Ou quelques interrogations sur la beauté, le Burundais, le tout assaisonné à la sauce anti-impérialiste. (Ou encore comment on s’engage dans une bataille qu’on n’est pas sûr de remporter.)
Espérant que la fièvre autour de l’événement Miss Burundi est tombée, je me permets de revenir sur quelques questions qui ne m’empêchent pas vraiment de dormir, mais qui me visitent de temps en temps : est-il vrai que les candidates à Miss Burundi représentent « le prototype de la beauté de toute une nation » comme le soutient ici le blogueur Franck Nziza? Quand on parle de beauté, qu’est-ce qu’on comprend par-là ? Larousse la définit comme «la qualité de quelqu’un, de quelque chose qui est beau, conforme à un idéal esthétique ». Les 18 jeunes filles qui participent à la finale de cet événement représentent donc notre idéal de la beauté ? Permettez-moi d’abord de m’opposer à cette globalisation. C’est qui ce nous ? Ras ? Ajax ? Elvis ? Flo ? Idriss ? Amrah ?
Impérialisme de l’apparence
Revenons un peu sur les critères de sélection de cette compétition : être de nationalité burundaise, avoir entre 18 et 25 ans, être célibataire et sans enfants, avoir une taille minimum de 1m70 sans talons, voici les grandes lignes. Ce qu’on ne dit pas, c’est qu’il existe des critères implicites (pas autant par ailleurs) qui font office de règles et qui entraînent soit l’élimination, soit l’ « autocensure », comme par exemple … la corpulence !
Voici alors ma première grande question: est-ce cela les standards de beauté pour la burundaise lambda, la femme parfaite pour tout murundi exempt de tendances déviantes inavouables? Et ma deuxième interrogation et la non moins importante : pourquoi les critères de Miss Burundi semble être une pâle copie du règlement des compétitions occidentales ? (voir ici)
Sur quelle enquête, quel sondage s’est-on basé pour affirmer qu’au Burundi pour être belle il faut ressembler soit à une girafe (une gazelle, diront certains), soit à une poupée Barbie ?
Autre pays, autres mœurs
À Gitega, j’ai fait la causette avec l’homme à tout faire d’une résidence dans laquelle on séjournait. Le taciturne jeune homme (que je vais appeler Matayo) n’avait jamais entendu parler de Miss Burundi (et il s’en porte par ailleurs très bien). Donc je demande innocemment à Matayo, « c’est quoi pour toi la femme parfaite ? » Tout en faisant attention à ne pas cramer l’omelette qu’il nous préparait (pour info, il a fini par la cramer et j’ai dû me la cuisiner moi-même, soit, je m’égare), Matayo lâche : « Une femme au grand cœur ». Un tantinet énervé par cette réponse simpliste que je déteste et que j’entends malheureusement souvent, je reviens à la charge : « Le cœur, on ne le regarde pas, on ne le touche, on ne l’embrasse pas, on ne l’étreint pas. À quoi devrait-elle ressembler physiquement? » Matayo redresse lentement son 1m50 et me regarde droit dans les yeux : « Un joli sourire, et qu’elle ne soit pas plus grande que moi !»
Sur la terrasse d’un bar de Bujumbura que j’affectionne (allez, un peu de pub pour Le Petit suisse), j’ai joué un jour à un petit jeu : chercher quel genre de femme fait tourner la tête aux mâles burundais en train de siroter leur bière fraîche bien tapée en faisant un grand effort pour ne pas discuter de politique. Mon constat, vous le connaissez déjà. La poitrine généreuse et les fesses bien rebondies avaient plus de chance d’attirer la convoitise des vieux et moins vieux boucs dont la seule préoccupation (disent-ils) est de siroter tranquillement leur produit Brarudi en pensant de tout leur cœur à leurs épouses et petites amies laissées à la maison.
Miss Burundi à la française ?
Chez nous, être bien en chair est synonyme de bonne santé (kudoha). Quand on te dit que tu as perdu du poids, cela n’est pas compris comme un compliment, mais plutôt comme une invitation à se reprendre en main (voire à aller consulter). Alors, pourquoi nos plus belles semblent-elles parfois avoir besoin d’un supplément en vitamine C ?
Le burundais en moyenne n’est pas très grand. Pourquoi lui chercher alors un idéal qui le pousserait à adopter des hauts-talons avant d’oser se présenter en public avec la femme parfaite ?
Est-il temps de revoir le règlement de la compétition Miss Burundi ? Je n’en sais rien. (Et je ne dis pas que les jeunes filles qui participent à cet événement font tâche, loin de là. Vous êtes toutes belles mes sœurs) Mais avant d’imposer un idéal de beauté à tout un pays (et de le vendre à l’étranger), ne faudrait-il pas d’abord interroger les concernés (nous Burundais)? Car tout ce qu’on fait maintenant, c’est reprendre une formule qui marche ailleurs et se contenter de l’adapter sans tenir compte des réalités du terrain. Et on se demande toujours pourquoi la plupart des Burundais regardent Miss Burundi (la compétition) d’un œil morne, ou détourne tout simplement le regard. J’en fais partie.