Malgré les projets d’appui aux jeunes comme PAEEJ, Sangwe et autres initiés par l’Etat, il se remarque toujours un mouvement migratoire important des jeunes vers ce pays voisin. Pourquoi ? Les opinions divergent sur ce sujet.
Géographiquement, Kayanza et Ngozi ne sont pas directement voisins de la Tanzanie. Beaucoup préfèrent passer par Makamba suivant un itinéraire réservé aux vaillants. « Nous prenons Gitega, Rutana puis nous entrons à Makamba en passant par la commune Kayogoro, Gatwe et on entre en Tanzanie », nous explique Dieudonné Tuyishime de la colline Mugomera, commune et province Kayanza.
Dieudonné Tuyishime n’est pas un cas isolé. D’autres jeunes de sa localité continuent empruntent le même chemin. Pour sa quatrième fois, Dieudonné s’est fait piller. « Nous étions à deux et tous à vélo. 4 hommes nous ont tendu une embuscade sur le chemin de retour vers 2 heures du matin. Ils nous ont dépouillés de tous nos biens. Il me restait environ 400.000 shillings dans mon sac. » Malgré ça, Dieudonné Tuyishime ne compte pas s’arrêter.
Ce fut le même cas pour Léonard Bucumi, 30 ans, qui a vu ses 500.000 shillings partir aux mains des voleurs en 2020. Il les avait eus en moins de 5 mois et avait même pu s’acheter un vélo. Contrairement à Dieudonné Tuyishime, Bucumi ne compte plus y retourner à cause de cette mésaventure.
Selon un recensement de la Fenadeb ( Fédération Nationale des Associations engagées dans le Domaine de l’Enfance au Burundi), 40 jeunes de la commune Muhanga sont partis en Tanzanie durant les 3 mois passés. Il y en a 15 qui sont revenus étant très malades parce qu’ils auraient été battus par les forces de l’ordre tanzaniennes. Toujours selon la Fenadeb, dans la commune Ruhororo, plus de 50 jeunes et hommes sont partis. Le 2 août 2023, 10 ont été attrapés alors qu’ils partaient clandestinement. À Tangara, c’est une trentaine. Néanmoins, ces chiffres ne sont qu’approximatifs, car, selon la Fenadeb, il y en a qui partent et qui ne sont pas connus.
La pauvreté sur la barre des accusés
2000 à 2500 Fbu. C’est le salaire journalier d’un ouvrier des champs à Ngozi et à Kayanza dans certaines communes comme Ngozi, Ruhororo et Muhanga. « En Tanzanie, tu peux travailler pour 5000 shillings par jour. Dans 10 jours, tu as 50.000 shillings. Si tu ramènes cette somme au Burundi, ça te fait autour de 80.000 Fbu », confie Thaddée Niyonganji de la colline Mugomera en commune Ngozi qui a déjà été en Tanzanie. Pour gagner le même salaire sur sa colline, il lui faudrait plus d’un mois. Il assure qu’il ne peut pas dire qu’il ne va pas y retourner, car il n’y a rencontré aucun problème.
C’est en 2016 que Dieudonné Tuyishime décide de prendre la route pour la Tanzanie, attiré par les gens de sa colline qui revenaient de là avec des choses qu’ils ne pouvaient pas s’offrir s’ils étaient restés au pays : « Chez nous, il n’y avait pas de plaque solaire. Je n’avais pas de téléphone portable. Et je me suis décidé d’y aller et j’ai eu ce que je cherchais. Maintenant, j’ai même acheté et bâti ma propre parcelle et j’ai une femme », raconte-t-il fièrement.
Arthémon Nkazamyampi, la trentaine, de la colline Mubira en commune Ruhororo de Ngozi, confie être parti en Tanzanie en 2009 alors que sa femme était enceinte de 6 mois. « J’y suis allé à cause du manque de moyens. Comme je n’avais aucune formation, un travail qui rapporte était difficile à trouver localement », témoigne-t-il.
Mais pas que la pauvreté
Bien que reconnaissant que le problème majeur de cette migration soit la pauvreté, les autorités et les parents affirment que certains enfants y vont juste comme des moutons de Panurge, sans avoir de problème particulier de pauvreté. C’est le cas de Léonard Bitangimana, un parent de la colline Ndava à Muhanga, très en colère par le départ de certains de ses enfants. « Un enfant peut tout laisser à la maison et partir en Tanzanie alors qu’il ne lui manque rien. Ceux de cette colline savent que je ne suis pas le plus pauvre. »
Selon Patrice Barutwanayo, représentant des investisseurs à Ngozi, l’instabilité qu’a connue le Burundi est l’une des causes du manque de travail qui se pose localement. « Plusieurs investisseurs n’ont pas mis leur argent dans des grands projets durables, de peur de se retrouver d’un moment à l’autre privés de leurs biens. Certaines entreprises sont encore nouvelles et ne sont pas encore à mesure d’embaucher une grande main d’œuvre », fait-il remarquer.
Kanyaga, bien plus qu’une chanson
Si pour certains, « Kanyaga » est juste un titre du célèbre chanteur tanzanien Diamond Platnmunz, et pour d’autres, c’est un habit de luxe à se procurer par tous les moyens. Au marché, les jeans à l’effigie du titre de cette chanson « Kanyaga » se vendent entre 25.000 Fbu et 30.000 Fbu. « Quand un jeune voit d’autres jeunes revenir avec un pantalon ‘kanyaga’, il cherche coûte que coûte à y aller pour s’en procurer aussi. », dixit le chef de la colline Ndava en commune Muhanga à Kayanza.
Cette cause est aussi confirmée par Rénovât Sinibagiye, conseiller politique, administratif, juridique et social de l’administrateur de Muhanga : « Les jeunes qui reviennent de la Tanzanie arrivent avec les fameux pantalons ‘Kanyaga’ et les petites post-radios Bluetooth. Et ceux qui sont restés les convoitent. » Selon lui, la plupart y vont juste pour imiter leurs semblables.
Des pistes de solutions
Patrice Barutwanayo salue le fait qu’il y ait déjà des entreprises locales de transformation pouvant embaucher une importante main d’œuvre : « Ceci permet qu’il y ait ceux qui se chargent de la production des matières premières via l’agriculture. Il y a ceux qui les transportent, ceux qui les transforment et enfin ceux qui les vendent. » Et d’encourager les entrepreneurs à instaurer de telles initiatives afin de maîtriser la jeunesse sur place qui a besoin de travail.
Rénovât Sinibagiye propose une forte sensibilisation des jeunes sur l’éducation et sur l’entrepreneuriat : « Les écoles sont trop occupées à donner de la matière dans les sciences en mettant de côté le patriotisme. »
Vianney Ndikumana, chef de cabinet du gouverneur de la province Kayanza, reconnaît qu’il y en aura toujours qui vont partir malgré tout. Selon lui, le gouvernement burundais devrait s’entendre avec celui de la Tanzanie pour trouver un partenariat d’échanges de main d’œuvre afin de protéger les travailleurs.
Parmi les jeunes qui vont en Tanzanie, certains d’entre eux sont des sans-papiers et sont obligés de rester dans les domaines de leurs employeurs pour ne pas prendre le risque de rencontrer les forces de l’ordre tanzaniennes. « Quand ils nous attrapent, ils nous font faire des corvées et nous rasent la tête », se lamente Arthémon Nkazamyampi de la colline Mubira.