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Olègue « Urwego » : au-delà des scandales

Olègue est emprisonné depuis un mois pour « atteinte aux bonnes mœurs ». Et comme souvent dans son cas, le scandale prend le pas sur le talent de « l’enfant terrible » du Buja Fleva. Contrairement aux autres chanteurs burundais qui se sont spécialisés dans l’art du buzz (coucou Nat…), Olègue Baraka a le mérite d’avoir du talent.

C’est en 2019 que sort le premier vrai tube du rappeur burundais : Délégué Général. Un morceau, aux sonorités dance-hall, ponctué de quelques airs de reggaeton. Jusque-là tout est normal. Une chanson dance-hall qui fait danser tous les ados de Bujumbura, rien d’alarmant. 

Sauf que les paroles derrière « Délégué Général » ne passent pas inaperçus. « Ndi urwego (ce mot d’ailleurs deviendra sa marque) ruruta izindi nzego barabizi. Muri pause nzana ama beers,  ngura ama weed, n’crea ama parties, ntema amanoti, mvuza ama hits gusa, aba dada inyuma barazi ko ndi igica,… », que l’on peut traduire par « je suis une institution au-dessus des autres, tout le monde le sait. Pendant la pause, j’apporte des bières, j’achète de la marijuana, j’organise des fêtes, j’apporte de l’argent, des hits je fais, les filles derrière reconnaissent que je suis trop fort ! ».

Ces paroles (et bien d’autres encore) vont susciter la polémique. Le clip viendra jeter de l’huile sur le feu. On y voit des jeunes en classe et en uniforme scolaire, les filles en mini-jupes, fumant et se déhanchant, certains garçons également cigarettes au coin des lèvres et d’autres embrassant et caressant les jeunes filles. Le clip avait tout pour choquer le Burundais pudique et Olègue finira par être arrêté. Il sera relâché après des excuses publiques.

En août 2020, Olègue revient avec Doctor. La chanson est remarquée mais évite le scandale. On croit alors qu’Olègue s’est apaisé. Mais, c’était sans compter l’imagination débordante de notre bonhomme.

Le scandale « Korayo » 

Le 20 décembre 2020, Olègue Urwego sort Korayo. Dans le clip, on le voit dans une camionnette de transport où il embarque des filles en demandant si on peut les acheter : « Mbega muragura ? » (Voulez-vous acheter ?), scande-t-il.

Sur Twitter, les commentaires s’enflamment. 

Un medium local accusera même le jeune rappeur de « faire l’apologie du proxénétisme… ».

Alors que le monde médiatique et les tweeps burundais crient au scandale, la chanson « Korayo » fera son entrée dans un classement très prestigieux de la RFI Musique. Une reconnaissance qu’il recevra d’ailleurs à trois reprises pour Nzonze (un morceau que j’affectionne particulièrement d’ailleurs), une collaboration avec le rappeur  rwandais Papa Cyangwe, ainsi que l’incontournable Doctor. Aucun chanteur burundais n’a été sur la liste aussi souvent. Mais pourquoi donc le jeune rappeur ne reçoit-il pas autant de reconnaissance chez lui ?

Un moraliste incompris…

Olègue s’inscrit dans la lignée des artistes moralistes burundais. Mais, il s’en différencie par sa manière de le faire. 

S’il faut que vous vous adressiez aux Burundais, il vous faut savoir une chose : n’utilisez jamais la première personne du singulier. Un magnifique article a croisé mes yeux, il y a quelques mois sur « Le Burundais et le langage » ». Ce passage a retenu mon attention : « Le kirundi est une langue imagée et codée qui ne peut vraiment se comprendre que lorsque les interlocuteurs, même rundi, utilisent les mêmes références, sinon un quiproquo est vite arrivé. « Gucahirya no hino » comme le disent certains en référence à la langue de bois version Kirundi. Cela fait que le langage, et par conséquent l’information, est l’un des moyens les plus utilisés par la masse pour (sur)vivre ; c’est un mode de vie. ». Le Burundais apprécie un message moralisateur à travers des contes, des « on dit », des proverbes, etc.

Le très regretté feu Léonard Niyomwungere aussi a longtemps eu recours au « langage burundais » à travers ses chansons. Qui peut oublier Abagabo bararya et ses métaphores bibliques ? Le groupe de la moitié des années 2000 « Étoile du Centre » s’est illustré avec des morceaux comme Abasenga qui dénoncent l’hypocrisie des croyants, Inzoga où il est question des effets de la consommation abusive de l’alcool et bien d’autres.

Olègue est venu et a eu la mauvaise idée de ne pas s’inspirer de ses aînés. Il a inventé une manière de dénoncer les vices de la société burundaise (et Dieu seul sait combien il en existe) qui ne correspond pas à ce qui se fait depuis des lustres.

Mkombozi est un autre rappeur burundais qui s’est essayé à cet exercice. Comme Olègue, la première personne du singulier a dominé dans quelques-unes de ses chansons (écoutez Nzeyimana). Il a dû s’exiler pendant six ans !

Dans « Korayo », le Burundais conservateurs aurait aimé qu’Olègue dénonce le proxénétisme qui secoue Bujumbura grâce aux métaphores et autres proverbes. Dans Boss, il aurait mieux fait de ne pas pointer directement du doigt pour parler de l’obsession chez certains jeunes burundais de sortir à tout prix avec les magnats et les puissants de ce pays. Peut-être qu’avec « Délégué Général », il aurait été plus préférable de dénoncer ces directeurs d’école qui abusent de leurs élèves à coup de proverbes : cela aurait plu sans doute à ma douce mère, elle qui est attachée aux valeurs traditionnelles protestantes…

La seule erreur qu’on peut reprocher à Olègue, c’est de ne pas avoir su comprendre les Burundais… et vice-versa. Mais, peut-on reprocher à un artiste d’être créatif ? Qu’à cela ne tienne. L’emprisonnement d’Olègue Baraka nous prouve encore plus que nul n’est prophète chez lui.

 

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Les commentaires récents (4)

  1. Pour moi faut comprend que dans notre beau pays faut jamais mélanger l’art et la culture sinon tu te retrouve toujours…tels sont les cas qu’on connait!!!!