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L’indépendance budgétaire oui, mais à quel prix ?

Le Budget de l’Etat explose. Rien que pour l’exercice 2022-2023, les recettes globales connaissent une augmentation de 40%. Cet accroissement budgétaire impacte le coût de la vie d’autant plus que ce budget reste principalement financé par les recettes internes. Cela veut dire que l’Etat tire essentiellement ses ressources de la collecte des taxes et impôts. Analyse. 

L’élargissement de l’assiette fiscale porte ses fruits. En l’espace de quatre ans, l’Office burundais des recettes (OBR) a enregistré plus de 97 000 nouveaux contribuables. Parallèlement, les recettes collectées sont passées de 637,8 milliards de Fbu à plus de1024,1 milliards de Fbu entre 2016 et 2020, soit une augmentation de 61%, a déclaré Audace Niyonzima ex-commissaire général de l’OBR en marge des cérémonies de remise et reprise. En d’autres termes, l’étau se resserre autour des petits contribuables vu que l’industrie locale n’est pas assez développée.  Il est à noter que 90% des entreprises burundaises sont des micro-entreprises qui peinent à se frayer un chemin dans un pays où la liberté économique n’est pas acquise. Ce qui veut dire que l’augmentation du taux d’imposition plombe l’activité des start ups.

Comment en est-on arrivé là ? 

Après le gel des financements extérieurs, l’Etat s’est tourné vers la mobilisation des ressources internes pour financer son budget. Le patron du ministère des Finances  a d’ailleurs dit avoir découvert des richesses jusque-là inexploitées. La rigueur et la discipline ont donc été appliquées pour maximiser les recettes internes. D’où le taux d’indépendance budgétaire a plus que doublé au cours des 10 dernières années passant de 42% à 90%. Pour lui, « aussi longtemps que le pays dépendra des aides extérieures, on ne parlera pas d’indépendance du pays », a déclaré Dr Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances et du Budget en marge de l’adoption de la loi des finances publiques, exercice 2019-2020. 

Depuis 2015, le Parlement vote un budget dit d’austérité (mais toujours en augmentation) financé principalement par les recettes internes (les taxes et les impôts). De nouvelles mesures fiscales sont introduites, d’année en année, pour mobiliser les ressources de l’Etat. Certes, le gouvernement se félicite des progrès réalisés pour élargir l’assiette fiscale mais c’est toute l’économie qui en pâtit. 

« Trop d’impôt tue l’impôt »

Le ministre Ndihokubwayo ne décolère pas. « (…) il est quasi impossible d’accroître le budget jusqu’à plus de 2000 milliards de Fbu sans pour autant augmenter les recettes internes. Nous devons fournir des efforts pour mobiliser les ressources ». 

Cependant, l’inégalité dans la répartition des charges fiscales est perçue comme une source de révolte et de résistance de la part des contribuables lésés. « Le contribuable qui ne bénéficie pas de ces privilèges se trouve surchargé et ne trouvera de salut que dans la fuite devant l’impôt », apprend-on d’une étude de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG) sur l’évasion fiscale.

D’après la même source, le poids excessif de l’impôt décourage une partie des contribuables. Lorsque le taux d’imposition atteint ou dépasse 50%, le contribuable aura tendance à considérer que de tels taux sont spoliateurs. Ainsi, il tente par tous les moyens d’y échapper car l’impôt lui apparaît comme une confiscation et s’oppose farouchement au processus de collecte des recettes. Il développe une forme de résistance. 

La superposition d’impôts ajoute le drame au drame. Il a été démontré que si, pour une même matière imposable, sont superposés plusieurs impôts, le contribuable n’hésitera pas à dissimuler la matière imposable pour échapper ainsi à ces multiples impositions. 

Plus de recettes au grand dam des contribuables

L’OBR ne cesse d’arrêter des mesures pour contrecarrer le secteur informel à travers une fiscalité de proximité. Vous aurez certainement compris que le combat acharné contre les commerçants ambulants en mairie de Bujumbura, l’introduction de la redevance routière, etc. rentrent dans cette logique de maximiser les recettes. 

