En voulant savoir qui était Immaculée Mwaluke Muhemedi qui a été tuée le 3 avril 2023 à Gahahe en commune Mutimbuzi de la province Bujumbura, et retracer ses derniers instants avant son dernier souffle, j’ai appris deux leçons de cette expérience : l’empathie et la patience. Ces dernières, à vrai dire, se sont renforcées en moi.
Cimetière de Mpanda. Samedi. 8 avril 2023. Vers 10 heures du matin. J’envoie un message à une amie : « Je n’aime pas être à cet endroit ». Elle me répond : « Idem ». Mon chauffeur aussi partage mon sentiment. Le pauvre, je l’ai exhorté à m’accompagner à Mpanda ce samedi. Des heures supplémentaires qu’il a dû accepter de faire. Reconnaissance à N.
Ce samedi n’est pas comme les autres. Ou du moins, c’est un samedi triste. Immaculée Félicité Mwaluke Muhemedi dans quelques minutes dira au revoir à ce monde qui l’a tant déçu.
Le soleil tape fort sur les milliers de têtes qui écoutent l’oraison funèbre. La communauté congolaise a été massivement mobilisée. Oui, la jeune Immaculée (21 ans) est Congolaise. Son meurtre a provoqué une grande tristesse dans cette si grande communauté se trouvant au Burundi. On le verra plus loin.
J’écoute l’oraison funèbre. C’est en swahili. J’essaie comme je peux pour tout comprendre. N, mon chauffeur, m’attend dans la voiture en tentant de braver l’énorme coup de chaleur qui s’abat sur Mpanda. Je porte un costume noir. Je brûle de l’intérieur. Littéralement. Mais cela n’est rien contre la douleur que ressent la famille de feu Immaculée.
Une famille brisée et une communauté endeuillée
Elle est accompagnée. On la tient. Elle reste debout à peine. Elle, c’est la mère d’Immaculée. Devant le cercueil de sa fille, elle est abattue. Sa voix crasseuse se mêle à des cris de douleur. Des larmes jonchent ses joues pendant qu’elle parle. Il n’y a plus grande peine que de perdre un enfant.
« Je me rappelle qu’elle est sortie prendre son téléphone. On a entendu un cri. Elle est rentrée et m’a dit : « Maman, je me sens mal !! C’était vers 21 h. À 21 h 30, elle nous quittait ». C’est ce dont je parviens à saisir, à peine, du discours de la mère d’Immaculée.
Une foule immense est entassée autour de la tombe où reposera, dans quelques minutes, Immaculée. Les étudiants de l’Université Espoir d’Afrique sont venus par centaine. Ils fredonnent une chanson : « Immaculée eeeeeh eeeeeh ! ». N, mon chauffeur, me murmura sur la route du retour : « Ils chantaient si fort pour ne pas masquer leur peine ».
Ce ne sont pas que les étudiants de l’Université Espoir d’Afrique qui ressentent cette immense douleur de perdre un proche. La communauté congolaise l’est aussi. Un vieillard, Congolais, qui est assis à côté de moi lors des funérailles de Immaculée se lamente : « L’homme est venu et l’a poignardé dans le dos. Il demandait son téléphone. Et pourtant, après avoir commis l’acte ignoble, il ne l’a pas pris».
On continue à écouter l’oraison funèbre. Plusieurs personnalités de la communauté congolaise passent. Un à un, ils consolent la famille éprouvée. Le président du Collectif des étudiants congolais au Burundi arrive. Je m’approche un peu. D’une voix virulente. Il prononce : « Nous demandons justice pour Immaculée ».
Je quitte Mpanda au moment où le cercueil d’Immaculée embrasse le sol. Dans quelques instants, il ne restera que son épitaphe pour dire qui elle était.
Mais qui était Immaculée Mwaluke Muhemedi ? Au-delà des photos qui ont circulé online et des annonces dans les médias ?
