Dans un contexte géopolitique régional complexe, la victoire des Léopards, le 2 février 2024, a transcendé les frontières. De Kinshasa à Bujumbura, en passant par Kigali, la joie et l’euphorie étaient partagées, symbolisant un élan d’unité et d’espoir pour la paix dans la région des Grands Lacs. J’ai eu le privilège de vivre cette rencontre palpitante aux côtés de membres de la diaspora congolaise à Bujumbura, partageant une ferveur et une communion uniques.
Le Congolais est perçu dans la société burundaise comme étant plus extraverti, plus expressif socialement, sans langue de bois, ni complexe. Et il n’y a pas de meilleur moment pour un Congolais de donner de la matière à ces préjugés que lorsqu’il soutient pleinement les Léopards, galvanisé par l’exploit de battre les pharaons égyptiens, sept fois champions d’Afrique en huitièmes de finale.
Ce soir du 3 février, une joyeuse ambiance règne dans ce bar situé à deux pas du port de Bujumbura où nous sommes cloîtrés devant la télé sur ce deuxième quart de finale opposant la Guinée Conakry à la RDC. La clientèle à majorité congolaise est mélangée à une vingtaine de Burundais, créant une atmosphère conviviale et musicale.
Même si le premier but du Syli national survenu à la 20ème min sur penalty, crispe les visages de quelques-uns, les moins optimistes râlent, mais il faudrait vraiment plus qu’un but pour briser le moral de leurs compatriotes qui s’échinent à créer une ambiance musicale avec des chansons congolaises reprises en chœur par l’assemblée.
Ne pouvant pas assister au match sous la casquette d’observateur neutre, je suis devenu par la force du beau jeu et de la communion, supporter des léopards.
L’égalisation et l’explosion de joie
Comme si nos chants avaient fait écho jusqu’au Stade Olympique Alassane Ouattara d’Abidjan, les Léopards égalisent par leur charnière centrale, Chancel Mbemba, évoluant du côté des Phocéens, par un missile propre des avant-centre de la carrure des Robin Van Persie, qui raffolait de ce genre de tire tellement difficile à arrêter sous barre.
6 minutes séparent les deux buts, le temps que dure une chanson normale congolaise, saccadée par deux gorgées de bière. Le timing parfait ! Nous passons d’une chanson gospel dont les seules paroles en lingala que je parviens à capter sont Yahweh Kumama kolola…, à la chanson Bas Tsheli (Butamu) dont les paroles en swahili, m’arrachent un petit déhanché, toujours dans la même communion.
Ô victoire, et que la fête commence !
Nous sommes à la 61eme minute, la chevauchée fantastique du léopard Mvumpa ailier droit de Stuttgart, résulte en un penalty. C’est Yoane Wissa, dont les origines congolaises n’ont cessé de faire polémique depuis ses débuts en sélection, qui donne espoir à toute la nation congolaise et surtout à mes amis de la soirée, en transformant le penalty avec manière. « Penalty ya bulaya », comme ils disent.
« Il est Congolais maintenant ! », clame un supporteur du bout de la dernière vibration de ses cordes vocales, tellement il a hurlé. « On s’en fout qu’il ressemble aux Rwandais, Tant que olingi Congo ya Lumumba na bana na yango pe ozali prêt ya kokufa pona ekolo, ozali moko na biso ». (Tant que tu aimes le Congo de Lumumba et ses fils et prêt à mourir pour la Nation, tu es un des nôtres), rétorque aussitôt un autre.
Comme un seul homme, comme si l’arbitre en chef d’orchestre avait transformé son sifflet qui confirme le but sur un coup franc DeBruynesque de Masuaku à la 82eme minute, en baguette de direction, tout en chœur, le public part en transe.
Le « Fimbu », cette danse, popularisée dès le début de la CAN, a éclipsé le « marteau » camerounais, démontrant la créativité et l’exubérance du peuple congolais.
Hasta el Final
La RDC ne lâchera pas ce quart de finale, c’est une certitude ! Tout le monde y croit dur comme fer, et les retournements de situation, dont la CAN nous a gratifiés depuis le début, ne semblent pas inquiéter nos amis congolais. Moi-même, d’ordinaire sceptique et conscient qu’un match de foot ne se termine qu’au coup de sifflet final, je me laisse emporter par cet excès de zèle et de confiance. C’est la fête avant l’heure, la bière coule à flots, et il suffit de connaître quelques paroles d’une chanson congolaise pour bénéficier des largesses de nos amis.
Si la RDC est habituée aux phases finales de la CAN, son dernier sacre remonte à 1974, quand la légende du football africain Ndaye Mulamba, qui détient toujours le record du plus grand nombre de but dans une seule compétition de la CAN, a marqué 9 buts pour porter le Zaïre aux toits de l’Afrique. L’espoir d’arborer cette troisième étoile qui a échappé à la génération dorée des Trésor Mputu, Lualula et autres Shabani Nonda, n’a jamais été aussi vivant dans les cœurs congolais et les sympathisants des Léopards.
L’unisson et l’amour des peuples
Dans un contexte géopolitique régional complexe, la victoire des Léopards a transcendé les frontières. De Kinshasa à Bujumbura, en passant par Kigali, la joie et l’euphorie étaient partagées, symbolisant un élan d’unité et d’espoir pour la paix dans la région des Grands Lacs. Comme la bande à Drogba avait à elle seule obtenu un cessez-le-feu en octobre 2005, au beau milieu d’une guerre civile qui ravageait leur pays la Côte d’Ivoire, il y a aussi une lueur d’espoir pour notre région, si les peuples s’obstinent sur ce qui les unit que ce qui les divise. De notre côté au Burundi, à l’instar des Brazzavillois qui surveillent le fleuve, nous surveillons le lac, « Ramenez le Graal à Kinshasa ! »