article comment count is: 7

Yaga de retour : le fil des événements

Le 27 mars 2025, nous apprenons en même temps que d’autres médias que Yaga est suspendu temporairement. Lors de la conférence de presse organisée à l’issue de la session des 26 et 27 mars 2025 du Conseil National de la Communication (CNC), la présidente du CNC annonce ce qui est reproché à Yaga : le Ministère de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité Publique, chargé entre autres de la régulation des associations sans but lucratif, aurait des doutes sur l’authenticité de l’ordonnance ministérielle d’agrément de l’Association des Jeunes Burundais pour le Développement Inclusif (AJEBUDI), entité légale responsable de Yaga.

Sur le coup, au-delà de la stupeur, c’est la confusion qui domine. Dans l’immédiat, nous choisissons la transparence : un communiqué est publié pour partager cette information, aussi parcellaire soit-elle, avec notre audience. En parallèle, nous suspendons toutes nos activités sur toutes les plateformes.

Deux heures plus tard, la décision écrite nous parvient. Elle apporte un peu plus de précision : « Le médium en ligne YAGA BURUNDI est suspendu jusqu’à ce qu’une Ordonnance Ministérielle d’agrément de l’AJEBUDI reconnue par le Ministère ayant la gestion des Associations Sans But Lucratif dans ses attributions soit présentée au Conseil National de la Communication. »

Nous comprenons alors qu’il s’agit d’une affaire administrative, et qu’un recours est possible. C’est déjà un soulagement car on sait bel et bien que notre ordonnance d’agrément a été obtenue de façon parfaitement légale.

Les 28, 29 et 30 mars 2025, nous nous attelons à rassembler tous les éléments en notre faveur : la copie de notre ordonnance, le bordereau de paiement des frais d’agrément réglés juste avant son retrait en novembre 2019, le procès-verbal de l’Assemblée Générale constitutive de notre association, les statuts… Et surtout, la preuve ultime : une copie authentique de notre ordonnance, archivée au Centre d’Études et de Documentations Juridiques (CEDJ), département du Ministère de la Justice chargé de classer, archiver et diffuser tous les actes législatifs et réglementaires de l’appareil étatique, que nous avons pu consulter nous-mêmes le 28 mars 2025.

Sur les traces de l’ordonnance “perdue”

Le 31 mars 2025 au matin, après un week-end où nous n’avons dormi que d’un œil, nous rédigeons un recours que nous adressons au Conseil National de la Communication (CNC), en y joignant toutes les pièces justificatives. Nous déposons également des copies du dossier à différents ministères, dont celui de l’Intérieur.

Le 2 avril, la Police Judiciaire nous contacte dans le cadre de vérifications. Le lendemain, nous nous rendons avec deux officiers au Cabinet du Ministère de la Justice – qui attribue les numéros d’ordonnances – puis au Centre d’Études et de Documentations Juridiques (CEDJ) où ces documents sont archivés.

Sur place, les officiers constatent que notre ordonnance se trouve bien dans le classeur du CEDJ. Mais c’est au niveau du Cabinet du Ministère de la Justice que nous comprenons l’origine du malentendu : dans le registre des ordonnances de novembre 2019 (puisque notre ordonnance d’agrément date du 20 novembre 2019), la nôtre n’y figure pas.

Si on s’en tenait à cela, la conclusion pourrait être qu’il y a quelque chose de louche. Mais ce jour-là, nous avons tout notre temps pour essayer de comprendre. Nous avons tous une même question : comment la copie authentique d’une ordonnance peut-elle se retrouver au Centre de Documentations Juridiques et être absente des archives du Cabinet du Ministère de la Justice, alors même qu’il s’agit d’un même ministère et que ce sont des fonctionnaires de ce même ministère qui acheminent ces documents du Cabinet vers le centre d’archivage ? Pour votre compréhension, à part la copie originale d’une ordonnance, qui rentre en possession de l’organisation ou de la personne concernée par l’ordonnance, trois autres copies conformes à l’originale sont usuellement établies : une archivée au ministère qui l’a émise, une deuxième classée dans les archives du Cabinet du Ministère de la Justice, et une autre envoyée au Centre d’Études et de Documentations Juridiques. 