« Elle allait juste récupérer son téléphone à la boutique… »
Ce n’est pas la première fois que je dois contacter un membre de la famille d’un proche parti dans l’au-delà. L’expérience avec le frère d’O.N, mort sur la route serbe m’a marqué.
J’entame doucement les recherches. Des contacts ici et là. J’arrive à décrocher le numéro d’un membre de la famille d’Immaculée. Un appel. Je présente mes condoléances avant tout. Elle accepte de discuter avec moi. Sur WhatsApp. Emma (pseudo) me raconte : « Immaculée, c’était une fille, souriante, accueillante et très calme ». Avait-elle un copain ? (à 21 ans, c’est fréquent qu’on soit en couple). Je pose cette question. « Non, elle ne voulait pas. Non pas parce que ses parents étaient pasteurs d’église, mais parce qu’elle ne voulait pas s’embrouiller ». Je comprends.
« Peux-tu me raconter ses derniers instants, dans cette nuit fatidique du 3 avril 2023 ? ». Je demande timidement. Emma n’hésite pas à me répondre : « Nous étions à la maison, c’était vers 21h. Nous étions à l’heure du dîner. La nourriture était déjà à table. Maman a demandé avant de manger, que nous puissions d’abord prier. La prière finie, notre grande sœur qui dirigeait la prière, proposa qu’on puisse faire la prière pour la protection de la famille ».
Après cette prière, Immaculée, raconte Emma, demanda la permission d’aller récupérer son téléphone à la boutique du coin.
Elle continue : « Elle a demandé la permission à maman d’aller prendre son téléphone juste à quelques mètres de la maison où se trouve le téléphone. À 21h30 on entend un cri. Puis maman demande à nos frères d’aller vite voir, il y a quelqu’un qui vient d’être tué.
Tout le monde a quitté la maison. Nous avons trouvé Immaculée et le monsieur qui l’a poignardée était encore sur son dos. Il a poussé immaculée et est parti. Maman a pris immaculée en lui demandant s’il ne lui a pas fait quelque chose de mal ou ne l’a pas volé. Immaculée a répondu par un « non ». Elle a dit : « Il m’a battu juste des coups ». Quant au téléphone, il le lui a laissé ».
Emma, me fait savoir qu’un voisin qui se trouvait à côté a dit à la mère d’Immaculée de tourner le dos de sa fille : « Elle avait trouvé qu’Immaculée a été poignardée au niveau de la colonne vertébrale. Elle avait fait une hémorragie interne. À 21h30, elle succomba à cette blessure ».
J’arrête de lui poser plus d’autres questions. Je sens qu’elle ne se sent pas à l’aise. Je lui propose de la contacter après. L’empathie est de mise dans ces cas.
Je patiente. Trois jours après, je relance Emma. « Deux ou trois petites questions seulement et je m’en vais ». Je lui demande. Elle accepte. Cette fois-ci, je vais savoir si la famille d’Immaculée ou elle-même connaissait le meurtrier. Emma : « Pas du tout ! Nous ne connaissions pas cet homme avant ». A-t-elle été tuée parce qu’elle était congolaise ? Je demande encore. Emma me répond : « Je ne crois pas. Depuis notre enfance, nous n’avons jamais eu de problèmes avec les voisins et puis, il y a beaucoup de Congolais ici. C’est triste parce que le criminel n’a encore pas dit pourquoi il s’est jeté sur Immaculée ».
Je la laisse en lui demandant si elle peut m’aider afin de rencontrer la famille entière d’Immaculée, du moins ses parents. Le jour fixé, son téléphone ne passe pas. Je prends la décision de la laisser tranquille. Perdre un proche, c’est la plus grande des tragédies. C’est à peine si elle a déjà fini de faire le deuil.
