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Le CNC, garant de la liberté de presse ou gendarme ?

Le Conseil National de la Communication (CNC) a annoncé jeudi 28 septembre le retrait  des licences d’exploitation à trois médias et décidé en outre la suspension des programmes de la radio CCIB Fm+. Pour notre contributeur Honoré Mahoro et le blogueur Déo Ndayishimiye, ces décisions qui sont contre la liberté de la presse démontrent que le CNC a du mal à se défaire du joug du pouvoir.

Après la destruction des principales radios privées en mai 2015, il a fallu 10 mois pour que le CNC autorise les radios Rema et Isanganiro à émettre de nouveau. Le sort de la radio Bonesha FM semblait suivre le même chemin, avant ce dernier coup de massue. Il se peut qu’on se soit demandé dans certains milieux : que faire de ces médias (Radio Publique Africaine, Radio Bonesha FM et Radio/Télé Renaissance) devenus encombrant sur la toile ? Pour le CNC, les rayer du paysage médiatique burundais, sur base des arguments légaux a été un jeu d’enfant.

Le CNC dans l’impasse

Durant ces deux ans de crise politique, le CNC a toujours prétendu être du côté du respect de la loi et s’est toujours déclaré garant de la liberté de la presse. Sauf qu’il y a anguille  sous la roche. Il est souvent incompris par les journalistes restés au pays et encore moins ceux en exil pendant deux ans. Pour les premiers, des mises en garde répétitives ont renforcé l’autocensure et pour les seconds, leurs engagements auprès des médias Humura et Inzamba ont suscités le courroux du CNC et du pouvoir. Selon le régime de Bujumbura, ces deux médias autant que leurs journalistes sont des ennemis de la Nation.

Maintenant c’est le tour des médias qui avaient été épargnés. Prenons le cas de la CCIB FM +. Si le gouvernement burundais semble avoir gardé les yeux bandés, le carnage de Kamanyola n’a apparemment pas laissé indifférent l’équipe éditoriale de la radio privée CCIB FM+. Trois jours après le massacre, peut-être abasourdie par l’inertie des autorités burundaises face à cette tragédie, cette radio sort un éditorial digne de l’époque de la RPA.

Digne de la RPA, car bien-sûr cet éditorial a fini par mettre toute la station dans le même panier que la regrettée Ijwi ry’abanyagihugu : suspension de trois mois de toutes ses émissions.

Du contenu de l’éditorial ?

« Ça fait longtemps dans notre pays le Burundi, nous perdons des citoyens. Leurs corps sont retrouvés flottant dans les rivières, d’autres jetés dans des caniveaux ; et tout ça, on dirait que ça ne signifie rien. Encore  hallucinant, plus d’une trentaine de citoyens burundais viennent d’être massacrés dans un pays voisin, la RDC. Est-il acceptable qu’on laisse les Burundais périr comme des fourmis ? ». Peut-on entendre dans un élément sonore de l’éditorial qui a été relayé via WhatsApp juste après la tombée de la mesure de suspension.

L’éditorial dénonce ce que le gouvernement n’a pas fait, « même proclamer un deuil (national) », alors que « cela est normalement des coutumes héritées de nos ancêtres ».  De surcroît, on sent que la CCIB FM+ a été révoltée par le fait que « le lendemain du massacre de Kamanyola, des foules ont été déployées dans les rues de Bujumbura pour dénoncer le rapport de la COI-Burundi, au lieu de s’insurger contre le massacre des leurs. Tous ces rapports dénoncent les violations des droits humains, mais le sang continu d’être versé, qui dit que ces rapports sont alors mensongers ? » 

Une question : cette radio a-t-elle mal fait ?

La mission ambiguë du CNC

Dans un système qui protège la liberté de la presse, un éditorial vaut vraiment la suspension d’un medium ? Loin des motivations du CNC, l’éditorial en question est-il vraiment contre l’éthique, ou a été désapprouvé par le pouvoir de Bujumbura ? On voit le CNC qui interdit la musique engagée mais qui ne rappelle jamais aux medias -qui évitent de s’attirer la foudre – que l’éditorial est la forme la plus idéale pour jouer le rôle de chien de garde dans une société démocratique. C’est le même CNC qui s’empresse à proposer une autre loi régissant la presse au Burundi sans doute moins généreuse que l’actuelle en terme de liberté de presse.

Pourtant dans ses missions, la liberté de la presse est une règle et sa restriction une exception. Dans cette liberté, il faudra y voir plus l’ouverture de l’espace médiatique, la liberté d’accéder aux sources d’informations pour les journalistes, la formation et l’échange d’expérience, privilégier les conseils plutôt que les sanctions. Pour y arriver, le CNC devrait cesser d’être une forme de tribunal qui juge les médias plus dérangeants que d’autres, être plutôt un organe-médiane entre l’Etat et les médias épris de liberté de la presse, un organe qui reflète au mieux le paysage médiatique burundais.

Mais pour le moment, on n’est pas à cette étape. Le pouvoir actuel, ayant vécu les moments de la presse libre au Burundi, semble avoir envie d’en découdre avec certains médias, dernier rempart de la liberté de la presse au Burundi. Ingénieux, il ne saurait y arriver qu’en passant par le CNC, qui accepte sans broncher. Tant que le CNC n’est pas libre de ses décisions, il lui sera difficile de garantir cette liberté et continuera à être considéré comme un gendarme pour bon nombre des médias.

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