Chaque 30 mars, le monde commémore la journée internationale des troubles bipolaires. Au Burundi, cette journée a été célébrée le 2 avril au centre neuropsychiatriaque de Kamenge, sous le thème : « Le rétablissement, c’est possible ». Oui, c’est possible ! Soline, actuellement rescapée de ces troubles, en est la preuve. Voici son témoignage.
Victime des troubles bipolaires, Soline Ndayikengurukiye, licenciée en économie, a décidé de partager son témoignage, afin d’inspirer d’autres personnes qui luttent contre cette maladie. C’est le moment opportun de leur montrer qu’il est possible de retrouver une vie épanouissante malgré les obstacles.
Elle raconte son histoire dès son enfance tumultueuse :
« Je suis née en août 1980. Originaire de Kayanza, je suis l’aînée dans une fratrie de deux garçons et cinq filles. À l’âge de huit ans, alors que j’étais en première année primaire, j’ai réalisé que mes parents étaient en mésentente. J’étais constamment assaillie par des pensées contradictoires et des émotions dévastatrices, sans vraiment comprendre ce qui se passait en moi ».
La quête de la vérité
Coûte que coûte, Soline a décidé de chercher l’élément déclencheur du malentendu et des querelles qui persistaient entre ses parents. « Un jour, alors mon père a prévu de donner les boutures de manioc « ibikotikoti vyo gutera » à ma tante paternelle, un acte qui a déplu à ma mère. Lorsque ma mère est rentrée, elle a vu les boutures et a réalisé qu’elles allaient être offertes à ma tante. Elle a réagi violemment en les coupant en petits morceaux pour les jeter à la poubelle », se souvient Soline. Et cet acte a renforcé sa conviction que sa mère était la source des conflits dans sa famille.
Se souvenant du soleil accablant au moment où elle et sa petite sœur ont transporté ses boutures, du champ à la maison, elle s’est fâchée contre sa mère. Une autre raison d’accuser sa mère. Au retour de son père, elle a tout raconté à propos de cette histoire. Cela a rapidement intensifié le conflit entre ses parents. Ayant remarqué que c’était elle qui l’avait dénoncée, sa mère l’a brusquement frappée en lui disant des mots blessants tels que : « Ndi muka so canke uri umuzanano ? (Suis-je ta marâtre ou t’es un bâtard ? Ndlr). Cela l’a plongée encore dans le pire océan du désespoir et de la dépression : « A partir de ce jour, j’ai confirmé que c’est ma marâtre. Parce que je ne comprenais pas ce que signifie le mot « Umuzanano », j’ai commencé à faire des recherches en demandant à mes proches (tantes et grand-mère paternelles). Avec certainement des questions pour savoir si jamais ma mère a existé », ajoute-t-elle.
Evolution progressive de la blessure
Au fur et à mesure que Soline grandissait, elle a vécu des périodes de tristesse et de désespoir. En 1995, elle a réussi le concours national et a été orientée vers une école à régime d’internat. Elle a ressenti un soulagement en étant séparée de sa mère. Pendant les vacances, elle se rendait chez ses grands-parents qui habitaient à quelques mètres de chez eux. La relation avec ses frères, ses sœurs et la famille de sa mère n’était pas bonne : « Je ressentais toujours le désir de retrouver ma ‘vraie mère’ », confie-t-elle.
Pendant les grandes vacances, après la 7ème année, elle a rédigé une lettre à son père, qui était alors à Bujumbura, pour lui demander qui était sa vraie mère. « Il m’a expliqué que la vraie mère que je cherchais était bien celle qui vivait avec lui, mais qu’elle était difficile et autoritaire, il l’a qualifiée de « ingare ». Depuis ce jour, je l’ai accepté comme elle est. Et j’ai pris la décision d’étudier beaucoup pour devenir médecin afin que plus tard, je puisse acheter des cadeaux à ma mère qui la pousseront à m’aimer ».
La renaissance de la colombe
Soline enchaîne son témoignage en montrant l’évolution de sa dépression vers les troubles bipolaires. Elle raconte : « Malheureusement, la vie en a décidé autrement : mes parents n’ont pas vécu longtemps. Mon père est décédé en 1998, victime d’une crise d’asthme, alors que j’avais presque 18 ans. Trois ans plus tard, ma mère est décédée dans un accident de la route. Le départ de ma mère a été particulièrement difficile pour moi, car nous ne nous étions pas réconciliées et mes rêves n’avaient pas été réalisés.
Depuis son décès, j’ai souffert d’insomnie. Au cours du deuxième trimestre de ma dernière année au lycée, soit cinq mois plus tard, ma santé mentale s’est détériorée. En 2002, j’ai été hospitalisée au Centre neuropsychiatrique. Depuis lors, j’ai été hospitalisée à 12 reprises en raison de symptômes correspondants à la phase maniaque, selon les professionnels de santé. »
Entre ces hospitalisations, Soline sombrait dans la dépression, avec des symptômes de tristesse évidents sur son visage, un sentiment de doute quant à son existence et un dégoût de la vie. Elle a fait trois tentatives de suicide, allant jusqu’à se rendre dans une forêt pour être dévorée par des renards, ou encore utiliser une arme ou de l’insecticide. « Un jour, j’ai même volé l’arme d’un soldat dans le but de me tirer dessus, mais j’ai été arrêtée », avoue-t-elle.
Le trouble bipolaire est une maladie mentale caractérisée par des variations entre des phases de joie et de tristesse. Malgré le parcours difficile que Soline a traversé, elle affirme que le rétablissement est possible grâce aux efforts combinés des médecins, de la famille et du patient lui-même. « En seconde, je me suis surnommée « la colombe poignardée », suite à une histoire étudiée en classe. Je suis désormais « la colombe rescapée » et je demande à tous de ne pas nous stigmatiser ni de nous pointer du doigt en nous appelant parfois « abasazi » ».
Elle lance un cri d’alarme à tous pour préserver de bonnes relations interpersonnelles, afin de prévenir la maladie et de préserver une bonne santé mentale. Elle appelle vivement le gouvernement à rendre les soins gratuits pour les personnes souffrant de troubles mentaux en général. En outre, les parents sont encouragés à maintenir de bonnes relations familiales pour se protéger eux-mêmes et protéger leurs enfants. Quant à la communauté, un bon soutien aux personnes atteintes de troubles bipolaires serait bénéfique.