Ces jours-ci, les défis ne manquent pas. Entre pénuries de carburant, de sucre, de médicaments et d’autres produits essentiels, la lutte quotidienne est constante. Pourtant, pour certains, même les moments de vulnérabilité peuvent devenir des occasions mal placées pour rigoler. Cette blogueuse raconte comment, lors du deuil de son père, un patron d’une maison funéraire a profité de ce moment de vulnérabilité pour la harceler sans relâche. Récit.
La dernière fois que j’ai pris la plume, je vous racontais comment moi et ma famille avaient survécu à la pénurie et à la cherté des médicaments lorsque mon père était malade.
Aujourd’hui, mon sujet est bien différent. Malgré les efforts des médecins, Dieu en a décidé autrement. Mon père bien-aimé a quitté ce monde. Avec sérénité, il est parti pour une « mutation » dans un autre ministère, comme il aimait lui-même dire pour tourner en dérision sa fin de vie.
Mais une chose étonne. Les Burundais d’aujourd’hui sont différents de ceux d’hier. La sensibilité face aux moments difficiles comme le deuil, semble s’être émoussée. Je m’explique. Après la mort de mon père, la famille m’a chargé de superviser les obsèques, côté matériel. Une maison a été choisie pour les prestations funéraires, une pratique courante actuellement dans notre société.
Mon deuil, une opportunité pour un prédateur ?
Dès la première rencontre, le patron de la maison funéraire m’a surpris par son excès de bonne manière. Naïve, j’ai pensé qu’il était simplement respectueux, qu’il avait un sens de déontologie et d’éthique professionnelle envers la clientèle. Si ce n’était pas cela, je pensais que c’était une façon de manipuler ses clients dans le but de s’attirer leur sympathie et donc faire prospérer son business. Malheureusement, ses intentions se sont révélées bien moins nobles. J’ai découvert par la suite qu’il voyait en moi autre chose qu’une cliente en deuil. Pour être honnête, il a utilisé le terme que dès notre première rencontre, « ko yaciye atangura kumiramitwa » (Il a commencé à saliver).
Au début, ses paroles semblaient compatissantes à mon égard : des condoléances répétées, des phrases pleines de compassion comme : « Moi aussi, j’ai bu de ce calice et « heureusement que tu as encore ta maman ». Ou, « heureusement que tu n’es pas encore mariée, mais tes grandes sœurs et frères le sont, tu vas trouver ton âme-sœur pour combler le vide laissé par ton papa », etc. Pour moi, malheureusement, cela ne me consolait pas, car je croyais qu’il ne convoitait que les millions de BIF qu’on devait déposer sur son compte pour régler la facture, ce qui est normal.
Il aurait fallu attendre au moins que la plaie cicatrise
Peu de personnes ont pris le temps de me dire qu’elles pensaient à moi durant ces épreuves. Y avait-il une autre réalité cachée derrière ces « soi-disant condoléances et compassion » ? La vérité s’est révélée après les cérémonies funéraires et la levée de deuil.
Ce qui m’a le plus choqué, c’est sa déclaration rapide et déplacée, sans attendre au moins « ko uruguma rukaba » (que la plaie cicatrise).
Il disait : « Alors, quand est-ce qu’on partage un verre de bière ? Donne-moi un rendez-vous please ! Je suis célibataire. ». Et en ajoutant des blablablas dont je vous épargne… Ces mots, il les a prononcés avant alors que ma douleur était encore trop vive.
Je lui ai répondu fermement, mais poliment, qu’il était hors de question de mêler quoi que ce soit d’autre au deuil. Je lui ai expliqué que toute la facture avait été réglée la veille de l’enterrement, qu’on ne lui devait rien, même pas un rendez-vous ! J’ai ajouté que s’il avait besoin de remerciements pour le travail fait, nous étions très reconnaissants de cette collaboration. J’ai aussi précisé que je voulais qu’il me laisse tranquille.
Faire la cour ou « gutamba ku muvyimba » ?
Pourtant, il a continué à insister encore et encore, et à prononcer des mots qu’il pensait doux pour me convaincre, mais qui sonnaient comme des poignards dans mon esprit blessé. Oui, je ne refuse pas que quelqu’un puisse tomber amoureux de moi, mais il aurait fallu attendre le moment opportun pour me le dire. À aucun moment, il ne s’est mis à ma place pour comprendre ce que j’endure, ce que j’encaisserais au plus profond de moi-même. Il n’a jamais compris que je traversais des moments durs.
Il n’a pas compris que je n’étais pas prête pour une quelconque relation. Je me battais pour trouver un équilibre en l’absence de mon père, tandis que lui voyait une opportunité de jouer sur mes faiblesses, sans tenir compte de mes larmes qui coulaient sans cesse au plus profond de moi. Ce manque d’insensibilité et cette incapacité à analyser la situation m’ont fait comprendre qu’il ne mesurait pas l’impact de ses actions.
Désolée si mes pensées vous semblent déplacées. Mais je ne comprends pas comment un homme digne de son nom, et qui porte le sens d’Ubuntu, peut envisager de profiter d’une personne en deuil. Là où il pensait me faire la cour, je n’y ai vu que du harcèlement. Cela montre un manque de considération de la vulnérabilité de la femme. Je considère que la douleur mérite d’être respectée. Sinon cela devient ce qu’on appelle en kirundi « gutamba ku muvyimba » (« danser sur un cercueil »).