Pire encore le gros du budget n’est pas orienté vers les investissements. Plutôt il finance les affaires courantes de l’Etat au lieu d’investir dans les secteurs porteurs de croissance. D’après une analyse de l’OAG, les rémunérations des salaires des fonctionnaires et cadres de l’Etat raflent environ 30% des dépenses globales de l’Etat alors que les dépenses courantes dépassent 868 milliards de Fbu en 2018, soit 62% du budget. 

Le ministre des Finances s’en défend 

Lors de la séance d’analyse et adoption du projet de loi portant fixation du budget général de l’Etat exercice 2022-2023, les élus du peuple ont anticipé sur les conséquences désastreuses liées à l’augmentation exponentielle des prévisions des recettes. Denis Karera élu dans la circonscription de Gitega a demandé des gages quant à la capacité du gouvernement d’atténuer les effets de l’inflation sur les populations. Quant à Olivier Suguru, députe élu dans la circonscription de Bubanza, il a prédit le pire pour les industries locales. Même si les taux d’imposition n’ont pas changé, il n’a pas caché son inquiétude quant aux effets dévastateurs de l’inflation. Il reviendra au consommateur de supporter la charge fiscale puisque c’est normal qu’avec un taux d’inflation de 8% et une faible croissance de 4,6 %, les prix vont augmenter. Ainsi, nous allons nous retrouver avec la prolifération des produits importés, a-t-il expliqué. 

Le ministre des Finances a apporté quelques éclaircissements. « Nous établissons une analyse globale au niveau des indicateurs macroéconomiques à l’échelle nationale pas au niveau micro-économique. Qu’adviendra-t-on si jamais on n’arrive pas à mobiliser les ressources nécessaires », s’est interrogé Dr Ndihokubwayo. Il y a plusieurs facteurs qui influent sur le panier de la ménagère, notamment la chute de la production agricole. « Si nous parvenons à maîtriser la fraude fiscale, il est fort possible de réviser les taux d’imposition. Normalement, les contribuables ne devraient pas supporter trop d’impôts (surimposition) mais nous devons atteindre un certain seuil dans la mobilisation des recettes avant de penser à la détaxation », a-t-il concédé. 

Quand la fiscalité étrangle la population

Apparemment, rien ne semble arrêter l’ex-commissaire général de l’OBR. Il a encore eu la bénédiction du parlement pour traire la vache maigre qui, par ailleurs, agonise.  La Cour des comptes dans son rapport commentaire sur le projet de loi des finances publiques énumère une dizaine de nouvelles mesures fiscales. Ainsi, le contribuable aura encore à supporter un fardeau de 14 nouvelles mesures fiscales. Pour y voir plus clair, les taxes appliquées sur les biens de consommation telles que la bière, le sucre, les jus, les produits importés ou encore le transport rémunéré exercent une charge fiscale directe sur les contribuables. A titre illustratif, pour chaque kg de sucre acheté, il est appliqué une taxe de 600 Fbu. 

Le compte-rendu budgétaire, exercice 2020-2021 révèle que les produits fiscaux ont connu une réalisation  de plus de 7000%. La TVA intérieure collectée a dépassé 143 milliards de Fbu issus de l’achat des biens et services. 

Certains députés recommandent à l’Etat de penser à d’autres sources de financement pour alléger les charges aux contribuables. L’Olucome propose l’instauration d’une taxe sur la fortune, mais aussi l’exploitation du secteur minier. La redynamisation des entreprises publiques et para-étatiques pourra également accroître les dividendes de l’Etat. A titre d’exemple, « la Brarudi à elle seule verse plus de 27 milliards de Fbu comme dividendes à l’Etat », peut-on lire dans le projet de loi portant règlement et compte-rendu budgétaire, exercice 2020-2021. 

 

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