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Non, les Burundais ne se tairont pas

« La liberté d’expression véhicule des idées et des paroles, mais ne commet pas de crime. »

Les Burundais peuvent-ils s’exprimer librement ? Certains jeunes répondent timidement par l’affirmative. D’autres estiment qu’ils doivent se battre pour acquérir cette liberté, sans laquelle ils mettent en péril leur épanouissement.

Venant Nishemezwe, Pascal Sinda Yirwanya et Olivier Clerson Iradukunda sont des jeunes de Bujumbura. Dans cette édition, ils jettent un regard critique sur la liberté de parole dans leur pays. Ils lancent aussi des idées pour permettre à la jeunesse burundaise de conquérir ce droit universel et d’en jouir.

Cette édition de Rencontres et Profils est présentée par Agnès Ndirubusa de Rema FM, une de nos radios partenaires à Bujumbura, et Razzack Saïzonou.

Voici quelques extraits de cette édition, retranscrits ci-dessous :

Agnès : La liberté d’expression, qu’est-ce que cela implique pour toi ?

Venant : La liberté d’expression est un droit fondamental qu’aucun gouvernement ne doit ignorer, c’est-à-dire que la liberté d’expression contribue naturellement à l’épanouissement de la démocratie.

Pascal : La liberté d’expression est un droit fondamental pour qu’un pays fonctionne convenablement. La liberté d’expression, c’est avoir les moyens de s’exprimer, de donner ses considérations, de donner son avis sur ce qui se passe dans le pays.

Olivier : La liberté d’expression est une prérogative qui consiste à exprimer ses idées, à dire ce que l’on veut. Mais il faut aussi se rappeler que c’est une liberté dangereuse qui doit être gérée à bon escient et qui doit aussi être limitée dans certaines circonstances, lorsque la nécessité l’exige.

Razzack : En quoi est-elle dangereuse ?

Olivier : Elle est dangereuse parce que, pensez par exemple aux médias de la haine qui existaient au Rwanda, pensez aux manifestations violentes ; ce sont des exemples probants qui montrent que la vie d’un pays peut être mis en danger par cette liberté d’expression lorsque les sujets de cette liberté ne la comprennent pas très bien.

Razzack : Avez-vous l’impression que la liberté d’expression existe ici au Burundi ?

Pascal : Pour moi, je peux prouver que la liberté d’expression existe au Burundi à 80%, même s’il y a des poursuites de quelques personnes qui s’expriment. Aussi, je trouve que si on s’exprime d’une façon personnelle, il n’y a pas de probabilité d’être accusé. Mais ici au Burundi, si on exprime les idées d’une association ou d’un parti politique, on est souvent accusé de dire des choses, on t’accuse d’humilier le gouvernement ou le pouvoir en place.

Olivier : Moi, j’ai l’impression de m’exprimer librement dans mon pays. Mais je fais attention à ne pas dépasser les droits d’autrui, parce que la liberté consiste à dire sans nuire à autrui. Mais l’homme aspire souvent à plus de liberté ; le chemin est encore long.

Venant : Il me semble que, de prime abord, il n’y a aucune raison de poser des limites à la liberté d’expression, car parler ne cause aucun tort. La liberté d’expression véhicule des idées et des paroles, mais ne commet pas de crime. En réalité, dans notre pays, la liberté d’expression n’est pas du tout garantie dans la mesure où, lorsqu’on commence à s’exprimer, il y a des intimidations qui viennent de toutes parts. Voyez ce qui se passe actuellement par rapport aux sujets concernant l’électorat et la candidature du président actuel pour la prochaine échéance électorale… Lorsqu’on commence à donner un point de vue sur ce sujet, des menaces peuvent survenir de la part des autorités gouvernementales. Je voudrais aussi parler du cas du journaliste de la RPA, qui a été emprisonné pour s’être exprimé à propos du triple assassinat des trois sœurs italiennes. Suite à la pression internationale, il a été libéré, mais de manière conditionnelle seulement.

Agnès : Quelles sont les pratiques qui nous empêchent de jouir de cette liberté d’expression ?

Olivier : La liberté n’est jamais à 100%, sinon ce serait une catastrophe. Mais qu’à cela ne tienne, il y a aussi des entraves. Il y a notamment la mentalité burundaise : il y a des tabous, notamment les questions pudiques. Comme le disent mes camarades, nos gouvernants menacent beaucoup la liberté de la presse, qui est le corollaire de la liberté d’expression. Ne me demandez pas pour quelles raisons : je ne sais pas… Il y a aussi beaucoup d’entraves, parce que le Burundi est un pays qui vient de sortir de la guerre. Il y a une violence populaire. Aujourd’hui, vous dites quelque chose sur une station de radio et vous êtes menacé d’une force dont vous ignorez même l’origine.

