Six filles de l’école fondamentale Mugoyi en commune Kabarore de la province Kayanza « auraient été empoisonnées par une de leurs condisciples », rapportait un médium local lundi 27 février. Nous nous sommes rendus sur les lieux et avons rencontré ces six filles, leur directeur de l’école, le directeur communal de l’éducation à Kabarore, et bien d’autres pour faire la lumière sur cette affaire.
« Six filles de l’école fondamentale Mugoyi en commune Kabore sont hospitalisées à Rwegura depuis ce vendredi. Selon l’information qui nous vient de Mugoyi (commune Kabarore, province Kayanza), confirmée par le directeur de l’école, les six filles auraient été empoisonnées par l’une de leurs condisciples ». Si cette information diffusée par la Radio-Télévision Isanganiro tente d’offrir quelques réponses, il reste cependant beaucoup de questions : qui sont ces jeunes filles ? Comment auraient-elles été empoisonnées? Par qui ? Où est-ce qu’elles se sont fait soigner ? Et plus important encore : est-ce réellement un cas d’empoisonnement comme cela est en vogue au Burundi (lire le dossier « ishano ») ?
C’est ce genre de réponses que nous avons cherché à avoir, guidé par un ancien condisciple originaire de Rwegura et un autre de Kabarore avec qui on a partagé la pâte de manioc dans un internat situé sur l’une de ces nombreuses collines de Kayanza.
Ce mardi, nous embarquons donc pour la province Kayanza, avec comme destination finale Mugoyi. Escale d’abord en commune Kayanza. Un orage et un froid glacial nous accueillent. La chaleur de Buja-la-belle, située à plus de 100 km, nous manque. Nous passons, malgré nous, la nuit sur place, après avoir pris contact avec notre chauffeur.
Yves*, notre chauffeur, arrive vers 8 heures à notre lieu de rencontre. On prend connaissance et nous réalisons tous qu’on a fait le même établissement scolaire. Sur sa moto, pour ne pas s’ennuyer à cause du trajet, des histoires de notre ancienne école nous occupent : un tel prof qui était dur envers les élèves, ces encadreurs qui nous menaient la vie dure, car, « c’est comme ça qu’on éduque » et que « plus tard, nous reviendrons les remercier ». Aucun de nous deux ne l’a encore fait.
Mugoyi se situe à une quarantaine de kilomètres de la commune Kayanza. Avant d’y arriver, nous devons braver le relief de la commune Kabarore. Yves* maîtrise sa moto. Il rassure : « Je connais Kabarore comme ma poche ». En route…
Les forces de l’ordre se sont mêlées de l’affaire
Nous débarquons d’abord aux bureaux de la commune Kabarore. Nous avons reçu l’information qu’un officier de police judiciaire (OPJ) s’est occupé de l’affaire. Nous demandons alors de le rencontrer. On nous met en contact avec l’OPJ qui est présent à la commune Kabarore. « Ah. Moi, je suis nouveau. Je n’ai pas travaillé sur cette affaire », répond ce dernier. Mais, il nous conduit dans le bureau du commissaire communal. Lui aussi, il nous guide vers une autre personne : « Cette affaire, elle est entre les mains du procureur à Kayanza. Pour plus de détails, il faut se rendre Mugoyi ».
Avec Yves*, nous voilà encore sur les routes de Kabarore. Après plus d’une trentaine de minutes à arpenter le relief infernal de cette commune, le guide qui nous sert aussi de chauffeur nous lance : « Kuri Ecofo Mugoyi ni harya » (l’Ecole fondamentale Mugoyi est située là-bas). Un rendez-vous est déjà fixé avec le directeur de cette école.
« Je ne pouvais pas gérer cette affaire seul »
Jean Baptiste Bucumi, le directeur, nous attend dans son bureau. Des livres recouverts d’une fine couche de poussière se mêlent aux nouveaux. Sur cette affaire, voilà ce qu’il dit : « On a eu connaissance de ces cas lundi, 20 février 2023. Six filles de la 9e année sont venues me dire qu’une de leurs condisciples les a empoisonnées. Cela a réellement débuté le 8 février 2023. Les élèves de 9e année devaient passer ce jour-là un test communal pour se préparer au concours national. C’est ainsi que celle soupçonnée d’avoir empoisonné les six filles a donné du maïs bouilli. Le lendemain, l’une des six filles a commencé à avoir mal au ventre. Ses parents ont décidé de faire un diagnostic traditionnel pour vérifier si elle n’a pas été empoisonnée. Le diagnostic a, selon les dires de la fille, révélé un cas d’empoisonnement », témoigne le directeur de cette Ecofo. Il continue : « Elle a demandé si les cinq autres filles avaient eu les mêmes symptômes et il s’avère qu’elles aussi étaient dans le même état ».
Le 20 février 2023, les six jeunes filles sont venues dénoncer la camarade de classe qui leur a offert du maïs. Et le directeur de l’école, M. Jean Baptiste Bucumi a décidé d’appeler les parents de la jeune fille soupçonnée d’être l’empoisonneuse et ceux des six filles. Jean Baptiste Bucumi a écouté les deux parties et a décidé finalement d’appeler le directeur communal de l’éducation (DCE). « Je ne pouvais pas gérer cette affaire seul », avoue Jean Baptiste Bucumi. « Le DCE est venu avec les forces de l’ordre et ils ont interrogé la famille de la jeune fille soupçonnée d’avoir empoisonné ses condisciples. Bien que cette dernière ait assuré être innocente, elle a accepté de payer les frais médicaux si et seulement si les 6 filles étaient réellement empoisonnées. Et elles ont été amenées au centre de santé de Rwegura », ajoute le directeur de l’école fondamentale Mugoyi.
