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Six leçons apprises en réécoutant l’intégrale des Lion Story

D’abord, vous vous dites : il en faut du courage pour le faire, et il en faut de la témérité pour le dire. Et je réponds : parce qu’il n’y a pas de moment plus opportun pour s’y (re)mettre.

Il y a plusieurs façons de dresser le bilan des cinq dernières années. Certains le feront en énumérant les écoles construites et l’effectif des nouveaux militants, les autres en brandissant la liste des personnes disparues ou décédées, quelques-uns en vérifiant le nombre de villas associées à leur nom.

Moi, en amoureux d’art et de musique engagée, c’est plus simple. Je fais d’abord une petite recherche sur le nombre de fois que le mot « Lion Story » apparaît sur les sites internet de cinq médias burundais très présents en ligne, et cela durant les 365 derniers jours. Résultats : Iwacu : 0 fois. Yaga : 1 fois. Isanganiro : 0 fois. Jimbere : 0 fois. Akeza : 0 fois.

Et puis, comme j’écoute rarement la radio, je pose cette question dans deux groupes WhatsApp : « Combien de fois avez-vous entendu passer une chanson des Lion Story sur une chaîne locale les cinq dernières années ? » La réponse est : « Jamais ». Et je m’arrête là, j’ai ma réponse.

Comme une comète rouge-jaune-verte… 

À l’heure actuelle, je ne devrais plus présenter les Lion Story, mais malheureusement il le faut, face à l’amnésie forcée digne de Fahrenheit 451 qui a été appliquée à ces artistes. Au début, « Umugani w’Intare » est l’histoire de deux compères de Gitega (Passy et Roméo) à l’âme révolutionnaire et imprégnés dès leur jeune âge de rastafarisme. À la toute fin des années 90, alors qu’ils partagent la même classe de 3e Lettres modernes, ils décident de créer Lion Story Reggae Family. Ce sera le point de départ du récit fabuleux d’un orchestre surdoué et d’une musique engagée, qui finira par incarner la liberté et l’éveil de la conscience citoyenne de milliers de Burundais.

Durant quelques années et en terme de succès, Lion Story est pour les Burundais ce que furent les Beatles pour la génération X en Occident. Ou, comparaison plus juste, ce que fut Bob Marley et les Wailing Wailers dans la Jamaïque des années 70-80. Et puis…  2015, et rien ne sera plus pareil. Le meilleur reggae band de l’histoire du Burundi subit le sceau de l’infamie : il disparaît dans l’anonymat de l’exil et au Burundi, sa musique est enterrée soigneusement, bannie des radios, cachée au fond de disques durs qu’on consulte une fois loin des oreilles indiscrètes.

Aujourd’hui, cinq ans après cette année fatidique, les Burundais sont appelés encore une fois à s’exprimer sur leur avenir à travers les urnes. C’est durant cette période que les Lion Story nous manquent le plus, leur parole incisive, indomptée, libre et juste. Face au déferlement de démagogie, de passions et d’intolérance, je suis allé chercher quelques repères dans leur discographie. Après trois heures d’écoute d’affilée, voici les leçons que j’ai retenues.

  1. La justice est synonyme d’humanisme

Un mot, un message : « Imbabare » (ceux qui souffrent). Sorti en début de la décennie dans la foulée de l’album Independant (2009), ce single tombe à pic, alors que des atteintes aux droits humains se font recenser ici et là. Il se fait en quelque sorte l’écho de « Izangondagonde », une des chansons les plus célèbres du groupe, qui fustige une justice assujettie à la botte des puissants.

Mais Lion Story est catégorique : le plus fort ne devrait pas « chasser » le plus faible. Sinon, autant mettre de côté tous les attributs qui font de nous des humains pour embrasser pleinement l’animal qui est en nous. Ou alors faire le choix de rêver avec eux une société qui protège le démuni, qui lui rend justice, une société où le nanti se préoccupe du miséreux. Un État où chanter « Rekura umurasta » n’aurait aucun sens.

  1. La redevabilité : construire une nouvelle classe politique

Dans un système de gouvernance parfois marqué par la prédation et l’asservissement, la redevabilité devrait être un mantra pour les dirigeants. Le morceau « Indongozi » le souligne et prêche une gouvernance de « role models ». Le sulfureux Passy, pour l’occasion très conciliateur, y chante : «  Kw’irembo uraba imyugurariro, mu rugamba rw’amahoro, urukundo urarugira umuheto, ukuri ukugire umwampi […]umvira abo urungoye »*. De 2009, le chanteur s’adresse aux candidats de 2020.

Quant à « Ntukarye », il dénonce la « mangecratie », terme cher à d’autres reggaemen africains. Parce que manger, ce n’est pas seulement remplir ses poches de deniers publics, manger, c’est aussi fermer les horizons, c’est appauvrir intellectuellement, c’est gouverner par la peur.

