Tous les mois, elle revient, sans prévenir, sans invitation. Elle tord le ventre, bouleverse l’humeur, ruine les draps, et parfois, fait trembler les certitudes. Voici une lettre ouverte à cette colocataire envahissante qu’on m’a appris à cacher, à craindre, à haïr… en silence.
J’ai longtemps voulu t’écrire, mais je t’ai trop souvent gardée en silence. Et puis aujourd’hui, j’en ai marre de t’ignorer comme si tu n’existais pas. Tu es là, tu saignes, alors parlons.
J’ai grandi avec la conviction que tu étais sale. On m’a appris à te cacher, à glisser les serviettes hygiéniques dans la manche de mon pull pour aller aux toilettes, à chuchoter le mot « règles » comme on chuchote un péché.
On m’a dit que tu faisais de moi une femme. Comme si souffrir tous les mois était un rite de passage vers une féminité construite sur la douleur.
Et pourtant, j’ai appris à te redouter. À me demander si tu viendrais trop tôt, ou trop tard. À te maudire quand tu arrivais le jour d’un rendez-vous important. À t’accueillir avec un soupir de soulagement quand j’avais peur d’être enceinte.
Aujourd’hui, j’aimerais qu’on parle autrement.
Toi et moi, on se connaît depuis longtemps maintenant. Et franchement ? Je suis fatiguée. Pas seulement de toi, mais de tout ce que tu représentes.
Parce que tu n’es pas juste une affaire de ventre qui se tord. Tu es politique. Tu es culturelle. Tu es économique. Tu es un tabou qu’on porte à bout de corps.
Tu coûtes cher, tu fais rater des journées d’école à des millions de filles, tu es la raison pour laquelle certaines d’entre nous se sentent inférieures, souillées, indésirables.
Tu es ce sang qu’on maquille de bleu dans les pubs, comme si le rouge était une insulte.
Je suis d’ailleurs fatiguée de devoir te justifier.
Fatiguée qu’on me dise que je suis « trop sensible » quand tu ravages mes entrailles.
Fatiguée de devoir me lever et sourire alors que j’ai envie de pleurer, de m’allonger, de hurler.
Fatiguée qu’on me reproche mon humeur quand tu me tords de douleur.
Fatiguée de devoir « gérer ».
Je veux pouvoir dire que j’ai mes règles sans que la pièce ne devienne soudain gênée.
Je veux que les petites filles apprennent que ce n’est pas une honte mais une force. Une force créatrice.
Tu es le sang de la vie, tu es la preuve que ce corps est capable de miracles, même quand il n’en veut pas.
Mais je veux aussi qu’on dise que tu fais mal. Qu’on ne doit pas normaliser la douleur. Qu’il n’est pas normal de s’écrouler, de pleurer, de perdre connaissance à cause de toi.
Je veux qu’on arrête de minimiser l’endométriose, les syndromes prémenstruels, les migraines hormonales.
Je veux que les protections périodiques soient gratuites, écologiques, accessibles.
Je veux qu’on arrête de me dire que je dois faire comme si tu n’existais pas. Parce que tu existes, tous les mois, parfois en hurlant.
Je veux qu’on m’écoute. Et qu’on nous écoute, nous toutes.

Murakoze