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L’Opération « zéro enfant en situation de rue et zéro mendiant » : une montagne qui a accouché d’une souris

La question des enfants en situation de rue et des mendiants n’a pas dit son dernier mot. Presque dix mois après le lancement par le gouvernement du Burundi de l’opération « zéro enfant en situation de rue et zéro mendiant », ils sont revenus. Ils sont là, nombreux et menaçants. 

« Nous sommes dans la droite ligne de la mise en œuvre des recommandations du gouvernement pour qu’au niveau de tout le pays, au niveau de la ville de Bujumbura, il n’y ait plus de mendiants dans les rues », avait déclaré, lors du lancement de cette opération, le 7 juillet 2022, Félix Ngendabanyikwa, secrétaire permanent au ministère en charge des affaires sociales. 

A cette occasion, les cœurs charitables avaient aussi été mis en garde : « Nous lançons également un appel pressant aux gens qui donnent de l’argent à ces mendiants parce qu’aujourd’hui, nous luttons contre la mendicité mais demain ou après-demain, nous lutterons contre les gens qui donnent de l’argent au mendiants parce qu’au niveau du code pénal, des sanctions sont prévues pour ces gens qui donnent mais aussi pour ces gens qui mendient ».

Aujourd’hui, il suffit de faire un tour dans les quartiers, au centre-ville, devant les marchés, les églises, les mosquées, etc. pour constater que la situation reste la même. 

Un danger public

Aujourd’hui, les enfants en situation de rue sont organisés en groupes. Comme les enseignants, les banquiers, les commerçants, les fonctionnaires … le matin, ils quittent les quartiers périphériques vers le centre-ville. Là, ils se pointent dans certains endroits stratégiques : devant les bars, les restaurants, les galeries commerciales, etc.

Aujourd’hui, ils n’ont même plus peur de la police. « Car, nous savons comment travailler avec eux », confie un de ces enfants, croisé sur le Boulevard de l’Uprona. « Ce sont des amis », ajoute-t-il, sans donner plus de détails, avant de courir derrière une voiture pour mendier quelque chose.  Quelques minutes après, ce jeune garçon, originaire de Kayanza, revient avec 500 Fbu dans ses mains et poursuit la description de leur quotidien : « On n’a pas de choix. Pour vivre, je dois mendier. Ça fait plus de sept ans que je suis un enfant en situation de rue. » Il dit qu’il a été arrêté plusieurs fois par la police, mais relâché après. « Comment ? », lui lance-je. Là, avec un petit sourire, il se garde de tout commentaire mais signale que des arrangements sont possibles. Il précise d’ailleurs qu’ils travaillent en groupes et qu’il existe une certaine organisation

Un autre garçon, en situation de rue, avoue sans ambages qu’il vole des rétroviseurs ou d’autres objets dans les voitures. « C’est la vie. Si les gens ne nous donnent pas, nous nous servons ! Je ne peux pas accepter de mourir de faim alors que je suis sûr que dans ces véhicules ou dans ces sacs à main des femmes, il y a de l’argent ».

En cas de maladies, il signale qu’ils font recours à l’automédication. « Comment voulez-vous qu’on se fasse soigner dans un hôpital ou un centre de santé sans l’argent ? », lance-t-il. La seule option est donc d’acheter des médicaments sans ordonnance. « Heureusement, nous ne tombons pas souvent malades. Juste des plaies. Et là, nous les soignons avec nos moyens », ajoute son ami. 

« L’échec était prévisible… »

D’après les données du ministère ayant dans ses attributions la solidarité nationale, depuis le début de la campagne, seulement près de 1500 enfants en situation de rue ont été réinsérés dans leurs familles. 

Néanmoins, ce même ministère reconnait que ce phénomène est complexe et est lié à plusieurs causes : « La pauvreté, la dislocation familiale et la délinquance sont les principales causes de cette situation », explique Ildefonse Majambere, porte-parole dudit ministère. Selon lui, il faut un travail en synergie pour réussir à retirer ces enfants pour les réintégrer dans leurs familles ou autres foyers d’accueil.  Et de déplorer le fait que certains parents ont démissionné de leur devoir d’éduquer.

Du côté de la société civile, on ne mâche pas les mots : « C’est un fiasco. La campagne a échoué », critique un des responsables d’une organisation militant pour les droits de l’enfance. Sous anonymat, il souligne que l’échec était prévisible : « Nous avons soumis plusieurs propositions, nous avons demandé qu’on commence par la sensibilisation des acteurs mais le gouvernement n’a pas voulu nous écouter. Il a forcé. Et voilà le résultat », lâche-t-il. Il déplore que ces enfants, et adultes en situation de rue soient devenus aujourd’hui très violents. 

« Ils sont sur la défensive. Ils ont vu qu’il n’y a pas de pitié pour eux, et aujourd’hui, ils se disent qu’ils n’ont pas d’autres choix que de se défendre, de lutter pour leur survie. Et rappelons-nous que certains, la majorité, n’ont pas eu une éducation parentale. Ils n’ont rien à craindre », explique-t-il.  

Pour cet activiste, il ne faut donc pas leur demander d’être tendres, disciplinés, alors qu’ils n’ont jamais connu cette tendresse, cette éducation parentale. Aujourd’hui, ils croient que même la société les a rejetés. D’où, ils sont agressifs, commente-t-il, mentionnant que dans ce cas, il faut les approcher, leur faire comprendre l’intérêt de quitter cette vie. Et de faire un clin d’œil au gouvernement et à la police : « Chaque fois que vous utiliserez la force, sans nous associer, attendez-vous à un échec ».

 

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