C’est aux temps forts de la crise que les ligalas, ces lieux de rencontre des jeunes désœuvrés dans les quartiers, se généralisent. Peu recommandables parce qu’on y fume de la marijuana, ces endroits finissent par représenter des coins de perdition.
« Tout le monde sait ce qu’est un ligala ! Comment peut-on discuter dans Buja sans former un ligala ? », s’étonne un adolescent de Kanyosha. « On va surtout y piocher de l’humour, des trucs insolites, les potins du quartier… », raconte un des membres d’un ligala de Ngagara.
« Le matin, on se retrouve au centre-ville pour tailler une bavette »
Le ligali, une forme de socialisation
Plusieurs sources interrogées s’accordent pour dire que le terme ligala est tiré de la chanson « legalise marijuana » de Peter Tosh, chanteur jamaïcain de reggae. Cependant, les jeunes citadins ont démocratisé le concept pour en faire un lieu propice à la rencontre et à la discussion futile.
Cette forme de socialisation s’observe à n’importe quelle heure, n’importe où dans la capitale. « Le matin, on se retrouve au centre-ville pour tailler une bavette », lance un jeune homme rencontré à l’endroit communément appelé Bata.
« Certains deviennent accros aux drogues douces par l’influence des autres membres du ligala. »
« Certains deviennent accros »
Le soir, dans les quartiers, c’est un ligala qui prendra plusieurs heures de partage de tout et de rien, parfois avec une bonne dose de « mousse » (drogue). Au coin d’une rue, des sujets politiques, sportifs, culturels et surtout sexuels sont au menu.
Des conséquences fâcheuses ne manquent pas. « Certains deviennent accros aux drogues douces par l’influence des autres membres du ligala. On peut même sécher les cours pour aller au ligala », assure un jeune homme de Ngagara. Et d’ajouter que même après l’abandon du ligala, c’est très difficile pour ces aficionados de regagner la confiance de leurs parents et proches. « Si je passe une journée sans me rendre au ligala, je ne me sens pas dans mon assiette », confie un autre.
Le phénomène a explosé avec la crise, mais aussi avec le dysfonctionnement du système scolaire burundais.
Le symbole d’une jeunesse en panne d’inspiration
« Le ligala était un lieu où les jeunes se rencontraient souvent pour discuter de tout et de rien, et ce dans un contexte social marqué par l’absence des lieux de distraction. Le phénomène a explosé avec la crise, mais aussi avec le dysfonctionnement du système scolaire burundais qui a occasionné la rallonge du temps des vacances », affirme le sociologue Désiré Manirakiza.
Pour lui, le ligala est devenu le symbole d’une jeunesse en panne d’inspiration, le lieu où on apprend tout sauf l’essentiel. En substance, il soutient que le ligala est devenu le cadre de dépravation des mœurs à travers certains phénomènes, comme la consommation de stupéfiants, le harcèlement de rue et la socialisation à la violence. Et de conclure : « C’est le cadre de fabrication d’individus émasculés qui ne peuvent malheureusement pas apporter une valeur ajoutée à l’édifice du pays. »