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La salle d’audience comme une salle d’accouchement

Dans le processus de justice, la salle d’audience est conçue de manière à séparer délinquant et victime. Plus souvent, ceci renforce le sentiment de colère, et exacerbe le conflit entre les protagonistes. Les réaménagements de la salle d’accouchement qui se sont produits depuis le 19èmesiècle ne peuvent-ils pas nous inspirer ? Notre blogueur veut nous aider à comprendre le magnifique défi qui nous attend.

En droit pénal, la peine a pour but de dissuader le délinquant du délit commis.  Cette phrase de l’ancienne garde des Sceaux français, Christiane Taubira, « Nos prisons sont pleines, et vides de sens. », retentit toujours en moi, lorsque je pense à l’efficacité des peines de la justice. En fait, la peine sert tant à réparer les torts commis qu’à favoriser la réinsertion du coupable qui, après avoir admis ses fautes, devrait être mis en situation de ne pas récidiver. Notre seul souci devrait actuellement être que le délinquant puisse recevoir ce qu’il mérite.

Ceci dit, les systèmes de la justice punitive ne procurent pas des moyens suffisants pour donner le sens profond de la peine, car toutes les faces de la responsabilité ne sont pas révélées. En plus de cela, dans nos pays africains, il existe une crise de confiance en la justice, illustrée par la multiplication des critiques adressées aux cours et aux tribunaux et à certains des magistrats : laxisme, corruption, incompétence, impunité, partialité, manque de professionnalisme, etc.

La justice reste la seule aspiration de tout le monde, accusé et victime. Alors, n’est-il pas nécessaire que notre justice rétributive combatte les comportements criminels bien au-delà de la délinquance et de l’infraction ?

La nécessité d’une révolution…

Dans notre tentative de faire naître et de rendre la justice, nous n’avons pensé qu’à établir la culpabilité. Le problème le plus grave est que nous avons mis seulement la salle d’audience entre les mains de professionnels de justice qui l’ont changé en un lieu stérile où règnent la loi et l’ordre.

En 1953, le docteur Lamaze a découvert une méthode psychoprophylaxie obstétricale couramment appelée l’accouchement sans douleur (ASD). La salle commune est abandonnée, la patiente est guidée par des séances de préparation et tout au long du travail, elle doit être rassurée dès qu’elle perd le contrôle. Non seulement le rapport entre les patientes et les soignants y changent de façon que la parturiente soit l’actrice de son accouchement, mais aussi l’ASD a fait entrer le père dans la salle d’accouchement qui était toujours banni. Le père est aujourd’hui même invité à suivre avec sa femme certains cours de préparation, à l’aider pour son entraînement et à l’assister moralement par sa présence à l’accouchement.

Les acteurs de la justice doivent fournir des efforts pour faire disparaitre de la salle d’audience le processus ardu de la prise de décisions afin de rejoindre la sphère de négociation de plaidoyers, en ayant les mêmes préoccupations que les médecins qui ne courent aucun risque. Malheureusement, nous avons affaire à des délinquants et des victimes qui vivent des expériences traumatisantes dans la salle d’audience. Le souci de créer un état de paix et d’harmonie entre le délinquant et la victime n’est pas prioritaire. Et voilà, qu’en se rencontrant à la boucherie ou à la messe, ils risquent de s’entretuer. La même révolution qui s’est produite dans la salle d’accouchement doit avoir lieu dans la salle d’audience.

Oui à une justice réparatrice 

Notre manière d’affronter le crime doit être à la fois émancipatrice et nous faire redécouvrir les vertus d’un vivre-ensemble. Certes, il existe un modèle de justice qui, à l’opposé du modèle pénal qui considère le crime comme une atteinte à la norme de l’Etat, considère le crime comme une atteinte à des personnes, une rupture dans leurs relations interpersonnelles. Ce modèle, qui se focalise davantage sur les torts subis par la victime et/ou par ses proches, doit conduire au rétablissement de l’harmonie sociale.

Cette justice dite réparatrice ou restaurative se définit par l’Assemblé Générale des Nations Unis comme tout processus dans lequel la victime et le délinquant et lorsque il y a lieu tout autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d’une infraction, participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement avec l’aide d’un facilitateur. Ainsi, il s’agit de sortir d’une perspective punitive pour s’ouvrir à une perspective de confiance en la résilience des personnes.

Au Burundi, ces derniers jours, nous assistons à l’emprisonnement injustifié des mineurs (élèves), alors que la justice réparatrice pourrait parier à tous ces cas. Ceci étant, le Burundi incarne une justice coutumière spécialisée dans la démarche de l’humanisation des peines. La justice sous l’arbre à palabres inspire toujours la justice des cours et tribunaux. Nous nous demandons si, avec l’institution des « abahuza » depuis 2021 dans les affaires civiles relevant de la compétence des tribunaux de résidence, une révolution du genre en matière pénale ne serait pas possible ?

Oui, la justice réparatrice cohabite avec la justice pénale dans beaucoup de pays. Si par exemple en France, sa mise en pratique est encore timide, le Burundi ne devrait pas douter de redécouvrir cette justice réparatrice qui est une justice nouvelle dont les valeurs comme celle d’ubuntu, d’ubupfasoni, d’ubushingantahe sont déjà enracinées dans nos traditions burundaises.

En somme, la justice ne peut pas naître que dans le sang, le chaos, l’émotion et les choix. Et la salle d’audience ne peut pas toujours être conçue de manière à séparer délinquant et victime, mais ces derniers doivent être des intervenants incontournables de tout le processus de justice. Nous devons adapter la salle d’audience de la même façon que nous avons adapté la salle d’accouchement pour les patients.

 

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