« Les étudiants congolais au Burundi, nous ne nous sentons pas menacé »
Le meurtre d’Immaculée a créé une sensation de colère et de peur les premiers jours dans la communauté congolaise au Burundi. Spécialement chez les étudiants congolais. « La première chose qu’on a faite, c’était de calmer les étudiants », raconte Fidèle Kizoni, chargé de communication et relations avec les médias au sein du Collectif des étudiants congolais au Burundi (CECOB), composé de 7 800 étudiants.
Fidèle Kizoni raconte : « Le meurtre de notre sœur nous est parvenu comme un coup de foudre. Nous nous sommes organisés et nous avons rendu visite au domicile de ses parents et nous avons fait de notre mieux pour qu’Immaculée soit enterrée dignement ». Au nom de la CECOB, Fidèle Kizoni sollicite « les autorités qu’ils puissent s’impliquer pour que la famille d’Immaculée puisse être rétablie dans ses droits et que les étudiants congolais puissent vivre en sécurité ».
« Est-ce qu’aujourd’hui, les étudiants congolais se sentent comment ? », je demande à Fidèle Kizoni. Il réplique : « Les étudiants congolais au Burundi, nous ne nous sentons pas menacés ».
Un juriste contacté pour savoir comment est protégé un réfugié au Burundi (car Immaculée avait le statut de réfugiée) et qui requiert l’anonymat m’apprend que « dans la loi n°1/32 du 13 novembre 2008 sur l’asile et la protection des réfugiés au Burundi, il est difficile de trouver précisément ce qu’elle dit sur la sécurité des réfugiés, mais tout individu établi au Burundi, sa sécurité est garantie au même titre que d’autres Burundais ».
À l’heure où sort ce billet, le meurtrier d’Immaculée Félicité Mwaluke Muhemedi a écopé d’une peine à perpétuité et d’une amende de 10 000 000 BIF devant le Tribunal de grande Instance de Bujumbura.
Je clos ces lignes avec une âme renforcée et une conclusion : la patience reste la vertu des Grands et l’empathie nous rend humains.
Reposes en paix chère Immaculée Félicité Mwaluke Muhemedi.
Thanks you for this…may her soul keeps resting in peace 🕊️❤️we die young let keep our life to GOD and increase our prayers 🙏
Dans un pays comme le Burundi il faut une protection sûre et certaine pour les réfugiés et en cas d’insécurité pour ces derniers il faut que la justice soit rendue aux victimes car ça aidera au autres de se sentir protégés et tranquille. Merci à la justice Burundaise de faire tout le possible pour que la paix soit rétablie Chez les réfugiés
Le tueur n, aura jamais de la paix
Comme c’est triste😓
Moi et mes confrères en voyant cet article nous disons merci à la personne qui l’a écrit et à toutes ses personnes qui d’une manière où d’une autre soutenue Hope Africa University dans cette dure épreuve qu’elle a connue.
Merci au président de CECOB et tout son gouvernement, que cet amour et unité nous caractérise à jamais.
Je suis artiste slameuse, si d’une manière où d’une je peux apporter ma part, je suis prête.
J’ai été émerveillée par la profondeur et la compassion que porte vos écrits
Merci d’honorer la mémoire de la feu Immaculée.
C’était de tellement triste pour nous
C très choquant
RIp Immaculée
La mort ça ouvre les yeux, tout prend un sens d’un seul coup
Que l’âme de notre sœur Immaculé puisse reposer en paix et à jamais
Ni vyiza ko mwoza murashirako inkuru mu rurimi rw’ikirundi kuko si Twese twumva igifaransa
La sécurité ne peut pas être sûre pour les réfugiés aussitôt qu’elle n’est pas sûre pour les citoyens. L’essentiel est que la justice soit faite et que le coupable soit sévèrement sanctionné (malgré que rien ne peut remplacer un enfant, un frère/soeur tué de la manière). Rip à Immaculée et mes condoléances à la famille!
Je me demande jusqu’à présent mais pourquoi ce démon d’un tueur a pu choisir immaculée vraiment 😭😭😭