En 2009, le Burundi sortait à peine d’un long conflit armé qui avait laissé une jeunesse désorientée et marquée par un passé sanglant. Les stigmates en étaient encore visibles. C’est dans ce contexte que le gouvernement a instauré les Centres pour jeunes, afin d’offrir à cette jeunesse des espaces de reconstruction personnelle et collective. Aujourd’hui, seize ans plus tard, le bilan est mitigé.
Un bref retour en arrière. Nous sommes le 19 février 2009. Le décret présidentiel n°100/31 officialise la création des Centres pour jeunes, suite au recensement de 2008 qui révélait que plus de 66 % de la population avait moins de 35 ans. Ces Centres étaient conçus comme des espaces communautaires de loisirs et d’éducation, des incubateurs d’innovation sociale et économique.
Cette ambition reste d’actualité dans un pays où 64,2 % de la population a moins de 25 ans, selon les chiffres du dernier recensement de 2024. La crise de 2015 a sans doute ravivé les blessures de certains jeunes qui tentaient de guérir tout en faisant face au chômage.
Souvent, les Centres pour jeunes se transforment en vitrines pour des ONG ou en points de passage ponctuels pour des projets de courte durée. Sans un véritable suivi de l’administration communale, leur impact reste éphémère.
Réalité contre idéal
Concernant les projets ponctuels, difficile d’ignorer le projet Tubakarorero. Grâce à lui, 155 espaces de jeunes encadrés ont été équipés d’Ideas Cubes, des bibliothèques numériques portables. Six cent vingt jeunes animateurs ont été formés et certifiés. Malheureusement, ce programme prendra fin avec le départ de l’Ambassade des Pays-Bas, qui soutenait plusieurs Centres pour jeunes. Qu’adviendra-t-il de la pérennité et de la sauvegarde des acquis ?
Dans un pays où l’espoir des jeunes est fragile, la reconstruction du lien social est indissociable des enjeux de survie économique. Ainsi, dans ce même projet, 2 917 jeunes entrepreneurs, dont 1 254 filles (42,9 %), ont bénéficié d’un renforcement de leurs compétences en élaboration de plans d’affaires. Au total, 3 373 plans d’affaires ont été créés par ces jeunes. De plus, 964 jeunes, dont 410 filles, ont été mis en relation avec des opportunités financières. Plus intéressant encore, 72 initiatives entrepreneuriales de jeunes ont reçu un soutien matériel du projet.
Ces chiffres sont encourageants sur le papier, mais sur le terrain, l’intérêt des jeunes pour ces Centres semble s’émousser. Pourquoi ?
Une faible attractivité
Selon une évaluation de Care Burundi, seulement 38 % des Centres pour Jeunes dotés d’infrastructures sont des espaces attrayants pour les jeunes des communautés avoisinantes. Comment un élève pourrait-il s’intéresser à un lieu qui ressemble étrangement à sa salle de classe ? Il était censé s’y changer les idées et apprendre, certes, mais de manière ludique.
La localisation de certains Centres pour jeunes dans des bureaux communaux est-elle une bonne idée ? N’est-ce pas une raison pour laquelle certains jeunes hésitent à fréquenter ces lieux, même inconsciemment ?
Mais comment parler de jeunes sans évoquer les jeux ? Ou sans mentionner les Fbu (Franc burundais) ?
Du matériel qui disparaît du jour au lendemain
Les Ideas Cubes, ces boîtiers portables permettant d’accéder, sans internet, à une vaste bibliothèque numérique de vidéos, livres, cours et jeux éducatifs, sont distribués aux Centres des jeunes par des partenaires, notamment BSF (Bibliothèque sans frontières). Chaque ensemble comprend dix tablettes, un projecteur et un serveur. Outre les Ideas Cubes, certains Centres pour jeunes sont équipés de matériel de sonorisation et autres équipements.
Des informations concernant l’usage et l’appropriation illégaux de ces appareils dédiés aux jeunes ont été soulevées par le Coordinateur national chargé de ces Centres au sein du ministère de la Jeunesse.
Pour étayer ces propos, Boniface et Adeline (noms d’emprunt), deux jeunes volontaires responsables de Centres pour jeunes, tirent la sonnette d’alarme concernant ces actes illégaux de la part d’administrateurs.
Adeline raconte que trois semaines seulement après avoir reçu le matériel, tout (ou presque) avait disparu. Boniface, quant à lui, mentionne la disparition d’un mixeur et la dispersion des tablettes entre des mains inconnues, pointant ainsi l’administration communale sans l’accuser directement. À ce propos, Jean Berry Hatungimana, l’administrateur de la commune Mabanda, invite ses collègues à prendre soin des biens communaux pour assurer la pérennité des projets.
Si le matériel disparaît ainsi aux yeux de tous, qu’en est-il des fonds de réhabilitation, entre autres ? Dieu seul le sait.
Le volontariat au cœur du débat
La question des gestionnaires de centres qui travaillent bénévolement pose également problème. Certains n’appliqueraient-ils pas, par cette occasion, le proverbe kirundi : « Impene irisha aho iziritse » (« La chèvre broute là où elle est attachée », signifiant qu’on profite des ressources à portée de main) ? Ou bien, sont-ils suffisamment motivés pour se préoccuper de l’état de leur centre sans aucune gratification financière ?
La question de la succession pose aussi problème, car le décret-loi régissant les Centres pour jeunes n’a pas été respecté. Ne serait-il pas judicieux de prendre en charge ces gestionnaires comme des fonctionnaires communaux afin qu’ils puissent assumer pleinement leur rôle en étant redevables ?
Le grand absent
Le Centre Jeunes Kamenge, pourtant le plus ancien de tous, semble ne pas trouver la place qu’il mérite dans cet ensemble de Centres pour jeunes. Bien que la duplication de son modèle de fonctionnement représente un défi pour plusieurs raisons, il devrait servir de référence.
Terminons sur une note positive. Les grandes lignes de la stratégie de dynamisation et de pérennisation de ces Centres pour jeunes ont été présentées lors de l’atelier de restitution de l’évaluation de l’état des lieux de ces Centres au Burundi, parrainé par le ministère de la Jeunesse. Cet atelier a été organisé par Care Burundi en collaboration avec l’Ambassade des Pays-Bas et Cordaid du 7 au 8 mai 2025.
Rendez-vous en août 2030 pour évaluer l’impact de cette stratégie. Il ne reste qu’à espérer que les acteurs concernés prendront à cœur les recommandations formulées pour assurer un avenir durable à ces espaces importants pour la jeunesse burundaise.
