Depuis un certain temps, Bujumbura vit au rythme des assassinats, des enlèvements et des arrestations arbitraires. Pour le blogueur Eric Heza*, tous les citadins sont impliqués dans cette dégradation de la situation.
Pour certains, ce n’est que de la guéguerre. Pour d’autres, c’est simplement de la fièvre électorale. Seuls les citadins de Bujumbura savent qu’ils sont en pleine bataille.
Vie quotidienne et réflexes de guerres
Certes, ils se présentent au travail le matin. Certes, le weekend, ils se donnent encore rendez-vous au bord du lac Tanganyika, se léchant les babines après quelques bouchers de Mukeke, l’espèce de poisson la plus appréciée du coin. Certes, les mélomanes se retrouvent toujours au Black and White, un bar situé sur la plage de Bujumbura. Mais tout ce spectacle n’éclipse en rien leur conscience : ils savent qu’ils sont au front.
Il n’y a que les Burundais qui peuvent faire ça, mener une double vie pareille : se battre pour leur liberté tout en gardant intact leur goût pour la fête.
Après chaque déflagration, une seule question domine : « Qui était la cible ? »
« Le temps arrange tout », dit-on, malheureusement. Du coup, plus rien ne peut faire trembler ces citadins. Ils ont tout connu. Les explosions des grenades, les lance-roquettes qui ronronnent, les arrestations arbitraires, les corps sans vie retrouvés ici et là.
Bien sûr, on essaye d’éviter de passer sur les lieux de l’incident dans le chaud des évènements, mais le réflexe premier n’est pas de prendre le large. La sécurité n’est plus la préoccupation première. Après chaque déflagration, une seule question est sur toutes les lèvres : « C’était qui la cible ? »
Impassibilité bujumburaise
Le dernier cas emblématique est la tentative d’assassinat contre le chef d’État-major de l’armée. Une matinée pas comme les autres où le Général Prime Niyongabo a échappé de justesse à la mort.
Tout Bujumbura s’était réveillé dans la torpeur. On ne pouvait qu’entendre des échanges de tir à l’arme lourde. Mais au sud de la capitale, lieu de l’incident, les habitants ne rebroussaient pas chemin pour se planquer chez eux. Toutes les voitures allaient à rebours uniquement pour contourner la « route-Rumonge » (là où a eu lieu l’attaque) et rejoindre leur lieu de travail.
Pourquoi un tel détachement ? Simplement car le scénario est connu d’avance : élimination d’un anti ou pro régime, on efface les traces du crime, les promesses d’enquêtes pleuvent à l’antenne du désormais seul et unique grand média, la Radiotélévision nationale du Burundi, et puis… plus rien.
Bujumbura sait tout ça, c’est devenu son quotidien. Il n’est plus question de la distraire.
Bas les masques !
Arrêtons de jouer aux cons. À Bujumbura, qui n’est pas contre ce troisième mandat et ce régime ? Peu de personnes. Les manifestations qui ont éclaté en avril dernier ont levé le voile sur ce désir ardent d’en finir avec le Cndd-Fdd.
Qui n’est pas impliqué dans cette lutte, de près ou de loin ? Faut-il épingler uniquement les mouvements rebelles ?
Si Musaga, Nyakabiga, Jabe, Cibitoke ou Mutakura ont pris les devants pour combattre « ce mandat de trop » de Pierre Nkurunziza, on n’oubliera jamais le soutien indéfectible des autres quartiers à cette lutte. Un soutien qui fut perceptible à chaque fois qu’un passant ajouta sa pierre aux barricades érigées dans les quartiers contestataires ou à chaque fois qu’un papa n’hésita pas à laisser quelques billets de 10 000 francs à ces jeunes qui font un « bon boulot ».
Ici, à Bujumbura, à l’annonce du coup d’État du 13 mai, la joie avait illuminé des milliers de visages. À vrai dire, qui n’est pas impliqué dans cette lutte, de près ou de loin ? Faut-il épingler uniquement ces mouvements rebelles que l’on entend naître ici et là ? Si Bujumbura peine à recouvrer la sécurité, c’est parce que nous sommes tous complices !
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*L’auteur utilise un pseudonyme.
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