Est-ce les conséquences de la pénurie des produits Brarudi qui commencent à se faire sentir ? Sapor, une boisson à forte teneur en alcool se vend comme de petits pains. Les jeunes friands de ce breuvage ne savent malheureusement pas le prendre avec modération. Et les victimes se comptent déjà. Récit.
Hier, alors que nous terminons tranquillement les heures de boulot aux environs de 17h, nous décidons de rentrer immédiatement pour éviter les longues files d’attente au parking des bus. Il s’agit aussi de bien préparer la journée suivante. Malheureusement, le destin en a décidé autrement, à notre insu.
À seulement 120 mètres du bureau, nous tombons sur une petite foule de personnes. Elles entourent un jeune homme agonisant. Parmi eux, de nombreux élèves éméchés en uniforme.
Le métier qu’on fait nous oblige à rester curieux, partout où on se trouve. Nous approchant de la foule, nous sommes prises par l’odeur ambiante d’alcool ; « umupfuke ». De toute évidence, la personne mal en point et les compagnons qui l’entourent empestent l’alcool. Une personne dans la foule dit à voix basse : « Uuuuuh, ça sent du Sapor à plein nez ».
Nous sommes éblouies. « Est-ce que Sapor peut faire autant de dégâts ? » ; s’interroge une personne, dans la petite foule ?
Entre la vie et la mort
Un des élèves, âgé de 17 ans, apparemment moins ivres que les autres, nous affirme que le jeune mal en point a bu du Sapor avec eux. Et il ajoute qu’il en a beaucoup bu, en prenant des shots ; « gutera iseke » en Kirundi. Il ne restait rien d’autre à faire que de l’emmener à l’hôpital. Mais qui va l’amener à l’hosto, puisque tout le monde est ivre ? Les journalistes que nous sommes se transforment en bons samaritains. Un des jeunes, moins ivre, nous accompagne.
Comme on dit en Kirundi, « Imisi itarakwira ntaho uja ». Entretemps, l’état du jeune homme s’aggrave. Le chauffeur de taxi nous a conduit à vive allure à la Polyclinique Centrale de Bujumbura, connue sous le nom de Polyceb. Nous voilà devant les médecins. Un petit soupir de soulagement et nous attendons la suite.
Un médecin nous demande son nom. Parmi nous trois, personne ne connaît le jeune homme. Nous écarquillons nos yeux, en silence. Heureusement, le médecin commence à lui prodiguer les soins, bien que ses confrères affichent des mines inquiètes. L’un d’eux nous demande ce que le gars a pu boire. Son ami répond et raconte ce qui s’est passé. Un des médecins nous informe qu’il est dans le coma, déshydraté et en état d’hypoglycémie. « Il est entre la vie et la mort » ; concluons-nous.
Les candidats
Lui s’appelle Kévin (nom d’emprunt pour assurer l’anonymat du jeune homme). Il est âgé de 27 ans. Entretemps, son compagnon, saisi d’un esprit qui lui vient de je ne sais où, commence à nous répéter ce qui s’est passé. Encore une fois ?
D’après son témoignage, un groupe d’élèves du post-fondamental, y compris des jeunes filles, ont l’habitude de se rendre dans des endroits discrets pour boire le « Sapor wine », cette boisson fortement alcoolisée.
Sapor a une teneur en alcool de 16 %, comme indiqué sur l’étiquette. La bouteille coûte 2000 Fbu. Ces jeunes du groupe se cotisent pour acheter cette boisson en quantité. Ils ne se doutent pas qu’elle peut être dangereuse. Ils se réunissent donc régulièrement pour désaltérer. Kévin a rejoint cette équipe par hasard, parce qu’un ami à lui en est membre. Ce dernier lui a proposé de « se chauffer le gosier », comme ils disent. C’est ainsi que les jeunes se trainent, comme des brebis vers ce gouffre.
A huit bouteilles, un mort
Il nous faut retrouver la famille de Kevin. Rapidement. Mais, où ? Tapons son nom sur Facebook. Rien n’apparaît. Que faire encore ? Nous perdons tout espoir. Dernier recours, poster sa photo accompagnée d’un petit message sur nos statuts WhatsApp. Il est déjà 18h38min. L’une de nos contacts nous a répondu, à 18h 54’, : « Je connais ce gars. Nous étions des voisins à Nyakabiga, chez sa grand-mère ».
Ouf ! Enfin, nous connaissons l’adresse. Une heure plus tard, son oncle débarque à la « Polyceb ». Vite fait, nous lui racontons ce qui s’est passé, en guise de remise et reprise du fardeau. Oncle s’énerve. Peut-être, choqué d’apprendre ce que son neveu a fait. « C’est son habitude de consommer des drogues, mais l’étape d’une overdose, jusqu’ à tomber dans le coma, est nouvelle », nous lance-t-il. Et de nous informer que Kévin vit avec son petit frère.
Si Sapor fait fureur actuellement, il n’en est pas moins dangereux. D’ailleurs, il vient de faire une autre victime à Gatumba. Deux hommes ont parié 20.000 Fbu pour boire 8 bouteilles de Sapor en 5 minutes. Un des parieurs a effectivement bu les 8 bouteilles au goulot. Sauf qu’il a rendu l’âme, quelques instants après.
Malgré les mesures prises par la Ministre ayant le commerce dans ses attributions, de suspendre la vente au détail des boissons alcoolisées à plus de 16%, force est de constater qu’elles sont toujours consommées sans modération. Sapor est en vogue. Il est temps de lancer un SOS pour protéger la vie des jeunes, qui consomment ces boissons. Une évaluation de leur impact sur la santé devrait être une priorité, avant la mise sur le marché.
En passant, nous nous sommes tirées de « Polyceb » à 20h05’. Kevin reprenait progressivement conscience. Nous apprendrons plus tard que lui aussi est rentré à la maison, vers 22h.
Si seulement nous avions hésité un instant de l’emmener à l’hosto …
Courage les bons samaritains de Yaga
Bingwa
C’est grave!