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Le Burundi sous mandat belge ou le début des discriminations ethniques

A la suite de la loi de 1925, une réorganisation administrative fut opérée. Et elle ne sera pas sans opérer un certain changement au niveau de la classe dirigeante « autochtone ». 

Si le pouvoir du roi se retrouve affecté par les bouleversements qui suivront la loi de 1925, cela malgré l’indirect rule, cette réorganisation administrative favorisera plus que tout le triomphe des Baganwa. Comme l’écrit l’Historien Joseph Gahama, de 57% des dirigeants baganwa (Bezi et Batare) en 1929, ils atteignent 78% quatre années après, en 1933, avec un léger recul en 1945 à la faveur des certains Batutsi. 

Mais c’est sans conteste aux descendants de Mwezi Gisabo, les Bezi, que profite en premier lieu cette réorganisation administrative. Ils passent de 26 % en 1929 à 45% en 1945 en 1937 tandis qu’en 1945, presqu’un chef sur deux est pratiquement un Mwezi. Ainsi, dès 1933, ils contrôlent tout le territoire de Gitega, une grande partie de territoire de Ngozi et de Muyinga tout en continuant leur expansion à Bururi. De quoi pousser Gahama à affirmer que les Bezi sont les véritables bénéficiaires de ces retouches administratives.

Quant aux Batare, descendants de Ntare Rugamba, estimés à 31% et de loin plus nombreux en 1929 par rapport aux autres catégories sociales au pouvoir, ils perdent peu à peu de leur importance. À la fin de la période de mandat, nous dit Gahama, ils ne sont que 16 sur un effectif de 46. Après la réorganisation administrative, ils  contrôlent tout l’Est du pays mais se maintiennent mal  au Sud et au Nord-Est, envahis par les Bezi avec la bénédiction de l’administration coloniale. 

Bezi contre Batare ?

Il faut avant tout dire que malgré cet état de fait dû à la réorganisation administrative, ces deux groupes sont appréciés de la même manière par les autorités coloniales. Mais entre eux règne une opposition de fait, allant même jusqu’à la guerre. Comme celle qui opposera à la deuxième moitié du 19eme siècle, les frères Rwasha et Birori, fils de Ntare Rugamba, contre Sebundandi,  fils de Mwezi Gisabo, envoyé  par son père à l’est et sud pour briser l’influence grandissante de la nombreuse descendance de Birori. Exemple aussi de la rivalité entre les Bezi mené par Ntarugera et les chefs Batare du Nord-Est.

Face à cette situation, écrit Gahama, c’est un pouvoir mandataire, fidèle à son divide et impera, qui ne manquera d’exploiter cette rivalité. Illustration de  l’exploitation de cette rivalité : dans un rapport de 1931, il est fait mention de la présence, en territoire de Ngozi, de deux groupes distinctes : « les premiers se composant de trois hommes d’âge mûr et de haute ligné restés attachés aux idées ancestrales (bezi), le deuxième, d’hommes jeunes, de souche plus modeste bien qu’appartenant à la caste noble (batare), lettrés, convertis au christianisme et très porté à suivre les vues civilisatrices des Blancs… ».

Malgré cela, la politique belge restera ambiguë. Si elle renforce la suprématie des Bezi sur le royaume, elle leur propose les Batare qui, peu nombreux, jouent cependant par le biais de quelques personnalités, un rôle pas moins considérable.

Encore qu’en 1942, de nouveaux venus envahissent le terrain politique burundais. Il s’agit de jeunes princes formés à l’école d’Astrida. Quatre Bezi, quatre Batare et un Mutaga. Ce sont donc ces jeunes cadres qui prennent la relève des vieux princes. De quoi dire que plus que l’hérédité, l’école devient désormais un critère pour la participation au pouvoir, qui, de jour en jour, se concentre aux mains des grands Baganwa.

Quid des Batutsi et Bahutu ?

C’est aussi Gahama qui l’écrit. De tout ce jeu politique, les Batutsi  et surtout les Bahutu se retrouvent grands perdants de ces réorganisations.

Les Batutsi d’abord. Si l’on connaît peu de choses sur les gouvernants de l’époque antérieure à Ntare Rugamba, ils semblent que beaucoup de chefferies étaient aux mains de quelques grands lignages tutsis. Et au début du 20eme siècle, ils sont toujours recensés en grands nombres dans les domaines royaux. De 23 % en 1929, ils passent à 15 % en 1933 pour remonter à 29% en 1942. Mais il s’agit toujours des tutsi de « bonnes familles ».

Mais plus que les Batutsi, les Bahutu sont les véritables victimes de la réorganisation. De 20 % du nombre total des chefs en 1929, ils tombent à 7 % en 1933 et à 2% en 1937 pour être complètement balayés en 1945. Raison avancée : la supposée supériorité intelligence des tutsi. Ceci alors que c’était connu que certains sous-chefs hutu exerçaient mieux leur autorité que certains batutsi. 

Cette situation durera jusqu’à l’indépendance et ne sera pas sans peser sur le vivre ensemble des Burundais, et ce, jusqu’aujourd’hui, suis-je tenté d’affirmer. 

 

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Les commentaires récents (4)

  1. Un très bon article, qui éclaire sur les systèmes de gouvernance qui caracterisent encore le pays à ce jour. En général, les articles sur l’histoire précoloniale du Burundi sont vraiment bien écrits. Bravo et merci!
    Petite question: est ce correct d’écrire : « suis-je tenté d’affirmer. » quand l’auteur(e) n’est pas identifié(e).

  2. L’autre victime, ce furent les femmes. Car la monarchie d’avant l’arrivée des Belges était un véritable ARUSHA. Il y avait des Hutu, des Tutsi, des femmes chefs, et bien sûr des ganwa. Les Belges balayérent les Hutu,dententeurs des secrets royaux, et les femmes administratices de domaines comme Mukakaryenda. Les grands gagnants furent les tutsi, qui furent élevés artificiellement par la pseudo-théorie de l’inégalité des races, à une condition de supériorité qui n’existait pas dans la tradition burundaise.

  3. 1. Vu que les Bahutu constituent la grande majorite de la population burundaise , meme « 20% du nombre total des chefs en 1929 » ETAIT DEJA UNE GRANDE INJUSTICE.
    2. « If we are not represented, we are slaves » (= SI NOUS NE SOMMES PAS REPRESENTES (AU PARLEMENT BRITANNIQUE), C’EST QUE NOUS SOMMES DES ESCLAVES!!!)
    Report on the Sugar Act (13 June 1764);
    3. « Taxation without representation is tyranny » (=LA TAXATION SANS REPRESENTATION N’EST QUE TYRANNIE).
    (Voir United States history: James Otis Jr. (1725-1783) https://u-s-history.com).

  4. Il ne faut pas oublier la disparition des chefs ritualistes(Mahembe, Abaganuza, Abaphumu…) et des vestales (Mukakaryenda, Mukabigonzi, Jururyikagongo, Inamukomacoto…) qui étaient presque tous d’origine hutu. Ces gardiens de la monarchie et du culte traditionnel faisaient de l’ombre au nouveau culte et la nouvelle administration. Les baganuza n’avaient plus de rôle après la suppression de la fête du Muganuro (jugée trop païenne). Ruburisoni, la dernière Mukakaryenda a été baptisée alors qu’elle était gravement malade. Devenue chrétienne, elle ne pouvait plus s’occuper du culte païen du tambour royal.