Nul n’est prophète chez soi. Tristement vrai. Mudibu est un génie musical méconnu au Burundi, pourtant adulé ailleurs. Il est grand temps de rendre justice à ce grand artiste victime d’une culture de la médiocrité institutionnalisée.
Mudibu. On est quelques mélomanes burundais à se murmurer ce nom avec vénération. Quelques heureux élus, ou déviants, c’est selon. Tandis qu’on fait souffrir nos oreilles à longueur de journée avec des morceaux sans âme pondus par des chanteurs sans grande imagination (vous voyez de qui je parle), notre cœur se serre en pensant à 2008 et à Slow me (la chanson).
Oui Slow me, cet OVNI musical qui nous a tous pris au dépourvu (quand je parle de tous, comprenez quelques-uns). Habitués à des sonorités plus conventionnelles, à la burundaise quoi, imaginez notre surprise en voyant un chanteur à la chevelure fournie, quasi inconnu, nous être présenté comme un Burundais. Impossible. Aucun burundais n’irait chanter un soul aussi entraînant, dans la langue de Shakespeare, et pour tout couronner, faire un clip aussi… expérimental.
Burundais dans l’âme, Burundais dans les choix (kwitoraguza), on était soit dubitatif, soit intrigué, pas plus. Cette musique élitiste ne parlait pas à tout le monde. Normal, le chanteur vivait à Londres, avait évolué là-bas, parlait-il au moins kirundi ? Son album n’était pas fait pour ce public. Un fossé commençait à se creuser, et puis vlam. Personne ne s’attendait à ça, personne. Agahengwe, le deuxième single, un tube à la sauce burundaise, est tombé. Il était mieux que tout ce qui se faisait dans ce temps. Et tout à coup on s’est tous (quelques-uns je répète) dit, un dieu nous est né !
Ô divine sonorité
Agahengwe est le morceau qui symbolisait la renaissance de la musique burundaise, engluée dans des tubes faciles, éphémères, composés par des jeunes en mal d’amour et arrangés par des producteurs aventuriers. Agahengwe, un morceau profond, complet, qui, contre toute attente, ne passa pratiquement sur aucune radio (à quelques exceptions près, merci Télé Renaissance). Faut-il s’étonner ? Pas du tout. Nos chers animateurs (ou programmateurs, allez savoir), j’ose le dire, ont une culture musicale aussi développée que celle d’un cochon d’Inde nourri à la musique de Bidondo. Selon les dires, ils ne passaient les morceaux que par affinité ou moyennant quelques billets craquants (est-ce toujours le cas ?). Ainsi, Agahengwe tomba lui aussi injustement dans le sac des musiques élitistes, inaccessible au grand public (qui allait l’adorer j’en suis sûr).
Qu’importe, la mudibumania avait fait des émules. On y croyait dur comme fer, Mudibu n’était pas ce genre d’artiste qui crée une seule œuvre majeure dans sa vie, sous le coup d’un choc émotionnel. On patienta, et la patience finit par payer. En 2013 tomba : Iwacu haryoha, connu grâce à Télé…Rema. Un clip de tout ce qu’il y a de plus burundais (pas fameux donc), mais la musique, seigneur ! Iwacu haryoha était la maturité de la musique burundaise, simple, fouillée, tout droit inspiré des grands classiques burundais (RIP Canjo et les autres).
On se rua sur YouTube : 0 résultats (si, une version acoustique existait, qui nous laissa sur notre faim). On écuma internet, en vain. Mudibu avait été une comète, qui nous avait éblouis, puis s’était éloignée, nous laissant dans l’obscurité. Frustrés, délaissés, on retomba dans nos mauvaises habitudes : Fizzo par-là, Rally Joe par ici, Sat B (Dieu !), une musique abrutissante.
Quelques fois, autour d’un verre, on rejouait l’inoxydable Agahengwe, puis on passait la version acoustique de Iwacu haryoha et la nostalgie nous submergeait.
Renaissance
En 2016, en surfant sur internet, je tombai sur une information incroyable ! Mudibu avait sorti en 2015 un album nommé « Inzatsa » (merci chers journalistes culturels burundais, pendant ce temps, vous faisiez la pub d’une quelconque star obscure, aussitôt connue, aussitôt oubliée). Dans mon âme, je savais que c’était l’album de la décennie. Mais où le trouver ? Amazon ? Pas accessible! Le CD ? Introuvable au Burundi. La frustration devint ma meilleure amie.
Puis en 2017, je m’inscrivis sur Deezer et coup de chance, l’album s’y trouvait. Oh, quelle joie. Oh, quelles merveilles sonores. Quel baume pour des oreilles qui venaient de passer trois ans à être assaillies pas des chansons les unes incongrues plus que les autres. Ata mpisho, Iwacu haryoha (version studio), Inyoni ziririmba, Gatera ntimba (reprise exquise du classique de Canjo Amissi ; Bobona, prends-en de la graine),…, des morceaux aboutis, profonds, la perfection musicale. Inzatsa est un mélange de diverses sonorités: reggae, blues, soul, pop,.., des morceaux professionnellement arrangés, des textes profonds (Sat B, prends de la graine, gukora ku mavuta nyene ?), le tout sublimé par la voix inégalable d’un Mudibu au top de sa forme. Une jouissance. Un régal aussi inconnu que le grand artiste qui nous l’a concocté.
