ci fut-il ostentatoire. Aux tambours citoyens, le jour de danses est arrivé ! Au premier coup, faites de la place à vos sauveurs en 4×4, intimidés mais charmés. Au deuxième coup, affluez, boitez, ceignez vos pagnes et votre incrédulité, soyez de tous les rendez-vous de campagne. Tendez l’oreille, ouvrez grandement les yeux, la Comedia dell’arte arrive dans vos collines, vos stades et marchés. Le troisième coup ne sera plus loin et la pièce pourra commencer.
Inutile d’élever le niveau du débat. Ce n’est pas dans nos habitudes. Et puis, les enjeux sont énormes pour changer un discours qui gagne. Désignez l’ennemi public, donnez-lui un nom d’oiseau et un visage de délinquant. Augmentez plutôt le son des haut-parleurs. Que les faiseurs de marché accourent, que les charcutiers suspendent la machette au-dessus de la bête, interpellés. Ceci est une heure de grande écoute. Que votre voix soit en tout temps exquise, quittes à réveiller Beethoven (et il était sourd), que votre image soit partout bien parquée, quittes à émerveiller Stevie Wonder (et il est aveugle).
Ne vous arrêtez surtout pas là. Le peuple n’a pas cotisé plusieurs milliards pour un spectacle électoral de bas étage. Surpassez-vous, méritez notre crédulité. Promettez, jusqu’à l’excès. Il se trouvera toujours un citoyen en mal de perspectives pour y croire. Et cela n’engage que lui. Distribuez vivres et sourires. La « faim » justifie les moyens.
Toutefois !
Oui, il y a un toutefois. Au dernier coup de tambour, en même temps que la poussière soulevée par le tumulte d’une foule conquise, redescendez sur terre. Lorsque les feux des projecteurs sont éteints, loin des louanges des courtisans et des cliquetis des appareils photos, seuls face à vous-mêmes, prenez conscience. Prenez conscience de la précarité de votre humanité face à l’immensité de la tâche qui fait objet de vos ambitions. « Personne n’accède à la présidence sans une sincère ambition de bien faire », me disait un jour quelqu’un. L’enfer des peuples est souvent pavé de bonnes intentions d’anciens candidats devenus présidents.
Si la ligne entre les valeurs que nous professons et notre capacité à les enfreindre en très peu de temps est si fine, conversez avec votre conscience autant que vous promettez monts et merveilles. Que cette campagne serve de voyage à l’intérieur du pays et au centre de soi-même. Dans tous les cas, il est trop tard pour confectionner un projet de société. Soit on en a, soit on n’en a pas. Soit il est réaliste, soit il est fantaisiste. Dans un mois, nous saurons si les Burundais y tiennent vraiment, s’ils en ont été véritablement informés ou s’ils s’en foutent carrément. Mais il est encore temps de parler de votre projet pour l’homme que vous pourrez devenir d’ici un mois.
Et si tout se passait comme prévu ? Seriez-vous de ceux qui restent lucides en pleine tempête ou de ceux qui font feu de tout bois ? Seriez-vous de ceux qui se laissent conseiller ou seriez-vous de ceux qui conseillent aux conseillers, quittes à transformer ces derniers (au mieux) en des fonctionnaires sans fonctions ou (pire) en de simples caisses de résonance pour les besoins de la cause ? Sauriez-vous donner une poignée de main pour apaiser une crise ou prolongeriez-vous une crise, quitte à diriger d’une main de fer ?
Vous ne perdez rien à répondre à ces questions. Au stade actuel, devenir président de la République n’est peut-être pas un voyage de complaisance. C’est dire combien l’heure est grave.
Merci beaucoup Yves, toujours un énorme plaisir et une grosse fierté de te lire.
Cet appel lancé aux politiques d’avoir des pieds terre est une bonne chose mais est-ce qu’ils vont lire cet article? En ont-ils le temps? Voilà la question que je me pose. Et autant dire que l’auteur a semé dans le vent.