« Les dirigeants doivent avoir la culture démocratique. »
Faut-il plier bagage après deux mandats ou bien modifier la constitution pour effectuer un mandat supplémentaire ? Cédric Mbombo, Ornela Masunda et Orly Darel, trois étudiants à l’université de Kinshasa, débattent de l’éventualité d’un troisième mandat pour Joseph Kabila ainsi que des conséquences d’un tel scénario. Ils donnent aussi leur point de vue sur l’engagement des jeunes face à cette question essentielle pour la démocratie en République démocratique du Congo.
Cette émission est présentée depuis la RDC par Razzack Saïzonou de RNW et Maxime Makabu de Radio Liberté Kinshasa (RALIK), une des radios partenaires de Rencontres et Profils.
—
Maxime : Quand nous voyons ce qui s’est passé au Burundi et au Burkina Faso, où des dirigeants se sont mis à dos la population car ils ont choisi d’ignorer la constitution de leur pays, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Orly : Cela nous inspire la peur. Il y a un grand risque qu’on arrive à ce genre de situations. Lorsque ces présidents ont voulu modifier la constitution pour des visées électoralistes, on voit que ça a conduit à des émeutes et à un chaos. Donc on cherche à avoir un dialogue pour faire face aux manœuvres dilatoires menées par le pouvoir pour nous conduire à un troisième mandat.
Razzack : Est-ce qu’il y a vraiment matière à avoir peur pour les prochaines élections en RDC ?
Ornela : Les congolais sont prudents et observent tout ce qui se passe et ce qui se déroule par rapport aux différentes consultations effectuées par le président. Je pense que le pouvoir sait très bien que les congolais n’accepteront pas un troisième mandat car ils ne veulent pas que l’on viole la constitution. Et on ne peut pas constamment changer la constitution pour faire plaisir à un seul individu. On doit d’abord observer tout ce qui va se passer d’ici 2016 en RDC pour vraiment savoir si le président veut briguer un 3ème mandat ou pas.
Razzack : Orly, en quoi cela vous gêne que le président actuel décide de modifier la constitution pour briguer un nouveau mandat ?
Orly : Ça ne peut que nous gêner. La constitution c’est la loi fondamentale qui régit le fonctionnement de tout le pays. C’est un texte vis-à-vis duquel nous devons avoir un respect strict. On est pas en train de dire que l’actuel président n’a rien fait, il y a quelques réalisations appréciables. Mais il faut comprendre que le pouvoir démocratique doit être rotatif. Les dirigeants doivent avoir la culture démocratique.
Maxime : Qu’est-ce qui peut amener quelqu’un qui a passé 10 ou 20 ans au pouvoir à vouloir s’y accrocher contre la volonté de son peuple ?
Cédric : D’abord ce sont les intérêts égoïstes. Il y a plusieurs exemples à travers l’Afrique. Dans la plupart, nous avons vu que les dirigeants ont fini dans de mauvaises conditions. Ce qui est déplorable c’est que certains dirigeants ne tirent pas les conséquences de ce qui se passe ailleurs. Après, il y a un autre problème. Certains dirigeants ont peur d’être poursuivis par la justice une fois leur mandat fini. Il y a une réflexion à faire sur comment s’assurer qu’un président puisse être bien protégé et en sécurité une fois son mandat terminé. Je pense qu’on pourrait lui offrir un poste assez important dans la structure gouvernementale. Ce sont des questions sur lesquels les pays africains doivent débattre.
Orly : Je crois que la vigilance des Congolais est intéressante car c’est comme un « feedback » donné au président. Ils lui disent qu’ils comprennent ce qui se passe. Les jeunes Congolais le mettent en garde.
Razzack : Supposons que le président vienne effectivement à se prononcer en faveur d’un 3ème mandat, que va-t-il se passer ?
Ornela : La révision constitutionnelle, la RDC en a déjà beaucoup souffert. Du coup, les Congolais sont bien conscients qu’avant les élections, les dirigeants sont toujours prêts à modifier ou changer la constitution. Et s’ils voulaient faire la même chose maintenant, ça mettrait le pays à feu et à sang.
Razzack : La RDC est un des seuls pays africains où on a à sa tête un jeune président , puisqu’il n’a que 42 ans. Est-ce que tu ne penses pas qu’il est encore jeune et qu’il a encore beaucoup de choses à offrir à ce pays ?
Ornela : Il peut être jeune et avoir de l’ambition mais toujours est-il qu’il a déjà brigué deux mandats. Il doit respecter la constitution et laisser le prochain mandat à d’autres. Et s’il veut, il peut revenir dans 5 ans ou 10 ans pour postuler à nouveau et il sera élu à nouveau si les Congolais le veulent.
Maxime : Si cette volonté de 3ème mandat se confirme, qu’allez-vous faire en tant que jeune ?
Orly : Ça serait un profond regret de constater cela. Ce qui serait dramatique, c’est que ça risque de nous mener vers une situation chaotique. Les gens risquent de descendre dans les rues et un bain de sang est possible. Les gens ne se laisseront pas faire car nous sommes déjà engagés sur la voie de la démocratie. Ce que nous souhaitons, nous Congolais, c’est d’avoir différents présidents. Il y a beaucoup de Congolais qui ont une vision et un projet de société pour notre pays.
Razzack : Puisque vous semblez tous être contre cet éventuel 3ème mandat, quelle est la contribution que vous pouvez apporter en tant que jeune pour que cela n’arrive pas ?
Cédric : Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est déjà une contribution. C’est une façon pour nous de lui dire ce que nous pensons. Tout ce que nous pouvons faire c’est intervenir dans des émissions. La contribution c’est à ce niveau-là. Car leur dire directement ce n’est pas possible puisque ce sont des gens qui sont très hostiles à tout regard différent du leur.
Ornela : Le moyen primordial pour être mieux entendu, c’est la presse. On doit donc multiplier les émissions et les propos dans la presse publique. C’est à travers la presse et les objectifs bien fondés de tous ces jeunes qu’on peut espérer faire changer l’avis des dirigeants.