Et la lumière fut… 

Sur le coup, un des officiers qui nous accompagne remarque un détail troublant : entre le 8 et le 24 novembre 2019, aucune ordonnance n’a été consignée dans le registre des ordonnances de cette période, tenu par le Cabinet du Ministère de la Justice. Ce vide est même matérialisé dans le livre par un point d’interrogation.

Le Secrétariat du Ministre nous éclaire : à cette période, en raison d’un trop-plein de travail, certaines ordonnances pouvaient ne pas être consignées dans ce registre. Et ce n’était pas un cas isolé, car nous remarquons d’autres passages vides à d’autres périodes. Il ajoute une nuance importante :
« Les ordonnances qui ne figurent pas dans les archives du Cabinet peuvent être retrouvées soit au CEDJ, soit dans les archives du ministère qui les a émises. »

Toujours en compagnie des officiers de la police, nous retournons donc au CEDJ pour vérifier si d’autres ordonnances de cette même période sont concernées. Et comme on s’y attendait : plusieurs ordonnances absentes du registre du Cabinet du Ministère de la Justice sont bel et bien présentes dans le classeur du CEDJ. Mieux encore : notre ordonnance est également consignée dans le registre officiel du CEDJ de cette époque, au milieu d’autres ordonnances absentes du Cabinet.

Le 9 avril 2025, nous nous rendons avec les mêmes officiers au Ministère de la Justice et au CEDJ pour une deuxième vérification, puis dans les services d’archivage du Ministère de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité Publique, où une trace de notre ordonnance est enfin retrouvée dans un registre de l’époque. 

Le 11 avril 2025, nous rédigeons une seconde lettre de recours, cette fois adressée directement au Ministère de l’Intérieur, qui s’engage à traiter notre dossier avec diligence. Trois jours plus tard, Yaga est de retour au travail.

Quelles leçons tirer ?

D’abord, la question des archives. Certes, les ordonnances publiées dans les bulletins officiels ont été numérisées par le CEDJ. Mais des milliers de décisions administratives, du fait qu’elles n’ont pas de “portée nationale”, restent conservées uniquement sur support physique, vulnérable aux aléas du temps. Dans notre cas, un simple dégât physique sur le classeur d’archives aurait suffi à faire disparaître toute trace de notre existence légale.

Ensuite, la diligence et le professionnalisme de certains fonctionnaires publics. Si d’un côté une erreur administrative de l’époque est à l’origine de cette suspension, d’un autre côté nous avons aussi vu à l’œuvre une facette rarement mise en lumière : celle d’agents de l’État dédiés à leur tâche. Nous pouvons citer par exemple l’officier de police judiciaire qui nous a accompagnés et qui était à l’écoute, rigoureux, neutre, engagé pour la vérité. Grâce à lui et à d’autres qui ont pris le temps d’écouter et de considérer nos explications, nous avons pu sortir de cet imbroglio administratif la tête haute.

Enfin, nous retiendrons l’impact de notre travail et la solidarité de notre communauté. En deux semaines d’interruption, nous avons ressenti, au travers des messages, des appels réconfortants, des tweets que chaque article, chaque vidéo, chaque analyse que nous produisons compte. Que l’absence de Yaga est perçue comme une perte. Pour beaucoup de Burundais… et de non-Burundais. Merci à vous pour votre soutien. Nous vous promettons de faire toujours aussi bien, voire mieux, et de rester fidèles à notre mission aux côtés de la jeunesse burundaise.

 

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion

Les commentaires récents (7)

  1. Cette situation que yaga Vient de se confronter nous sert tous de leçon. Les procédures administratives doivent toujours être toujours traités de façon intelligente que ça soit pour les prestataires de ces services ou pour les bénéficiaires

  2. Je suis Yagaleur, conteur de vérité,
    Ma plume se nourrit de votre liberté.

    Yagaphile de l’âme, fidèle sans détour,
    Je vis chaque article comme un souffle d’amour.

    Je vous souhaite Akayaga, ce vent léger,
    Qui porte l’espoir sans jamais plier.

    Continuez d’écrire, de penser, d’aimer,
    Car dans vos silences, le monde peut trembler.

    Bon retour à YAGA, lumière retrouvée,
    Votre silence fut vent, nos cœurs chavirés.

    Mais vous revoilà, forts, debout, engagés,
    À semer des mots, à réveiller, à rêver.

    The Chris BABAT