« Elle nous a donné du maïs, mais elle n’en a pas touché »
Jean Baptiste Bucumi décide d’appeler les six jeunes filles supposées victimes d’empoisonnement pour qu’on puisse discuter. Toutes les six entrent dans son petit bureau. Rania*, Ladouce* ont toutes les deux 19 ans. Claudia* a 18 ans, quant à Fiona*et Yvonne, elles ont 17 ans. Elles sont toutes en 9e année secondaire.
Rania* témoigne en premier : « C’est vrai que Pierrette (pseudo de la jeune fille soupçonnée d’empoisonnement) nous a données du maïs bouilli, mais, elle ne l’a pas touché ». « C’est après une journée qu’on a commencé à ressentir des douleurs. Comme c’était nous les six seulement qui avons mangé le maïs de Pierrette*, nous avons décidé de vérifier si on n’avait pas été empoisonnée », ajoute Ladouce*. C’est vous qui avez demandé à Pierrette* de vous donner ces maïs ? « Non », répond une des filles. « Moi, je l’ai fait…après qu’une autre camarade de Pierrette* lui ait demandé la veille du test communal de lui amener du maïs bouilli ».
Pierrette* a bel et bien amené le maïs mais elle ne l’a pas donné à celle qui le lui avait demandé. Nous demandons au directeur d’appeler celle qui a demandé le maïs à Pierrette. « Oui, je le lui ai demandé, mais elle ne m’en a pas donné le jour où elle l’a amené », confirme la jeune fille.
Plus tard, nous parvenons à discuter avec le directeur de l’éducation en commune Kabarore, Jean Paul Nzohabonayo, qui a suivi cette affaire aussi. Il ne réfute pas ce que le directeur de l’école fondamentale Mugoyi a dit. Il ajoute : « Le grand frère de la jeune fille soupçonnée d’avoir empoisonné ses condisciples a accepté de payer les charges si c’est réellement un cas d’empoisonnement. À Rwegura, on a confirmé que les jeunes filles étaient souffrantes. Je ne dis pas qu’elles ont été empoisonnées, mais, ce centre a hospitalisé les jeunes filles. Le grand frère a payé d’ailleurs une avance de 60 000 BIF ».
Avec Yves*, nous décidons de nous rendre à Rwegura, au centre de santé qui a soigné les supposées victimes. Le trajet est si difficile que je suis obligé de descendre de la moto pour laisser Yves* traverser certains ponts ou descendre certaines pentes. Après ce parcours du combattant, nous arrivons à Rwegura.
« Nous ne soignons pas ishano ici »
Alors que je joins la directrice chargée du centre de santé pour demander une rencontre, elle me répond : « Nous n’avons pas l’autorisation de répondre aux interviews ». Pour votre information, le centre de santé est entre les mains des religieuses. Elle est reconnue comme spécialisée dans le soin de « ceux qui ont été empoisonnés ». En m’y rendant, j’aborde deux hommes et je leur demande : « C’est ici où l’on soigne ishano ?». Tous les deux répondent par un « Oui ».
J’appelle encore une fois la directrice du centre de santé afin de demander un rendez-vous. Face à mon insistance, elle arrive à me répondre un peu sur téléphone : « Nous avons bien sûr accueillis les jeunes filles. Mais on les a soignées comme la médecine moderne nous l’exige. Mais, comprenez une chose, nous ne soignons pas ishano ici ».
Je me rappelle alors que les six filles m’avaient aussi répondu qu’elles ont reçu des injections dès qu’elles sont arrivées au centre de santé. Et « des pilules blanches qui donnent du sommeil ».
Ont-elles été réellement empoisonnées par leur condisciple, toutes les six affirment qu’elles ont été empoisonnées. Le directeur de l’Ecofo Mugoyi m’a murmuré d’ailleurs lors de notre rencontre que « cette fille vient d’une famille qui est soupçonnée par l’entourage de donner ishano ». Serait-ce l’une des raisons qui poussent les six jeunes filles à affirmer qu’elles ont été empoisonnées ?
Pierrette* ne va plus à l’école…
Cette accusation d’empoisonnement a de conséquences grave pour la jeune fille : « Elle refuse de revenir à l’école. Elle dit qu’on l’accuse d’un crime qu’elle n’a pas commis », raconte l’une des filles de sa classe.
Le directeur de l’école fondamentale Mugoyi assure qu’il fait tout son possible pour que Pierrette revienne à l’école, car il ne l’a pas renvoyée. Mais à l’heure où nous publions cette enquête, la jeune fille n’a toujours pas regagné les bancs de l’école.
Contacté, le procureur de la République à Kayanza n’a pas souhaité s’exprimer sur ce cas pour le moment : « Nous ne pouvons pas donner des informations sur un dossier qui est encore entre les mains de la justice. »
Affaire à suivre…