Razzack : Les réseaux sociaux constituent-ils pour vous un moyen de vous exprimer librement ?

Olivier : Ces réseaux sociaux aident beaucoup les gens à s’exprimer librement, et surtout dans la discrétion. Nous avons vu dans les pays arabes ; le printemps arabe a beaucoup mobilisé via les réseaux sociaux. Je pense que c’est un outil de communication très utile pour nous qui craignons surtout la menace de nos gouvernements.

Agnès : En tant que jeune, jusqu’où peut-on aller dans l’usage de la liberté d’expression ?

Olivier : La liberté d’expression suppose ma liberté et la liberté d’autrui. En m’exprimant, je dois respecter l’intimité d’autrui, je dois respecter son honneur, je ne dois pas lui porter atteinte, l’accuser de manière calomnieuse. Mais le problème qui se pose dans certains cas, c’est pour ceux qui s’expriment concernant les autorités publiques. Normalement, il est permis de s’exprimer n’importe comment, comme on veut, à l’endroit des autorités publiques, parce que ces autorités publiques incarnent la vie de la nation. On peut s’exprimer comme on veut, pourvu qu’on ne menace pas cette liberté d’autrui.

Razzack : Les médias en général offrent-ils assez d’espace aux jeunes pour exercer librement ce droit à la parole ?

Pascal : Les radios n’octroient pas suffisamment de temps à la jeunesse pour s’exprimer, pour donner son avis sur la politique du pays. Les différents partis politiques ont ce qu’on appelle la ligue des jeunes. Mais quand il y a des émissions politiques dans les radios, on entend les leaders des partis politiques. C’est vraiment rare qu’on entende les présidents des différentes ligues des jeunes de ces partis. Je souhaite interpeler ces médias pour leur donner un temps suffisant ; c’est le moyen de les former, de leur apprendre à s’exprimer convenablement pour qu’ils puissent succéder à nos grands frères pour construire le pays, pour donner leurs avis et considérations sur la bonne marche du pays.

Olivier : Les présidents des ligues des jeunes des partis politiques n’interviennent pas souvent sur les radios. Ils sont seulement des objets de manipulation de leur patron. Je profite de l’occasion pour leur conseiller de militer activement, car ce sont les jeunes qui sont les garants de demain.

Agnès : Quelles sont les contributions de chacun d’entre vous pour parvenir à une réelle liberté d’expression au sein de la jeunesse burundaise ?

Pascal : On doit d’abord fournir la force pour exiger de nos grands frères de nous impliquer dans l’élaboration des projets de société. Nous aussi, nous sommes capables et intelligents. Nous sommes capables de créer des partis politiques, nous pouvons enseigner à la population, nous pouvons construire le pays, car nous avons le temps de mettre en application ce que nous avons conçu.

Venant : La jeunesse burundaise constitue la majorité de notre population. Il faut, de prime abord, reconnaître que nous devons d’abord contribuer à la consolidation de notre paix fragile. Il faut que la jeunesse vainque la peur de s’exprimer. À partir de cela, de reconnaître que c’est elle qui doit œuvrer pour que notre pays puisse sortir de cette situation qui n’est pas du tout bonne. Il faut également reconnaître que, bien que la liberté d’expression soit un droit fondamental, on doit respecter les droits d’autrui. Il faut également pouvoir et savoir comment créer des organisations afin que nous puissions déterminer un cadre dans lequel nous pouvons exprimer nos avis et considérations par rapport à la bonne marche de la démocratie.

Olivier : Les jeunes sont les premiers bénéficiaires de la liberté d’expression. Aujourd’hui, je porte ce message à mes frères : les droits s’arrachent, comme le disait un certain auteur. Vainquez la peur, levez-vous et combattez pour vos droits. Je n’ai jamais vu, nulle part dans le monde, un pays accorder des droits gratuitement. Nous devons oser, nous devons participer à des émissions radio, nous exprimer sur les réseaux sociaux, nous devons écrire. Nous devons changer nos attitudes pour faire avancer la démocratie, pour faire avancer la société. J’ai confiance : ces prochaines décennies, la situation aura avancé.

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