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Burundi : lettre d’un citoyen aigri au président

Un jeune journaliste burundais déçu. À son président Pierre Nkurunziza, il adresse aujourd’hui une lettre pour transmettre son ras-le-bol, son désespoir, son appel à la rescousse. Qu’importe si cette missive lui parviendra un jour. Pour l’auteur, l’essentiel est de vider son sac.

Monsieur le président, je vous souhaiterais bien le bonjour si j’avais été sûr qu’on vivait sous le même soleil. Je vous souhaiterais aussi le bonsoir, si j’avais su à quoi ressemble vos nuits. Mais au-delà de tout cela, je crains que tous ces «bon- » ne soient mal interprétés de votre part, vu que, malgré la même langue, on n’a pas le même langage. Alors je m’en remets à un simple « salut ».

Salut, doux mot aux consonances salvatrices, mot qui sonne faux au fur et à mesure que je fais votre connaissance. Salut, mot qui me rappelle tant d’espoirs perdus, tant de rêves brisés, tant de promesses flouées. Salut, un mot au goût amer d’illusions, de désillusions, de perdition. Salut, un mot qui a perdu sa saveur depuis que j’ai eu le malheur de l’associer à votre personne. Oh que oui, mon cher Monsieur le président, pour ma mère vous étiez le salut, pour mon père, vous l’étiez aussi, et pour moi, vous étiez plus que tout cela, vous étiez le messie. Et maintenant ? Limité par mon vocabulaire, je peine à vous qualifier.

Ceci n’est pas une simple lettre

Monsieur le président, une simple lettre ne saurait exprimer ce que je voudrais vous dire, ce que je ressens. Cette correspondance n’est pas qu’un simple billet, c’est un cri, un cri qui, dans votre imagination, devrait vous rappeler un certain cri que vous poussâtes, il y a bien des décennies, exactement à mon âge. Un cri qui vous poussa à vous révolter, à vous battre : devrais-je faire pareil ? Non, vous m’avez fait comprendre que la fin ne justifie pas les moyens, vu que votre fin ne diffère en rien de vos moyens.

Cher Président, vous avez hérité d’un fardeau bien lourd : ce pays est ingouvernable, tant qu’on y met du cœur. Alors déléguez. La vraie politique est de procrastiner tout en ayant l’air de se tuer à la tâche, de faire des puissants des alliés en ramassant la « merde » dont ils ne veulent pas, d’amasser des récompenses pour dessiller les yeux des mauvais sujets ; alors bien vous en fait si, pour les questions vitales, comme un certain monarque à un certain temps, vous brillez par votre absence.

Absence ? Que dis-je ! Me voici à mon tour corrompu par les discours de ces intellectuels qui se targuent de patriotes! Faux patriotes va ! Comment osent-ils dire que vous puissiez être absent, tandis que moi, le petit peuple, je ne cesse de vous voir à mes côtés aux croisades, au champ, au terrain de foot, aux travaux d’intérêts publics ?

Disais-je, intellectuels ?

« Monsieur, il nous arrive de nous imaginer, moi et mes potes, ce que vous étiez à notre âge »

Savent-ils au moins pourquoi vous vous battez ? Savent-ils que vous êtes prêt à sacrifier la tranquillité de votre conscience pour préserver ce bien durement gagné, cette valeur suprême qu’est la démocratie ? Et que le mandat de « trop » n’est qu’un trop plein d’énergie pour sauvegarder et pérenniser vos louables réalisations ? Savent-ils que ce purgatoire qu’est le pouvoir auquel, disent-ils, vous vous accrochez, vous ne voulez que le préserver des mains mal intentionnées ?

Monsieur, il nous arrive de nous imaginer, moi et mes potes (moi et mes amis, pour votre entendement), ce que vous étiez à notre âge.

Viviez-vous, comme nous, la peur au ventre ? Certainement, répondriez-vous.

Aviez-vous, comme nous, les horizons bouchés ? Plus que vous ne croyez, voilà votre réponse légitime.

Étiez-vous, comme nous, rempli de haine, de rancœur ? Nul ne peut en douter, l’histoire en témoigne.

Rêviez-vous, comme nous, d’un lendemain meilleur ? A fortiori vous plus que moi, sans arrière-pensée.

« Monsieur le président, cette missive ne vous parviendra peut-être jamais »

Rêviez-vous, comme nous maintenant, de vous défaire de votre adversaire ? Vous seriez-vous imaginé qu’un jour vous seriez tout ce que vous avez exécré, haï, combattu durant une partie de votre vie ? Non, car vous n’êtes rien de tout cela. Qui pourrait le dire d’un père aimant, aimé de son peuple comme vous ? Qui le dirait d’un libérateur, d’un pacificateur reconnu par tous ? Personne, seul un fou, un agitateur, un diffamateur oserait vous qualifier de ce que mon vocabulaire limité peine tant à cerner. Et moi, je ne suis rien de tout cela, le ciel m’en est témoin.

Monsieur le président, cette missive – subversive, diffamatoire, infâme, outrageante, vous diront vos courtisans – ne vous parviendra peut-être jamais, mon bateau étant ancré à des années-lumière du vôtre. À l’instar des marins rescapés d’un naufrage lançant leurs bouteilles à la mer, celle-ci sera jetée sur cette nouvelle mer qu’est le web.

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