Dans l’ombre des maisons bien rangées des villes, une réalité préoccupante crève les yeux : des enfants mineurs travaillent sans relâche pour rendre la vie facile aux nantis. Ce sont des domestiques, des « bonnes », souvent en provenance des campagnes. Ils viennent trimer en ville pour essayer d’aider leurs familles. Invisibles. Oubliés. Laissés-pour-compte. Dans ces conditions, comment le Burundi peut-il célébrer ce 16 juin dédié à l’enfant africain ? Une cause légitime défendue par l’UNICEF, qui plaide en faveur d’une augmentation des allocations budgétaires destinées aux secteurs sociaux en appui aux enfants au Burundi.
L’enfant burundais, a-t-il le droit à la protection ? Dans de nombreuses familles rurales, la pauvreté pousse les parents à envoyer leurs enfants, parfois dès l’âge de 12 ou 13 ans, travailler en ville. Le rêve est simple : gagner un peu d’argent pour soutenir la famille. Ces enfants deviennent aides ménagères, « bonnes » ou « garçons de maison ». Ils cuisinent, lavent, gardent les enfants, nettoient,… du matin au soir. Ils sont privés de nombreux droits. Et souvent, sans repos, sans jeux, sans affection. Ils vivent chez leurs employeurs, souvent traités comme des inférieurs, parfois mal nourris, humiliés, voire battus. Ils sont coupés de leur famille, privés d’éducation, et sacrifient une partie de leur enfance au service des autres.
Des salaires qu’ils ne touchent pas toujours
Evelyne, 15 ans, travaille depuis deux ans dans un foyer du quartier Kigobe, à Bujumbura. Elle n’a aucune amie dans la capitale économique, car elle n’a pas le droit de franchir le portail.
« Depuis que je suis ici, je ne sors que le dimanche, quand nous allons à l’église. Ma patronne ne me laisse pas avoir des amis. Imagine, je ne sais même pas où se trouve le lieu appelé Gare du Nord. Elle me prive de tout cela, de peur que je retourne chez mes parents ou que je cherche un autre emploi ».
Le plus cruel, c’est que l’argent qu’ils gagnent, souvent, ils n’y touchent même pas. Ce sont les parents qui, chaque mois ou chaque trimestre, viennent récupérer le salaire ou le reçoivent via « mobile money ». Ils n’ont aucun mot à dire.
Le cas de Bernice, 13 ans, originaire de la province de Bubanza est interpellant. Elle raconte : « J’ai quitté mon village à 12 ans. Ma mère m’a dit que j’allais travailler chez une famille à Bujumbura et qu’ils allaient m’aider. Depuis un an, je fais la lessive, la propreté, et je prends soin de leurs deux enfants. On ne m’a jamais envoyée à l’école. Je dors inconfortablement dans la cuisine. Chaque fois que je demande quand je pourrai rentrer, on ne me répond pas. Je ne touche même pas au salaire. C’est ma mère qui le perçoit. Je ne sais même pas combien je gagne. »
Des lois ignorées
Ces enfants ne sont pas protégés. Trop jeunes pour être syndiqués. Trop isolés pour parler. Trop démunis pour fuir. Pourtant, au Burundi, le travail des mineurs est interdit par la loi.
Selon une étude menée en mars 2014 par l’ISTEEBU (actuel INSBU) en partenariat avec l’UNICEF, le travail domestique des enfants est une réalité préoccupante dans les provinces de Rumonge, Gitega, Ngozi et Bujumbura Mairie. L’enquête a révélé que 19 031 enfants exercent des tâches domestiques, dont 13 239 filles et 5 792 garçons. Près de la moitié d’entre eux (46 %) ont moins de 16 ans, tandis que les autres (54 %) ont entre 16 et 18 ans.
Cette étude indique également que ces enfants viennent de diverses provinces, la majorité provenant de Ngozi (27 %), Kayanza (19 %), Gitega (14 %) et Karusi (11 %). Mais attention ! Ces chiffres datent de 2014, il y a dix ans. Quelle ampleur ce phénomène a-t-elle atteinte actuellement ? La réponse serait intéressante.
Ce que cette journée devrait nous rappeler
La Journée de l’enfant africain ne devrait pas être une conférence officielle où on glose sans prendre des mesures concrètes. Elle devrait être une occasion, une voix pour ceux qui n’en ont pas, ces enfants qui, pendant qu’on parle d’eux, lavent le sol ou portent un bébé qui n’est pas le leur, pour réclamer la mise en application de leurs droits. Les droits de l’enfant ne doivent pas s’arrêter à la porte des maisons. Ils doivent pénétrer là où la souffrance est silencieuse.
Il est temps que cette réalité soit reconnue. Que ces enfants soient retirés de ce cul-sac qui obscurcit leur avenir. Que les parents comprennent que l’avenir de leurs enfants ne se construit pas dans la servitude. Et que la Journée de l’enfant africain ne soit plus un jour de discours, mais un jour d’action.