Récemment, j’ai évoqué dans un reportage les cicatrices invisibles que portent les adolescents réfugiés congolais : les traumatismes liés aux conflits, aux déplacements forcés et à l’instabilité émotionnelle. Mais au cœur de leur parcours de résilience, une autre réalité demeure trop souvent ignorée : leur vulnérabilité face aux violences basées sur le genre (VBG), exacerbée par le manque d’éducation à la sexualité.
Dans les zones de crise humanitaire, les adolescents ne fuient pas seulement les violences armées et l’instabilité politique. Ils fuient aussi l’absence de repères, l’effondrement du cadre familial et le silence autour de sujets aussi cruciaux que la santé sexuelle. Chez les adolescentes réfugiées congolaises, notamment dans le site de Musenyi, au Burundi, la précarité s’accompagne d’une méconnaissance alarmante des enjeux liés à leur corps, leur santé reproductive et leurs droits. Alors que les besoins immédiats comme la nourriture, l’abri et les soins de santé sont prioritaires, l’éducation à la sexualité reste souvent en marge des interventions auprès des jeunes réfugiés.
Il suffit de se rendre au camp de Musenyi pour mesurer l’ampleur de la jeunesse présente : des adolescentes, des jeunes garçons, livrés à une réalité souvent marquée par l’incertitude. Et l’on imagine le désastre silencieux qui peut survenir en l’absence d’une éducation sexuelle adaptée : grossesses non désirées, infections sexuellement transmissibles, violences basées sur le genre… autant de risques évitables, si seulement on osait en parler.
L’ignorance, un facteur de vulnérabilité majeur
À Musenyi, nombreuses sont celles qui ont vécu leurs premières règles dans la peur et la solitude, sans aucun accompagnement. Certaines n’avaient jamais entendu parler des menstruations avant de les subir, d’autres les associaient à la honte, à la maladie, voire à une punition. Sans serviettes hygiéniques, elles improvisent avec des morceaux de tissu ou du papier, exposées à la stigmatisation et à la douleur. Certaines sont même confrontées à des propositions d’hommes plus âgés en échange de produits de base.
« Je croyais que j’étais malade. J’avais peur d’en parler. Je n’avais même pas de serviettes hygiéniques, j’utilisais des morceaux de pagnes en cachette ou des papiers en carton, la dernière fois j’ai porté un morceau de sac », confie Zada*, 16 ans, en évoquant ce qu’elle a subi après avoir fui les violences de guerre dans le Sud-Kivu.
Cette ignorance n’est pas sans conséquences. Elle les expose à des violences sexuelles, à des grossesses précoces et à des situations d’exploitation et de harcèlement ou d’abus sexuel. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), près de 50 % des cas de violences sexuelles signalés dans les contextes de déplacement concernent des mineurs, principalement des filles.
L’éducation sexuelle : un levier essentiel
Face à ce constat alarmant, des acteurs comme l’UNICEF, en collaboration avec les autorités locales, ont lancé des initiatives de sensibilisation à l’éducation sexuelle, à la lutte contre les VBG et à la santé menstruelle. Plus de 400 filles âgées de 12 à 18 ans ont été sensibilisées à des sujets clés : sexualité, hygiène corporelle, consentement, prévention des VBG, etc.
Les séances sont animées par des encadreuses sociales et abordent des sujets essentiels. Les participantes expriment leur reconnaissance et témoignent des changements positifs dans leur vie depuis qu’elles sont mieux informées. Elles souhaitent également recevoir des kits d’hygiène menstruelle contenant des serviettes réutilisables.
« Avant, je me sentais sale quand j’avais mes règles. Aujourd’hui, j’ai ce qu’il faut pour rester propre. Après avoir suivi “Mafundisho ya usafi na ujamiano”, je n’ai plus honte. Au départ, il y a des hommes qui voulaient profiter de moi pour me donner des lotions pour le corps ou d’autres choses en échange de rapports sexuels ou d’attouchements, surtout à ma poitrine. Comme je n’y connaissais rien et ignorais les conséquences, j’ai accepté facilement. Heureusement, je ne suis pas tombée enceinte. Maintenant, je sais dire non aux profiteurs. Merci à l’Unicef et à SAD, et merci à nos encadreuses. » raconte Riziki*, 17 ans.
Le lien entre cette éducation et la santé mentale est évident. L’accès à une éducation sexuelle complète protège non seulement la santé physique des adolescent.e.s, mais contribue aussi à leur équilibre psychologique.
Une lueur d’espoir
L’éducation à la sexualité dans les contextes humanitaires ne doit pas être perçue comme secondaire. Elle constitue un pilier essentiel de la protection de l’enfant et de son bien-être mental.
L’intervention éducative menée à Musenyi n’est pas simplement un programme d’information. Selon les témoignages des adolescent.e.s, c’est une démarche de reconstruction personnelle, un acte de prévention contre les violences et une réponse face aux questions liées à la sexualité.
Dans ces espaces où les repères sont brisés, une fille informée est une fille protégée. Et en protégeant leur intégrité, on protège leur avenir.
* : Noms d’emprunt