La semaine dernière, l’honorable Martin Ninteretse a tapé du poing sur la table lors d’une réunion. Il a donné des instructions précises pour traquer toute personne s’arrogeant le droit de violer les tarifs fixés par l’État, y compris ceux des tickets de transport. Au-delà de ces faits récents, n’est-il pas opportun de s’interroger sur l’interventionnisme de l’État dans la fixation des prix ? Analyse.
Récemment, lors d’intenses réunions avec les représentants des provinces et les corps de sécurité à l’échelle du pays, le ministre Martin Ninteretse a promis une guerre sans merci aux commerçants spéculateurs, aux commissionnaires, ainsi qu’aux fabricants de boissons prohibées et leurs complices. Cette mesure a envenimé la situation économique d’un pays confronté à la pire crise de carburant depuis plus de deux ans. La plupart des stations-service sont à sec depuis des mois, malgré les initiatives prises par l’État pour résoudre la pénurie endémique d’or noir.
Les automobilistes se ravitaillent sur le marché noir à des prix exorbitants, où un bidon de 20 litres d’essence frôle les 300 000 BIF. Le carburant entrant en contrebande depuis les pays limitrophes apporte une bouffée d’air au secteur. Dans cette logique, les restrictions sur les importations informelles impactent négativement les cours du carburant. Actuellement, une bouteille en plastique de 1,5 litre se négocie à 30 000 BIF sur Kinjupass (nom donné au marché parallèle en référence au système électronique de gestion du carburant, la fameuse application GITORO PASS). Ce qui se répercute directement sur le prix des tickets de transport. Une course en taxi depuis l’aéroport vers les quartiers coûte plus de 150 000 BIF, alors que l’Umuvango (taxi collectif) culmine à 10 000 BIF par passager pour rejoindre le centre-ville depuis les quartiers périphériques.
Que doit-on comprendre par interventionnisme de l’Etat ?
En économie, l’interventionnisme est une politique préconisant l’intervention des pouvoirs publics dans la vie économique d’un pays. Afin de réguler l’économie de marché, l’État dispose de nombreux instruments regroupés sous le vocable de « politique économique ». Le choix d’un instrument relève d’une décision politique conditionnée par le contexte et les objectifs que l’État s’est fixés.
Selon Kaldor, très proche des idées de Keynes, l’État doit arbitrer entre la réalisation de quatre grands objectifs macroéconomiques ou « grands équilibres » : l’emploi, la croissance économique, l’équilibre de la balance commerciale et la stabilité des prix. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la création de l’ANAGESSA, de PAEEJ, de BIJE, etc., la subvention des engrais chimiques, la promotion des exportations ou la lutte contre la hausse des prix dont le ministre de l’Intérieur sortant a fait son cheval de bataille.
Tirer des leçons du passé
L’interventionnisme des pouvoirs publics dans la fixation des prix est normal, le tout étant de savoir où doit s’arrêter son intervention. L’ingérence du gouvernement dans la régulation des prix de produits non stratégiques est parfois contreproductive. On se souviendra de la campagne d’achat de grains de maïs organisée chaque saison par le ministère de l’Agriculture, à travers son agence de gestion des récoltes (ANAGESSA). Les arguments avancés (valoriser les efforts des producteurs et endiguer l’inflation alimentaire) peinent à convaincre quant aux réelles motivations du gouvernement d’intervenir dans la fixation des prix de certains produits locaux et leur application. L’inflation explose et atteint des niveaux élevés. Elle était de 33,8 % au mois de juin.
En matière de commerce, le rôle du gouvernement devrait se limiter à mettre en place un cadre légal adéquat et à initier des réformes pour appuyer les investisseurs. Ces derniers doivent avoir la liberté de fixer les prix en fonction du contexte économique.
Le gouvernement réédite ainsi une expérience qui avait connu un échec cuisant en décembre dernier. Lors d’une émission publique, le président Évariste Ndayishimiye avait instruit le ministre du Commerce de stabiliser les prix des produits de première nécessité endéans 15 jours. Dans les colonnes du journal Iwacu, l’expert économiste Jean Ndenzako avait qualifié cette annonce d’irréaliste, arguant que toute politique anti-inflationniste efficace nécessite un diagnostic sérieux pour en établir les causes profondes. Pour lui, l’inflation est un phénomène monétaire complexe qui ne peut être maîtrisé par simple décret. « Elle résulte de l’interaction de nombreux facteurs macroéconomiques interdépendants : masse monétaire en circulation, taux de change, production nationale, commerce international, etc. Une approche administrative ignorant ces mécanismes fondamentaux ne peut qu’échouer à résoudre durablement le problème », explique le professeur Ndenzako.
Au contraire, ce genre d’annonce comporte plusieurs risques majeurs pour l’économie et la crédibilité des institutions. Il risque d’y avoir des comportements spéculatifs qui se traduisent par une accélération des achats de précaution, une rétention de stocks par les commerçants, une dollarisation accrue de l’économie ou encore une déstabilisation des marchés, prévient-il.