Connue pour ses nombreux conflits durant la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle, la région des Grands Lacs, située au centre-est du continent africain, est devenue l’une des parties du monde les plus prospères et les plus dynamiques en cette fin de siècle. Voyons ce qui est à l’origine de ce « miracle ».
Dieudonné « Diyo » Irakoze, un Burundais de trente ans, gère la ligne de chemin de fer Dar es Salam – Arusha – Kobero – Gisenyi – Goma. Ce réseau rivalise avec les trains chinois par sa vitesse, mais pas seulement : en 2075, il est le plus rentable du monde. Avec ses dizaines de millions de voyageurs et ses tonnes de marchandises, cette ligne assure les échanges entre les pays de ce que fut l’East African Community. Cette dernière, devenue en 2035 l’East African Union, s’est efforcée de pacifier cette région autrefois minée par les génocides et les crimes contre l’humanité.
Ce matin du 17 décembre 2075, Diyo et son équipe d’une vingtaine de cadres sont sur leur trente-un. Une délégation des ministères des Transports rwandais, tanzanien et congolais est attendue à Kobero, où sera célébrée la journée dédiée à la Pacification des Grands Lacs. Ce terme désigne une série de sept accords ayant permis le retour définitif de la paix. Parmi eux, cinq sont des accords de partenariat économique entre les onze pays de l’Afrique de l’Est (ils n’étaient que huit en 2025). On peut citer entre autres, la création de la monnaie unique, une Banque centrale commune, la suppression des frontières, l’ouverture des marchés intérieurs et la fin du protectionnisme.
Deux autres accords concernent la sécurité régionale. Ce sont ceux qui ont exigé le plus de temps de négociation. Les diplomates ont veillé à ce qu’aucune nation ne viole la souveraineté d’une autre. Plus important encore, il a fallu s’unir contre toutes les menaces extérieures. La mission de créer une force militaire commune a été confiée au Soudan du Sud. Ce contingent de 12 000 hommes, prêts à servir l’Union, combat sous une seule bannière, sans distinction de nationalité. Pourquoi le Soudan du Sud ? Les négociateurs ont privilégié le professionnalisme et la hargne de l’armée soudanaise. Ces troupes ont une autre mission capitale : protéger les zones minières, du cuivre au centre et au sud de la RDC aux terres rares du Burundi, en passant par les puits de pétrole du Soudan.
Une fois la force militaire établie, la création d’une police commune de 7 000 hommes a été confiée aux Ougandais, Kényans, Rwandais et Somaliens. Le Burundi, quant à lui, a reçu la charge d’abriter les centres de recherche en stratégie et sécurité. Enfin, la Tanzanie fabrique l’arsenal militaire : avions, blindés et missiles. « Pour se développer, il faut d’abord se protéger », aimait à dire un des diplomates artisans des accords. La tâche n’a jamais été aisée, mais la région était si convoitée qu’il était devenu impossible pour les populations de rester les bras croisés.
Pour la célébration du Pacification Day, Diyo Irakoze a préparé un discours d’accueil dont voici un extrait :
« Le sang a coulé dans nos rivières et nos lacs, le feu a brûlé nos collines et tant de larmes ont ruisselé sur nos joues. Nous n’avons pas oublié. Une machette a frappé un voisin, une balle a fauché un bébé, des bombes ont détruit nos maisons. Pendant ce temps, il n’y avait plus personne pour commercer, pêcher ou enseigner.
Aujourd’hui, ce 17 décembre, rappelons-nous d’où nous venons. Si aujourd’hui nous pouvons boire un thé à Kigali, monter dans un train pour manger Umukeke à Bujumbura et rentrer le soir à Goma, c’est grâce au sacrifice des hommes et femmes qui ont dit « Stop ! ». Des citoyens qui se sont réunis autour d’une question : « Comment profiter de nos terres, de nos lacs et de nos rivières ? »
Ce ne fut pas facile. Il a fallu venir à bout des mouvements rebelles et terroristes. Les diplomates ont fait un travail honorable que le reste du monde n’a pas tout de suite compris. Mais nous, si. Nous avons connu le viol comme arme de guerre. Nos grands-parents se sont entretués pour des critères physiques. N’avions-nous pas fait assez de mal ? L’année 1994 doit nous servir d’exemple : nous sommes capables du pire, mais puisque l’être humain est aussi capable du meilleur, nous nous sommes unis. Nous avons décidé qu’échanger des bananes, du riz ou du poisson valait mieux qu’échanger des missiles. »
Ce discours a profondément ému l’assemblée. Charles Kampano, à la tête de la délégation rwandaise, a rappelé l’importance de la paix : « Nous avons toujours été une région riche : des terres fertiles du Kenya aux rizières tanzaniennes, des montagnes regorgeant d’or de la RDC à la beauté des paysages rwandais et au pétrole du Soudan. Tout cela est une bénédiction, mais il nous fallait la paix pour en jouir. »
Jean Mukoko, délégué de la RDC, a ajouté : « La paix n’est acquise que lorsqu’on prend conscience de qui l’on est. Cela a pris du temps dans mon pays, car chaque nation a ses démons à exorciser. Nous l’avons fait. La RDC s’est réveillée, et son réveil a entraîné toute la région. »
Après les allocutions, les délégations ont accompli le geste symbolique de la Pacification : à 15 heures précises, sept colombes ont été lâchées dans le ciel, représentant les sept accords qui ont apporté la paix et la prospérité à cette région des grands lacs et d’Afrique de l’Est.
Note de l’auteur : cet article est une uchronie, c’est-à-dire une reconstruction fictive de l’histoire relatant les faits tels qu’ils pourraient se produire.
