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Les terres et autres biens à Rumonge : une équation à plusieurs inconnues

Dans un contexte post conflit, il peut être difficile d’instaurer la consolidation de la paix et la bonne cohabitation des habitants, quand les jugements rendus n’ont pas été mis en application. C’est le cas dans la province Rumonge. Reportage.

Il est presque midi quand nous débarquons dans cette belle ville située au bord du Lac Tanganyika. Des enfants profitent d’une bonne baignade sous le soleil, pendant que d’autres sont en train de pêcher des poissons tout frais pour préparer vite fait le repas de midi. Au passage, beaucoup de palmiers et des plants de manioc font un décor uniforme. On comprend tout de suite que ce sont les cultures principales de cette localité. 

Cette bonne ambiance, qui règne ici, donne au voyageur l’image d’une petite ville paisible. Pourtant, beaucoup parmi les habitants de Rumonge, surtout les plus âgés, ont fui la guerre de 1972, laissant derrière eux leurs terres, leurs maisons. A leur retour au pays en 2008-2009, leurs terres étaient occupées par d’autres, créant beaucoup de conflits fonciers dont certains sont toujours pendants dans la justice. 

Des jugements qui ne sont pas exécutés

Ndayishimiye Eliazar, est né le 25 mars 1955 ici à Rumonge. Il a fui la guerre en 1972 et est rentré au pays quand il y a eu l’accalmie, le 25 aout 1997. « En 2002, 5 ans après mon retour, ma parcelle de 1 ha a été donnée aux jeunes gardiens de la paix. J’ai alors engagé un procès que j’ai remporté en 2011, mais on ne m’a pas encore remis ma parcelle. Je ne comprends pas pourquoi ça traîne. Douze ans après, je commence à manquer de patience. », se lamente-t-il.

Selon Masumbuko, 18 mois de silence depuis le départ de la CNTB, c’est beaucoup. Cela fait plus de dix ans que les jugements ont été rendus, mais ils ne sont toujours pas mis en exécution. « Nous savons que les autorités provinciales et les médias sont au courant. Je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas sensibles à cette question… », dit-il en colère.

Quant à Jean Baranshiriye, originaire de Minago, il a fui la guerre en 1972. Il a demandé l’asile au camp de Mutabira en Tanzanie pendant plusieurs années. En 2008, à son retour, sa parcelle de 5 ha était occupée par le bureau de la zone qui aurait été construit en mon absence : « Je me suis confié à la CNTB pour être régularisé. On me dit toujours d’attendre depuis plus de dix ans. Je vieillis, je risque de m’éteindre sans que mes enfants ne puissent rentrer au pays étant donné que je n’ai nulle part où les accueillir », déplore-t-il.

 « Imaginez que deux différentes familles se réclament être propriétaires de notre parcelle. L’une d’entre elle réclame 3 ha et l’autre 5. Il nous faut vraiment le secours du gouvernement. », confie Béatrice Niyogushima, née à karagara en zone buruhukiro. Ses parents ont été tués en février 1995. Récemment, une famille rapatriée de Muhono a engagé un procès disant que la parcelle lui appartenait. Un temps après la fin de ce procès, une autre famille s’est présentée, prétendant avoir l’autorisation du CNTB d’exploiter cette parcelle, et ce, sans que Beatrice soit au courant ni même avoir été convoquée au moins une fois. 

Une question cruciale

Selon Monsieur Bizimana Rubin, Conseiller juridique du gouverneur de la province de Rumonge, pour l’intérêt de tous les citoyens de Rumonge, cette question mérite l’attention, la prudence et l’efficacité. « Certains citoyens ont mal compris la procédure. Les politiques différentes de ceux qui ont coordonné les travaux de la CNTB ont aussi fait que les procès traînent. La CNTB se retrouve à réétudier tout le temps les dossiers et à reprendre les procédures. Mais il y en a quand même ceux qui ont été mis en application et ou toutes les parties prenantes sont satisfaites. », souligne M. Rubin.

Selon Dr Bosco Harerimana, analyste en justice transitionnelle et professeur d’université, quand les jugements rendus sont systématiquement appliqués, les citoyens ont espoir d’un avenir meilleur, nourri par la légitimité renforcée dans le système judiciaire. Cela cimente le développement d’une nation. Dans le cas contraire, des conséquences sociales peuvent survenir, notamment le malaise social qui s’installe au sein de la population. « C’est progressivement la perte de confiance des citoyens dans les institutions de la République, et la tendance à se faire justice. Cela risque de conduire à un conflit à grande échelle. »

Selon ce professeur, dans un contexte post conflit, la mise en application des jugements rendus devrait se faire rapidement pour éviter de perturber les mécanismes de justice transitionnelle et les efforts de consolidations de la paix. Si la justice fait un suivi régulier, et fait des descentes sur terrain régulièrement, la cohabitation pacifique suscitera l’envie des partenaires à s’intéresser au pays.

Pour rappel, le 21 avril 2023, la CNTB a remis au ministère de tutelle 21 718 dossiers pendants. 

 

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