Figure politique et héros de l’indépendance du Burundi, la mort de Rwagasore coûtera cher aux Burundais. Un débat entre jeunes et moins jeunes s’est dernièrement penché sur l’instabilité politique qui a suivi la mort du fils de Mwambutsa et la fin de la monarchie.
La période entre la mort du héros de l’indépendance et la suppression de la monarchie est l’une des plus riches en évènements symboliques qui ont marqué l’histoire du Burundi.
À ce propos, Cyprien Mabano, un retraité du nord de Bujumbura raconte : « Un peu avant l’indépendance, Rwagasore est tué. Mirerakano pressenti comme successeur ne le devient pas. S’en suit des problèmes de gestion de l’Uprona. Ces derniers gagnent l’Assemblée nationale, mais les blocs Monrovia et Casablanca s’invitent sur base ethnique. Ces problèmes s’aggravent avec la mort de Ngendandumwe et du coup d’État contre le roi. Cette instabilité conduira le roi à la fuite. Et in fine, à la suppression de la monarchie ».
James Ndayizigiye et Jean Ndayiragije, tous du centre jeune Kamenge, pensent la même chose. Ils ajoutent toutefois que l’après mort de Rwagasore est marqué par des tueries sur base ethnique dont les hutus seront victimes.
De même, ajoute Ndayiragije, après la victoire de l’Uprona de Rwagasore et de sa mort, tout devient chaotique, surtout après l’indépendance. Mais, nuance-t-il, à cette époque, le pays ne connaît pas encore les divisions ethniques car les différents postes sont occupés à la fois par les tutsi et par les hutu. Les choses empireront après, avec le rôle des élites. Certaines d’entre elles y laisseront même leur vie, raconte pour sa part Ariane Ningabira.
Et pour Alida Gratiella Iteriteka, le fait est que la mort de Rwagasore a déboussolé l’Uprona. Les membres de ce parti n’ont pas su quoi faire, en proie à des divisions internes. Pour elle, c’est comme si ils n’avaient imaginé que Rwagasore pouvait un jour disparaître. L’instabilité de cette époque ne peut que s’expliquer. Au point de coûter la vie au Premier ministre Pierre Ngendandumwe, complète Thierry Nkeshimana.
Le rôle du contexte politique mondial
Cette instabilité ne peut pas être séparée du contexte politique qui prévalait à l’époque : les blocs idéologiques capitalistes/communistes. Ces deux blocs n’épargneront pas le Burundi, explique le politologue Elias Sentamba.
La suite, c’est la concrétisation des intérêts idéologiques sur le terrain burundais. Rwagasore étant accusé de communiste, la victoire de son parti déplaisait. Monrovia et Casablanca s’inscrivaient dans ce contexte. La mort de Ngendandumwe aussi. Monrovia pro capitaliste et Casablanca, communiste. Autre fait marquant, c’est la tentative de coup d’Etat contre le roi, menée par un certain Antoine Serukwavu, secrétaire à la gendarmerie.
Le politologue souligne également le rôle des massacres des tutsi au Rwanda en 1959, ce qui poussera les tutsi du Burundi à craindre de subir le même sort et certains hutu à vouloir copier le modèle rwandais.
Mais alors, comment expliquer cette instabilité ?
Les réponses sont diversifiées. Pour Alida, c’est l’appât du gain qui est la cause principale. Après la mort de Rwagasore, tout le monde s’est senti capable de prendre le pouvoir, tente-t-elle d’expliquer.
Et si Salvator Ngomirakiza parle du rôle des colonisateurs dans la division des Burundais et par conséquent dans la production de cette instabilité, Elvis Nduwayo lui pointe du doigt le manque d’expérience des élites au pouvoir. Une idée proche de celle d’Ariane pour qui les Burundais n’étaient pas encore outillés pour la gestion des affaires. L’influence occidentale qui restera de mise ne serait pas aussi à épargner.
Pour Joseph Bigirimana et Elvis Ordan Irakozwe, cette instabilité peut être expliquée par la bataille entre les élites des deux blocs ou ceux capitalistes /communistes pour accéder aux pouvoirs et préserver leurs intérêts. Ce sont donc des acteurs qui n’étaient pas autonomes dans leurs actions.
Mais pour le politologue Elias Sentamba, il y a eu un problème majeur : « Ceux qui ont gouverné à l’époque avaient dans leur majorité fait Astrida. Ils avaient des façons de faire « occidentales » différentes des réalités locales. ». Résultat : c’est l’instabilité qui fera place. Ce sont aussi des élites qui n’avaient pas de légitimité.
In fine, et c’est toujours Sentamba qui l’explique, cette instabilité aurait probablement eu lieu même si Rwagasore n’avait pas été assassiné, car, assène-t-il, ceux qui l’ont tué ne lui aurait pas facilité la tâche dans son exercice du pouvoir.