Et si, au Burundi, les femmes avaient accès à la terre au même titre que les hommes ? Un rêve me diriez-vous ? Pourtant, c’est la réalité à Muyinga, plus précisément à Buhinyuza. Comment sont-ils parvenus à cette mini révolution là-bas ? Découvrons ensemble cette commune où la certification foncière remet à la femme son droit.
A près de 200km de Bujumbura, à Muyinga et plus précisément à Buhinyuza, depuis 2019, il y a eu un grand projet de certifications foncières qui s’est déroulé systématiquement et, bonne nouvelle, les femmes se sont inscrites. « Avec le début du projet, il y a eu la mise en place d’un guichet foncier communal. Avant, les gens venaient au niveau de la commune inscrire leurs terres mais il s’agissait en grande partie des terres qu’ils avaient achetées. », explique l’administratrice communale Espérance Ndayisaba.
Sur les 25 collines qui composent Buhinyuza, 12 ont bénéficié de la certification foncière systématiquement et gratuitement. Sur les 30.873 parcelles reconnues, 30.581 certificats ont pu être édités et signés. Les femmes sont bien présentes : 1.984 des reconnaissances appartiennent à des femmes contre 28.242 pour les hommes. De plus, 59,5% des hommes ont mentionné leurs épouses sur les certificats et 21,5% des femmes ont mentionné leurs conjoints.
Les certificats fonciers au service de la gent féminine
Sauda Niyonsaba, veuve et mère de 4 enfants, nous confie combien la certification a été une aubaine pour elle et bien d’autres femmes. Elle s’est mariée et est devenue veuve après avoir donné naissance à son premier enfant. Elle s’est remise en couple plus tard mais a connu un conjoint qui dilapidait les biens familiaux. Rapidement après son veuvage, elle a intégré les coopératives et autres associations. Elle a pu apprendre l’importance d’avoir un titre de propriété. Grâce aux certificats fonciers qu’elle possédait, elle a pu garder les terres qu’elle avait acquises. Elle en a même vendu certaines pour s’en acheter d’autres.
Avec la certification systématique qui s’est opérée à Buhinyuza, les retombées positives n’ont pas tardé à se manifester. Sauda nous explique que dans la coopérative dans laquelle elle est, toutes les femmes possèdent un certificat et que celles-ci ont su en tirer profit. Certaines ont pu obtenir des prêts en présentant les certificats fonciers comme garanti.
Procédure de certification foncière
Les procédures de certification se basent sur le décret n˚100/129 de juin 2023 portant modalités d’application des droits fonciers certifiés. Balthazar Nzohabonimana, agent foncier communal à Buhinyuza, revient sur les étapes de la procédure.
Une sensibilisation a été faite en amont pour faire comprendre le bien fondé de faire certifier ses terres mais aussi l’importance d’y associer les épouses ou les sœurs et pour les filles et femmes de recourir à la certification. Il s’en suit une inscription au guichet foncier pour la reconnaissance des terres avec une annonce publique pendant 30 jours regroupant tous les détails de la reconnaissance. La délimitation se fait ensuite sur terrain suivie d’un délai de 30 jours pour réclamation. Au minimum, deux mois s’écoulent avant l’attribution du certificat foncier.
Toutefois l’adhésion à la certification n’a pas été unanime : « Il y avait beaucoup de confusion et certains hommes étaient contre que les femmes se fassent inscrire sur les certificats. Ceux qui étaient contre, personne ne les forçait. », rapporte Trinité Murerwa, chef collinaire de Kiyange.
Balthazar, l’agent foncier, ajoute également que tout est clair sur les procédures et en cas de conflits, ils réfèrent directement les cas au tribunal pour qu’il y ait procès.
Une mesure controversée
Scholastique Ntungwanayo fait partie de celles qui se sont retrouvées devant la justice. Elle nous conte les péripéties par lesquelles elle est passée pour avoir son certificat foncier. Au moment de diviser les terres familiales, elle a réclamé son lopin de terre que son père lui avait léguée. Ses frères s’y sont opposés fortement et cela a conduit à une bataille juridique pendant 9 ans qu’elle a fini par gagner.
Une fois venues les certifications systématiques à Buhinyuza, ses frères se sont encore une fois opposés à ce qu’elle ait accès au certificat et ils se sont de nouveau retrouvés devant les tribunaux. Comme elle avait gagné les précédents procès, elle a pu faire valoir son droit légitime d’accéder au certificat. Ses frères l’ont menacée maintes fois de la tuer si elle osait vendre la terre qui lui appartient. Même son de cloche de la part des dames qui accompagnent Scolastique, la mesure n’est pas vue d’un bon œil par tous.
A Gasorwe, voisine de Buhinyuza, les hommes semblent perplexes quant à l’idée de faire inscrire leurs femmes sur les certificats fonciers : « Si vous cohabitez bien, il n’y a pas de soucis. Tu peux la faire inscrire. En revanche si je l’inscris sur mes certificats, elle doit faire de même pour les siens. »
Cette mesure qui s’offre comme solution aux conflits fonciers mérite de s’étendre davantage. Cependant, la surprise se lit sur les visages quand l’inscription volontaire est évoquée comme étant à la disposition de tous. Il reste du chemin à faire en termes de sensibilisation sur les certifications foncières.