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Plan B : nounou pour personnes handicapées

On a tous des rêves. Certains ont été accomplis, et d’autres brisés. Que nous reste-t-il de nos rêves inassouvis ? Que peut-on faire ? Alice, elle, ne s’est pas laissée faire, elle a forcé son destin quitte à se frayer une autre voie. Elle a voué une partie de sa vie au service des plus vulnérables. Billet retour.

Un vendredi, j’arrive à Gitega. Nostalgique, je décide de me rendre à l’école qui a tant abrité mes journées mornes, le lycée Notre Dame de la sagesse (ex CND). Malgré la saison pluvieuse de ces temps-ci, il fait beau. Rien qu’à la vue de la croix de l’église de l’école, plein de souvenirs remontent à la surface, souvenirs que j’essaie de refouler malgré moi, après tout, on dit : « Ne réveille pas l’eau qui dort. »

À mon arrivée, je remarque pas mal de changements, notamment « kuma carreaux » aussi appelé « kuma arret bus » un endroit où les couples aimaient se garer. (Si les murs pouvaient parler, cet endroit aurait tant à nous dévoiler). Aujourd’hui, il n’y pas l’ombre d’un couple, au contraire, il y a un groupe de personnes en fauteuil roulant. 

Quand je suis partie, l’école accueillait certes quelques aveugles et sourds-muets, mais aujourd’hui, je remarque que les personnes vivant avec handicap sont de plus en plus nombreuses. Je m’approche d’eux pour les saluer. L’un d’eux parle difficilement et pas clairement. « Il te dit bonjour », me lance une voix derrière moi, me faisant sursauter. C’est une jeune fille apparemment fatiguée, on dirait qu’elle va s’endormir en marchant, elle ne porte pas d’uniformes, je me dis alors que c’est une nouvelle encadreuse. Encore un changement, car les vieilles encadreuses aigries de notre temps n’ont rien à voir avec cette beauté qui se tient devant moi : « Ils ont du mal à parler correctement, ils sont atteints d’une Infirmité Motrice Cérébrale », explique-t-elle avant de se présenter, « nije ndi umuyaya wabo ndabafasha ibintu vyose » (je suis leur nounou, Ndlr.)

J’avais un rêve, mais…

Dans sa vingtaine, Alice n’a pas peur de parler aux inconnus, à peine l’ai-je salué qu’elle m’assaille de questions : « Tu viens de Bujumbura ? » Je hoche la tête en attendant la prochaine question, j’ai l’impression que les rôles sont inversés. J’étais censée poser les questions mais en ce moment, c’est elle qui tient les rênes. « Donc t’es une ancienne d’ici ? », « es-tu journaliste ? » Je n’ai même pas encore répondu qu’elle me lance une autre question, « tu aimes ce que tu fais ? » Je réponds par un hochement avant qu’elle n’enchaîne : « Moi, je voulais être médecin », les yeux baissés, le regard un peu dans le vide.

 

Pour éviter le silence gênant qui commence à s’installer, je reprends les rênes en lui demandant comment elle en est arrivée à faire ce travail.
On dirait un livre qui n’attendait qu’à être ouvert. Elle se lance: « Quand j’étais en dixième, je voulais faire l’école paramédicale. À défaut, je me suis dirigée vers l’école normale, je me disais qu’enseigner n’est pas très loin de soigner, au bout du compte, on aide les gens ça me suffisait. » Elle soupire puis continue : « J’ai terminé l’école normale en 2019, et je voulais continuer avec l’université. Mais l’université ça coûte cher. Même le business dans lequel je me suis lancée n’a pas marché. Narahomvye » 

Je peux lire dans ses yeux la douleur de ce rêve brisé. « Mon rêve ne m’a jamais quittée », parvient elle à me confier. J’ai l’impression qu’elle essaye de se convaincre elle-même.

Un travail hors commun…

Alice n’a pas renoncé à son rêve, non. Comme elle le dit, elle soigne aussi, en quelques sortes.  C’est suite aux recommandations d’une amie, qu’elle s’est retrouvée au centre Umutwenzi appelé souvent « kubikehabwenge ». 90 % des enfants qui s’y trouvent ne peuvent rien faire eux même, se laver, se vêtir, se nourrir, écrire. Ils ont besoin d’une nounou pour tout. Et Alice est l’une de ces nounous.

Elle me confie que c’est une tache pas facile. Elle se charge de leur toilette, la lessive de leurs habits, elle se lève très tôt pour les préparer afin qu’ils ne soient pas en retard, elle les conduit en classe et assiste avec eux aux cours au cas où ils auraient besoin d’elle. En somme, elle a terminé ses études mais elle se retape encore les pires séances de physique (bon, pour moi les physiques c’était atroce). 

Là, dans ma tête, je me dis : « Mais quel bon plan, sûrement qu’elle y tire beaucoup d’argent. » Comme si elle lisait dans mes pensées, elle me fait savoir que les parents de ces enfants payent 30.000 Fbu par mois. Elle sourit mélancoliquement avant de me raconter ce qu’on lui sort dans son entourage. « Bigenda gute ngo n’amashure wize uje kwoza inyo z’abo bana ? Warabuze ico ukora ? » (Comment se fait-il qu’avec tes études, tu te retrouves à laver les derrières de ces enfants? Ndlr)

A force de l’écouter, je me surprends à admirer cet être qui se tient devant moi, son courage, sa vocation, la fierté dans sa voix… Au moment où je lui demande comment elle voit son avenir, les cloches de l’église retentissent, me rappelant que les heures de visites s’achèvent là. Elle se lève et me dit : « Mon rêve n’a pas changé, tôt ou tard, je continuerai mes études. »

Elle me laisse là et commence à amener ses petits compagnons à la prière. « Courage Alice, surtout ne renonce pas à ton rêve! », lui souffle-je en guise d’au revoir.

 

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