Le blogueur Alain Amrah Horutanga espérait se tromper. Pierre Nkurunziza devant un troisième mandat ? « Ça ne peut pas être l’homme apparu en sauveur en 2005 », tentait-il de se rassurer. Son pronostic était le bon.
Cet article date du 29 avril 2015 et fait l’objet d’une republication.
C’était un samedi différent des autres. Il n’y avait pas de travaux communautaires. Déjà la veille, nous savions tous que le parti au pouvoir aurait son candidat le lendemain. Et comme à chaque fois lors des rassemblements du CNDD-FDD, la crainte de voir les Imbonerakure descendre en masse dans la capitale, hostiles aux opposants, se ressentait. Aussi, après la marche démonstrative intitulée « mvako », un nouveau slogan était né suite à la manifestation réprimée de l’opposition du vendredi 10 avril : « tuzobamesa » (littéralement : nous allons vous savonner).
Pourquoi des Imbonerakure viendraient-ils en grand nombre dans la capitale alors qu’uniquement certains membres du parti élisent le candidat ? Seuls les congressistes qui ont reçu leurs invitations accèdent à cette « assemblée extraordinaire ». Ce constat renforçait notre peur : « Demain, ils nous savonneront. »
Le souhait des membres de ma famille était de quitter le pays. De mon côté, je répétais sans cesse une prière : « Seigneur, fais en sorte que Nkurunziza ne soit pas le candidat du CNND-FDD. Même si ces lèche-culs le lui proposent, fais en sorte qu’il ait le courage de leur dire : « Niet, plus aucun mandat pour moi. Trouvez-vous un autre candidat. » »
Un profil particulier
Ensuite, j’étudiais le personnage Nkurunziza, sa biographie et son calme parfois agaçant. Mon constat était qu’il avait appris du passé. Lui qui est considéré comme le plus sage du parti, un croyant de première ordre qui n’hésite pas à se rouler à même le sol pour louer son Dieu, partirait en héros. Lui, fils dont le père a été tué pour des raisons politico-ethniques, connaissait ce qu’était de perdre un proche pour une question d’ordre politique. « Non, ce ne serait pas lui qui mettrait le pays en danger pour un put… de mandat. Ce ne serait pas lui qui serait à la base d’une autre crise. Son parcours ne le destine pas à ça. Il usera de son expérience et de sa sagesse », me leurrais-je.
Non, l’avenir ne pouvait s’allier à la violence dans mon pays.
Cette même veille, des amis étrangers partaient, des Burundais aussi. Certains membres du CNDD-FDD mettaient également leurs enfants à l’abri. Des voisins venaient dire au revoir, craignant la catastrophe annoncée qui allait s’abattre sur nous le lendemain. Des images de 1993 me traversaient l’esprit. Petit, avec la famille, nous fuyions, laissant tout derrière nous : des amis, des relations construites, l’école…
Non, l’avenir ne pouvait s’allier à la violence dans mon pays, le Burundi, où Nkurunziza était l’homme de la situation, incarnant l’unité nationale même par ses origines, né d’une mère tutsi et d’un père hutu. Il avait combattu pour qu’aucune goutte de sang d’un Burundais ne soit plus jamais versée pour une question ethnique ou politique. On l’appréciait presque tous, on l’admirait. Il était simple, posé et proche du peuple.
Malgré tout, mon pronostic allait dans le sens d’un mandat supplémentaire. Pour une fois dans ma vie, je souhaitais me tromper.
Le jour J
Le matin venu, de nombreuses voitures circulaient aux couleurs du CNDD-FDD ; nous attendions tous ce moment pour que soient confondus ceux qui nous promettaient la catastrophe. Il fallait s’attendre à la jubilation des « prophètes du malheur » dans le cas contraire. Mais mon pronostic était toujours favorable à l’apocalypse prédite, à cette candidature de tous les dangers. J’avais mes écouteurs, suivant en direct le congrès qui devrait accoucher d’un candidat pour la présidentielle.
Je voulais voir le roi-champion défiant toutes les prières de ses compatriotes.
Ce samedi 25 avril, tout était calme quand, vers midi, les radios annonçaient la nouvelle, encore au conditionnel. Les journalistes n’étaient plus autorisés à assister au vote. Quand le discours menaçant d’investiture de celui qui s’était tu durant deux années entières a commencé, les journalistes ont été priés de regagner la permanence du CNND-FDD pour écouter l’investi Nkurunziza 1er.
Entre-temps, je suis monté dans le bus en direction de la permanence du CNDD-FDD pour voir le sourire du nouveau roi burundais. Toute la population de Bujumbura le suivait. Pour la première fois, mon pronostic était correct, mais cela m’empêchait de jubiler. La surprise m’aurait fait plaisir.
Arrivé à la permanence, je voulais voir le roi-champion défiant toutes les prières de la communauté internationale, de ses compatriotes aussi. Dans le bus, c’étaient des plaintes, des visages froncés où la peur se lisait. Je suis arrivé juste au moment où il partait dans cette voiture qui lui a été offerte par ses sympathisants.
Ô sa Majesté Nkuru 1er, longue vie à vous, Grand roi.