Personne ne saurait dire depuis quand le Burundais rêve éveillé. Au travail, à la messe, en sirotant sa bière, en groupe ou en solo, dans le bonheur comme dans la misère, l’homme burundais rêvasse. Découverte de cet être rêveur, hors du commun.
Trois jeunes burundais assis autour d’une bouteille de Kiki, partagent un moment de détente et de conversation. L’un d’eux, pensif, avale une gorgée de sa boisson locale puis déclare avec conviction : « Guys, partons au Canada. Sinon, ici, nous n’aurons pas d’opportunités d’emploi. » Conscients des difficultés à trouver un emploi, ses compagnons acquiescent. L’un d’eux rétorque : « Ne rêvons pas. Nous avons du mal à nous acheter une bière, pensez-vous que nous sommes en mesure de financer ce projet ? »
Ils ne sont pas les seuls à rêver de la sorte. C’est de notoriété publique, le Burundais rêve de quitter son pays. Ce Burundi qu’il critique de toutes les manières possibles. Mais une fois dans un autre pays, il l’emporte avec lui, et en lui, continuant à rêver éveillé, même sous d’autres cieux.
Dis-moi ce dont tu rêves et je te dirai qui tu es…
Les Burundais rêvent. Peu importe la provenance géographique, que l’on soit du Bugesera ou du Buyogoma, d’Imbo ou de Kumoso, de la ville ou de la campagne, nous appartenons à ces êtres qui rêvent en plein jour, sous le soleil brûlant ou sous la pluie battante. Nous rêvons éveillés, pleinement conscients.
Mais pourquoi nous, les Burundais, rêvons-nous consciemment et en plein jour ? À l’origine, c’est la culture burundaise (encore elle) qui nous apprend à rêver de cette façon revigorante et ensoleillée. En faisant notre première sortie en famille, ou lors de notre première incursion avec la bande du village ou du quartier, depuis l’enfance, la voix du papa ou celle de maman nous chuchote à l’oreille : « Sois un homme mon fils, umugabo ! » Et chaque homme burundais passera sa vie à chercher le sens de ce mot : Homme. Mais comment devenir un homme ? That’s the question !
Ensuite, viendra le rôle de la rue, de la bande, qui à leur tour nous apprennent la deuxième leçon de la vie : « Gasho n’umugabo biragendana ». (La prison et l’homme cheminent ensemble, Ndlr). Et ainsi, le Burundais passera le reste de sa vie à se poser cette question : est-ce pour dire que la prison est faite pour les hommes et où est-ce les hommes qui sont faits pour la prison ?
Puis viendra le tour de l’ami, du voisin, du prof, qui nous dira d’un ton sûr et certain : « Il faut que tu construises ta propre maison » – Aho ! Dans sa colline natale, dans son quartier de résidence, avec ses sous propres, ou ceux du parti, de la famille, de l’église, du voisin, de la maîtresse ou de la femme officielle…l’homme burundais cherchera à être propriétaire d’une maison. C’est son rêve le plus fou, sa mission sur cette terre.
Une fois qu’il aura sa maison, il rêve d’y vivre avec une femme. Et celle-ci se doit d’être l’idéal féminin. Et son idéal, c’est bien sûr une femme qui ne boit pas d’alcools, qui ne fume pas, qui ne court pas les bars et les boîtes de nuit.
Puis viennent les rêves de gloire…
Le rêve le plus commun et le plus banal : être président de la République. Le Burundais rêve, à midi comme à quatorze heures, de devenir président de ce petit pays. Et ce n’est pas pour sauver son pays, mais simplement parce qu’il souhaite recevoir les honneurs du président. L’homme burundais, né pour dominer, caresse toujours le rêve de devenir un grand Monsieur, avec un titre honorifique. Il veut qu’on lui serve du « Très honorable », « Son excellence ». Il exalte lorsqu’on l’appelle « Nyakubahwa ».
A défaut d’être tous de grands « Bwana », rêvons au moins de travailler dans une institution. Mais pas n’importe laquelle, évidemment. Le Burundais rêve d’être recruté dans une organisation non gouvernementale. Aaah, l’ONG, c’est le rêve national par excellence !
Cependant, la vie burundaise étant ce qu’elle est, le Burundais a dû revoir ses ambitions. Désormais, il rêve de travailler comme gardien de nuit. Le travail préféré des jeunes diplômés burundais. Le poste le plus demandé, le plus recherché par tous, de 16 à 70 ans ! Ne vous méprenez pas ! Si le Burundais aime travailler la nuit, c’est uniquement pour pouvoir rêver le jour !