La religion et la profession ne font pas toujours bon ménage

La religion est un instrument de persuasion massive dans notre société. Des adeptes vont jusqu’à mémoriser des versets entiers pour s’en servir dans les débats religieux afin de convaincre. Mais ce n’est pas courant d’entendre des prédications en milieu professionnel, a fortiori, si cela vient de la bouche d’un policier en uniforme.

Une fervente croyance en Dieu se manifeste de plus en plus dans le cœur des Burundais. Un simple petit tour au centre-ville et nous sommes sûrs de croiser plusieurs prédicateurs « ambulants » qui brandissent fièrement la Sainte Bible. Quoi de plus normal sous le ciel de Bujumbura ?

Mais il est rare (très rare) que celui qui prêche la parole de Dieu soit un policier vêtu de son uniforme de service, une Bible à la main et un drapeau du Burundi sur son épaule. La vidéo qui s’échange depuis un moment dans les groupes Whatsapp et sur d’autres réseaux sociaux d’un policier en train de prêcher a attiré également notre attention. Elle montre des badauds curieux qui suivent ses prédications, filmant le spectacle. Les personnes qui l’observent sur les lieux ainsi que ceux qui l’observent à travers leur écran, tombent tous des nues parce que non seulement un policier en tenue de travail prêchant la parole de Dieu, ce n’est pas courant, mais ce qui étonne encore, c’est le contenu de sa prédication.

A bas les masques !

Son message est sans détour : stop à la corruption. Ce qui est encore plus scandaleux, c’est que ledit policier pointe du doigt ses collègues de la police spéciale de roulage (PSR) qu’il accuse d’être corrompus. « Ibiturire murya Imana irabizi » (Dieu est au courant des pots de vins que vous recevez). Entre autres, ceux qui sont chargés de mettre sous les verrous les gens frauduleux sont accusés de porter la même croix. Ceux qui font respecter la loi sont accusés de violer la loi. Accusés par leur propre collègue sur leur lieu de travail au vu et au su de tous !

J’analyse ses collègues policiers sur la vidéo. Les uns tendent gravement l’oreille tandis que les autres arborent un air détaché et insouciant en passant auprès du prédicateur-policier pour vaquer à leurs tâches. Quel est finalement le but de cette mise en scène ? Pointer du doigt les actes illégaux au sein de la police ou provoquer un changement de comportement de la part de ses confrères égarés ? (Les deux peut-être).

Et le drapeau sur son épaule, que représente-t-il ? Un signe qu’il parle au nom de la nation comme cette Bible montrant qu’il agit au nom de sa religion. L’amour de la patrie et de Dieu serait donc la motivation de son geste brusque et hardi ?

Un acte de bravoure ?

Franck, un agent des forces de l’ordre, réagit à la scène par ces mots : « Ce policier peut être réprimandé pour s’être consacré à la parole de Dieu dans ses heures de travail, sinon prêcher en soi n’est pas interdit aux forces de l’ordre. » 

Pour rejoindre le commentaire de Franck, le texte de loi de 2010 portant modification du statut des agents de la Police Nationale du Burundi stipule dans son article 20, alinéas b : « Sont incompatibles avec la qualité d’agent de police toute activité quelconque de nature à entraver le service ».

Nous ne pouvons que nous interroger sur la portée de son discours en public. Un acte héroïque ou un acte frivole ? « Nimurondere Imana bigishoboka » (Cherchez Dieu tant que c’est possible). Une exhortation pour se défaire des péchés afin d’atteindre le royaume de Dieu et de ne pas brûler éternellement dans les flammes de l’enfer.

Croyants ou pas, nul n’ignore que la corruption est un délit. Ceux qui violent la loi connaissent les textes de lois ou les textes bibliques, c’est pourquoi ils commettent leurs abus en cachette. Pourtant, cela ne risque pas de changer aussi tôt (sans vouloir être pessimiste).

Son geste étant inapproprié sur un lieu de travail, la sanction ne s’est pas fait attendre. A l’heure où nous publions cet article, le policier Jérôme Niyonkuru aurait été arrêté et se trouverait actuellement dans les cachots de la police judiciaire.