Accusée d’avoir publiquement dénoncé les abus sexuels du directeur de son établissement, Emilienne Sibomana a été acquittée par la Cour d’appel de Gitega. Pourtant, elle reste dans les geôles de la prison centrale de Gitega. Au nom de quoi ? Éditorial.
Nous sommes le 27 janvier 2023. Trois ministres dont celui de l’Éducation tiennent une réunion au chef-lieu de la province Gitega. Une dame se lève et prend la parole. C’est Emilienne Sibomana, secrétaire au lycée Christ-Roi de Mushasha, une des écoles fondamentales de la localité. Elle révèle que l’abbé Laurent Ntakarutimana abuserait sexuellement de certaines élèves. Elle en veut pour preuve la présence d’un matelas dans le bureau du directeur.
Cette révélation lui vaudra d’être arrêtée le lendemain par la police et le service national des renseignements. Le dossier RPA 3336 vient de voir le jour. Emilienne est accusée de dénonciation calomnieuse. Le Tribunal de grande instance de Gitega la condamne à cinq ans de prison ainsi que le versement de cinq millions de francs burundais en dommages et intérêts. Elle interjette appel.
Le 28 juin 2024, soit après une année et demie de prison, la Cour d’appel de Gitega prononce son acquittement. La décision lui est signifiée un peu plus d’une semaine plus tard. Ce jour-là, plusieurs voix saluent la décision de la Cour d’appel.
Le feuilleton aurait dû s’arrêter là. Et pourtant. Jusqu’aujourd’hui, le mandat d’élargissement n’a pas toujours été émis. Ce petit bout de papier devrait permettre au geôlier de la prison centrale de Gitega d’ouvrir les gros grillages derrière lesquels croupît Emilienne depuis longtemps. Hélas, madame reste sous les verrous, cette fois-ci, clairement contre la décision du juge.
Une détention bricolée
Dans cette affaire, des questions restent sans réponses. Pourquoi l’existence du matelas, preuve matérielle dans le crime dénoncé par Emilienne, n’a pas été immédiatement vérifiée ? Pourquoi les accusations de viol n’ont-elles jamais été instruites ? Pourquoi l’affaire n’a pas été confiée à la cellule spécialisée en violences basées sur le genre (VBG) du tribunal de grande instance de Gitega ? Pourquoi arrêter Emilienne sans se donner la peine de mener une enquête approfondie ?
Toutes ces questions font suspecter un biais dans la conduite de ce dossier. Les avocats d’Emilienne estiment que l’arrestation précoce de leur cliente a découragé les témoins potentiels de se manifester.
Une main invisible ?
Le ministère public a introduit un pourvoi en cassation le 12 juillet 2024, en accord avec l’article 46 du Code d’organisation et de la compétence judiciaires. Ce dernier dispose que les arrêts rendus par la Cour d’appel en matière répressive sont susceptibles d’opposition, d’appel et de cassation.
Cependant, l’article 35 du même code stipule que les jugements en matière de délits ne sont pas admis en cassation. Or, la « dénonciation calomnieuse », infraction pour laquelle Emilienne est poursuivie, fait partie de la catégorie des délits conformément à l’alinéa 3 de l’article 12 de la loi n°1/27 du 29 décembre 2017 portant révision du Code pénal.
Ledit pourvoi ne devrait donc pas être recevable en cassation. Quand bien-même il l’était, cela ne devrait en aucun cas suspendre le jugement RP 3336/Git portant acquittement d’Emilienne Sibomana, sauf l’existence d’un autre titre de détention.
Mais alors, qu’est-ce qui explique le maintien en détention d’Emilienne Sibomana ? Clairement pas la loi. Dans tous les cas, d’aucuns retiendront que dans cette affaire, l’acte de dénoncer a été plus grave que le crime dénoncé. Et c’est déjà bien grave.