Mudibu est la preuve ultime qu’au Burundi, la culture de la médiocrité a pris le pas sur tout le reste. On aura beau s’époumoner sur la nécessité de soutenir la musique du terroir, personne (du moins les vrais mélomanes) n’accrochera sur des productions tellement médiocres qu’on se demande ce qu’on a fait au bon Dieu pour mériter cela. Si on veut nous faire aimer la musique burundaise, qu’on nous fasse d’abord découvrir Mudibu, et tous ces artistes qu’on n’arrive pas entendre, noyés dans la cacophonie de toutes ces chiures électroniques sans aucune âme qu’on a le malheur d’appeler Buja fleva.
Et enfin je me retrouve dans la « caverne des vrais mélo » merci pour l’article
Welcome again Sean
Je suis d’accord avec vous sur presque tout. Mais je trouve de votre part un peu irrespectueux de rabaisser les autres artistes Burundais de cette manière. Je pense qu’il aurait été suffisant de votre part de donner a Mudibu la place qu’il mérite, sans pour autant insulter les autres artistes et les gens qui écoutent et aiment leur musique. Je pense d’abord que ce n’est pas correct de votre part de les mettre tous dans le même panier «a ordures » ; mais aussi en considérant les moyens dont ils disposent chez nous au Burundi je pense que certains d’entre eux essayent quand même de faire quelque chose ; enfin comme on le dit « on ne discute pas des gouts et des couleurs », ayez un peu de respects pour nos autres compatriotes sans internet ou encore qui ne savent pas ce que c’est deezer par exemple
Bonjour cher Umuronderakuri,
S’il faut passer par « l’irrespect » pour « secouer un peu le cocotier », essayer de décarcasser le monde musical burundais qui semble vouloir se complaire dans la médiocrité, j’accepte volontiers l’opprobre.
Par ailleurs, si j’ai une dent envers certains artistes (et les « vulgarisateurs » de la culture), je n’insulte en rien les gens qui les écoutent. Essayez de lire entre les lignes, vous comprendrez que je regrette le fait qu’on doive aller sur internet (deezer par exemple) pour écouter une musique qui devrait normalement passer dans les émissions culturelles qui pullulent sur nos chaînes radio. On n’aime que ce qu’on entend, et on ne peut pas aimer ce qu’on n’a jamais entendu. Dommage.
Merci pour ton commentaire.
Ras, êtes-vous burundais? Si oui, vous avez un problème de comprendre votre pays et ses dirigeants. Combien de millers de dollars ou d’ euros vont-ils recevoir en contre partie de leur reconnaissance à ce grand artiste?
Bonjour Jean,
Je suis un burundais de chez burundais, et je suis obligé d’admettre que vous avez tapé dans le mille : je n’ai jamais compris les dirigeants, et je doute que je les comprendrai de sitôt.
Merci de ton commentaire
En tout cas, je me souviens très bien que les morceaux signés Mudibu étaient très profonds.
Hahaaaaa, merci pour cette critique cher Ras!!
Et Oui, ke commercial a pris le pas sur l’artistique (ou sur le goût tout simplement) dans la musique en géneral et Bdaise en particulier!
Merci de parler de cet artiste (lui aumoins mérite de porte ce nom) Mudibu, il devrait beneficier de plus de reconnaissance!
Et dire que commercial et bon goût peuvent faire bon menage…
Carrément cher Landry,
Merci de ton commentaire
Merci pour cet article cher Ras, bien écrit avec un style riche.
Je regrette autant que vous que les chansons de Mudibu ou d’autres artistes dignes de ce nom ne soient pas souvent jouées dans les médias burundais.
Mais ne pensez-vous pas que Mudibu par exemple devrait lui aussi se faire vendre ici au Burundi en rendant ses chansons accessibles ? Comme sur youtube, tubidy,… Si c’est pas encore le cas. Comme ça ses fan dont je fais partie pourraient le trouver plus facilement.
Yes please !! EVERYTHING is said here.
Et enfin, Mr Ras, Je trouve un burundais sachant « pondre » un article à la hauteur des espérances de la lectrice que je suis. Well written.
Un très bon article qui ns rappelle, ns autres Burundais la valeur de notre culture, une culture qui ne cesse d’être mise à mal par nos autoproclamées stars avec des textes vides ! Ngo unkore ku mavuta ! Hahaa, on aura tout vu ! Merci Ras
Chapeau pour l’article. Tout comme vous il y a 7 ans tout comme vous j’ai été touché par la Mudibumania : http://www.afrique.fr/tourisme/burundi-la-decouverte-de-mudibu-l%E2%80%99artiste/
Merci pour ce très Bel article.