  1. La tolérance, le respect de l’Autre, l’empathie et le pardon

« Isogo » a certes plusieurs niveaux de lecture, mais son message est clair : la tolérance. Accepter que l’Autre n’a pas les mêmes croyances, n’aime pas les mêmes choses que toi et pense autrement. Accepter la diversité, la liberté. D’ailleurs, Jah, « Yakiremye ikizi », caba igiti canke ikiremwa**.

« Ukurira kw’umunyagihugu » quant à lui rappelle que le citoyen a le droit de disposer de lui-même et qu’on doit le respecter et le protéger tant qu’il n’empiète pas sur les droits de son prochain. Et « Imbabazi » nous appelle à nous mettre à la place de l’autre : personne n’est blanc, personne n’est irréprochable, au tréfonds de notre âme se terre la bête, qui peut faire de nous, si on n’y prend pas garde, des chacals, « Imbwebwe ». Ainsi, quand de l’exil des Burundais entonnent « Nkumbuye kubona Uburundi », des bords du lac Tanganyika, d’autres Burundais devrait reprendre en chœur, sans arrière-pensée, « Welcome back in Jah Land ».

  1. Le désespoir vaut mieux que l’illusion de l’espoir

« Les faux prophètes » : un des thèmes de prédilection des Lion Story. Sans appeler les gens à tourner le dos à leurs idéologies, la musique des « Lions » les appelle à ouvrir les yeux et résister à la manipulation. Celle des prédicateurs qui utilisent la foi pour se remplir la panse, qu’on va d’ailleurs appeler « bene Imidiha » ou même « ba Berahino ». Urbain leur dit clairement : « Reka Imana isengwe ». Celle des démagogues à qui Lion Story réplique par : « Kizigenza », qui devrait par ailleurs faire réfléchir les militants de 2020, avant d’aller entonner les slogans de tel ou tel candidat.

Lion Story lance le mot d’ordre, qui n’est nul autre que : « Ntuvyemere », face à tous ces individus qui veulent se blanchir par des paroles fourbes, « kwiyambika Izera ».

  1. La lutte, la résistance # la violence

Lion Story est clair : « Passer par la violence pour combattre la violence est un serpent qui se mord la queue ». Si Passy nous appelle à nous réveiller, « kw’ Ikangura(e) », il nous parle aussi de l’éveil citoyen. Les jeunes qui doivent emprunter d’autres chemins que ceux de leurs aînés. Les femmes qui doivent briser le carcan dans lequel la société veut les emmurer.

« Revolution time », c’est aussi une invitation pour les dirigeants d’observer, d’écouter, d’anticiper, avant que le feu de paille ne devienne feu de brousse. La poigne ne résout rien quand dans les cœurs des gens bouillonne : « Yibaza ngo », la solution étant de se dépasser pour ne jamais entendre un jour la foule scander « Genda ».

  1. Jah, la foi et l’espoir 

Sans l’espoir, tout s’effondrerait. Sans la foi, en l’humanité, en l’Autre, on deviendrait des animaux. Mais quand nous sommes acculés, il resterait un rocher auquel s’accrocher, « Urutare », « Yehova », « Jah » : celui qui nourrit les pauvres, panse les blessés et console les faibles. Et quand plus rien ne va, le message des Lion Story est : « Jah shall help ».

Mais pour moi, avant de tout abandonner à Dieu, je veux continuer à faire confiance en l’humanité. Abdiquer ma foi en l’Autre serait renoncer à l’espoir. Au terme de ces trois heures d’un voyage musical duquel je suis revenu nostalgique mais ragaillardi, j’ai encore appris une chose : faire le bien, « Bigikunda ».

PS : l’essentiel de la discographie des Lion Story  est à trouver ici ou ici.

 

* Traduction : « Sois le vrai protecteur de l’enclos, dans le combat pour la paix,  que l’amour soit ton arc et la vérité, ta flèche […], respectes la volonté de ceux que tu gouvernes ».

** Traduction : que ce soit la plante ou une quelconque créature de Dieu

Author

Ras

Critique irrévérencieux, ceux qui s’énervent pour un rien sont priés de passer leur chemin.

9 Replies to “Six leçons apprises en réécoutant l’intégrale des Lion Story”

  1. I really love the way you break it down, I love #lionStory and still listen to them as much as I can, it makes me feel like we still have something to fight for like back in the days, and never give up.

  2. Seigneur ! Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose de beau, riche, profond, sur le Burundi-ais !
    Ce dont je suis convaincue, c’est que les prédateurs des droits humains et autres faux prophètes au pouvoir partiront un jour !

  3. Avec les événements de 2015 le Burundi a perdu gros sur le plan intellectuel, culturel, artistique et économique avec la fuite de tous ceux cerveaux… Quand j’y pense ,je rumine tout ça avec nostalgie. Souvenez-vous de kakabone le député sans yeboyebo(la voiture), Steven sogo, Yoya, des chansons de étoile du centre??

  4. Il etait une fois les Burundais ont connu,écouté et aimé Lion Story. Il y a des choses qui transcendent les époques pour durer. Les paroles de Lion Story s’ inscrivent dans ce registre de la responsabilité citoyenne.
    Eric Ndyisaba

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